Les Verts entre lutte contre l’austérité et compromission
par Alain Lipietz

vendredi 16 novembre 2012

Voyage à Athènes, pour le conseil du Parti Vert Européen. Pas mal d’avancées, et rencontres avec de vieux amis de la gauche grecque. Nous parviennent les échos des propos de Jean-Vincent Placé ouvrant la crise avec le PS, tandis qu’Europe Écologie s’active contre Notre-Dame Des Landes.

PVE

À Athènes, j’ai suivi deux négociations.

* Sur la Résolution générale « What next for Europe ? »

Excellente résolution, excellente ambiance dans le groupe de négociation, parfois très, très technique (comme sur la garantie directe à offrir aux banques par le MES ou son successeur, le « trésor européen »). Les souverainistes nationaux sont complètement isolés (Anglais , Suédois, Finnois : pratiquement ce sont les mêmes partis verts qui soutiennent la position « pas de solidarité pour les pays du sud ».)

Très gros changement d’attitude des Grünen, par rapport au Conseil du PVE le printemps dernier à Copenhague, dû à de meilleurs, jeunes et sympas négociateurs (surtout -trice !), et à la présence de députés européens allemands avec leurs collaborateurs. En plus s’accroit la conscience (grâce aux analyses du FMI ?) du caractère totalement déraisonnable de l’orthodoxie Merkel.

Enfin, le fait que le Conseil se déroule à Athènes oblige les délégués à écouter le témoignage des verts grecs sur les terribles effets, notamment sociaux, du plan d’ajustement imposé par la « troïka » (Commission européenne, BCE, FMI).

Donc le Conseil adopte une résolution très fédéraliste, et très consciente des problème de l’Europe périphérique. Typiquement, la phrase « laissez deux ans de plus à la Grèce » est remplacée par « le temps qu’il faudra », et « les réformes attendues » sont précisées : pas « marché du travail », mais « fiscalité des riches ».

* Sur une politique européenne des retraites.

Cette négociation reste en cours, mais souffre d’un hiatus entre nous, verts français , qui sortons d’une longue lutte de 2010 où nous avons fait passer l’idée que l’âge de la retraite est une composante de la lutte pour le partage du temps de travail et des richesses, avec conquête de temps libre (y compris par l’allongement, qui reste à terme hypothétique, de l’espérance de vie), et les autres verts européens. Mais il y a un total consensus sur les femmes, la pénibilité, et pour considérer une retraite « décente » comme un droit de la personne, et non du salariat cotisant.

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Grèce

Nous profitons de ce séjour pour revisiter Athènes et revoir mes ancien-ne-s ami-e-s, actifs dans la résistance à la « dictature des colonels » et aujourd’hui au plan d’austérité de la troïka.

Athènes est toujours magnifique : rien à voir avec le désastre absolu de Buenos-Aires au moment du Coralito et de la répudiation unilatérale de la dette argentine.

Vue de près, cependant, la situation est grave. Si la Grèce ne sombre pas, c’est à cause de l’aide européenne et surtout du courage du peuple grec et de ses robustes réseaux de solidarité familiale. L’économie alternative commence à se développer : témoin cette affiche montrant des chômeurs qui, ayant occupé un terrain, entreprennent de le cultiver.

Terrain

On n’oublie pas d’en appeler au soutien des touristes. Des affiches les appellent, dans leur langue, à sauver l’héritage culturel grec contre les coupes du FMI. Hé oui ! Les Grecs considèrent encore l’Europe comme une protection contre le FMI...

Balcon

Nous rencontrons Dina et Kostis, urbanistes-géographes et infatigables animateurs des « Séminaires Égéens », où se retrouve depuis 1983 la fine fleur de la « géographie radicale » latine et anglo-saxonne. Nous rencontrons aussi Maria, la plus brillante de mes anciennes thésardes, l’une des meilleurs économistes grecs, experte auprès de la Commission européenne (sur le marché du travail et le genre). Elle a déjà perdu 40 % de son salaire, et le nouveau plan d’austérité prévoit... un rappel sur ce qu’elle a déjà perçu ! Quant à Kostis, il est à la retraite mais doit attendre un an et demi pour la toucher... Ils nous font un tableau assez précis de la situation politique grecque.

Il y a d’abord les deux grands partis clientélistes traditionnels, responsables de la crise et qui gouvernent ensemble. Nea Democratia, qui a la majorité simple, est un parti de droite ordinaire. Le Pasok au contraire s’est présenté comme « de gauche », et même tiers-mondiste, au temps de la dictature. En réalité, il n’est plus aujourd’hui qu’une autre branche du système clientéliste, allié à Nea Democratia dans la mise en œuvre du plan d’austérité, et totalement discrédité. On pense à la vieille SFIO de « troisième force », atlantiste et anti-communiste, devenue Parti Social-Démocrate puis morceau du centrisme, et qu’illustre aujourd’hui encore André Santini. Quant aux modernistes du Pasok, dont faisait partie, hélas, Georges Papandréou lui-même et surtout l’ancien premier ministre Simitis, ils se répandent en critiques du gouvernement.

Ces deux partis gouvernent avec un petit rameau détaché de la gauche : Dimar, la Gauche démocratique, qui au nom de « l’Europe » leur sert d’appoint parlementaire.

Syrisa est le seul parti moderniste réformateur de la Grèce. C’est le lointain héritier du « Parti communiste grec de l’intérieur » (KKE isotericos) du temps de la dictature qui, dans les années 70, était « eurocommuniste ». Il s’opposait à l’époque au « Parti communiste grec de l’extérieur » (KKE exotericos), c’est-à-dire lié à Moscou.

Cette scission de la gauche entre pro-européens et anti-européens reste totalement d’actualité : le KKE (exotericos), de plus en plus isolé dans des bastions de la classe ouvrière traditionnelle en voie d’extinction, représente toujours la gauche partisane de sortir de l’euro, de l’Europe etc. À l’inverse, Syrisa réaffirme avec force sa volonté de rester dans l’Europe et dans l’euro.

Syrisa polémique avec le KKE, en le sommant (en vain) d’expliquer comment une sortie de l’euro ne se traduirait pas par une baisse massive du pouvoir d’achat des classes populaires. Cela dit, Syrisa n’a pas non plus de solution immédiate pour le rétablissement de la compétitivité grecque : la Grèce échange à 45 % avec des pays proches mais non membres de la zone euro (est européen, Russie, Moyen-Orient) où elle est en concurrence avec la Turquie, et la réévaluation de l’euro depuis le début des années 2000 est la cause essentielle des difficultés économiques de la Grèce…. avec son système clientéliste qui l’empêche de taxer équitablement les riches Grecs.

Enfin, il y a le parti nazi Aube dorée, produit de la crise économique, comme l’était le parti nazi allemand dans les années 30. Mais, souligne Kostis, Aube dorée, qui, comme les nazis, a pour base les prolétaires et commerçants ruinés, trouve appui dans l’idéologie populaire grecque machiste, nationaliste.

Dimar (la Gauche démocratique) a fait le pari qu’aucune négociation n’est possible avec la troïka, et qu’il faut en passer par toutes ses conditions, ce qui se défend. Mais elle n’a pas compris qu’elle s’est alliée avec les partis du clientélisme, principal obstacle interne à la sortie de la crise. Elle a donc beaucoup à se faire pardonner et sera balayée probablement à la prochaine élection. C’est pourquoi elle se montre la plus agressive contre Syrisa, l’accusant faussement d’être antieuropéen, et de n’être que l’aile gauche du fascisme (Aube dorée) : air connu des années 30.

De toute façon, la fragilité du gouvernement actuel est du côté du Pasok et pas de Dimar : son groupe parlementaire se désagrège, et, au prochain plan d’austérité (en mars ?) il est probable que ses députés, tenus par leurs liens clientélistes locaux, quitteront le navire et feront chuter le gouvernement. Ce sera alors l’heure de Syrisa. Il faut espérer qu’à ce moment-là, la troïka se sera rendue compte de la monstrueuse imbécillité du plan d’ajustement actuellement imposé à la Grèce.

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JV Placé

Pendant ce temps nous parviennent les échos suscités par les propos de Jean-Vincent Placé sur l’utilité de la présence des écologistes au gouvernement.

Et naturellement, à notre retour, la presse se répand en commentaires ironiques sur l’instabilité des Verts, sur la jalousie de Jean-Vincent à l’égard des ministres, ou sur ses manœuvres préparatoires au prochain congrès (qui, comme toujours, se gagne "à gauche").

C’est vrai que Jean-Vincent a fait très fort. C’est lui qui en novembre 2011, sans consulter les équipes qui négociaient depuis quatre mois avec le PS, a entériné un accord programmatique très faible, et s’est ensuite répandu pendant des mois dans les médias pour dire que les places étaient plus importantes que les programmes. J’avais néanmoins voté ce programme très faible, car je pensais que sans accord EELV-PS, Hollande avait peu de chances de battre Sarkozy. Ce qui s’est confirmé : le maigre score d’Eva Joly reste supérieur à la marge de majorité de Hollande au second tour.

Mais encore fallait-il se battre pour faire appliquer au moins ce faible programme ! Pourtant Jean-Vincent a intimé l’ordre à nos parlementaires (députés et sénateurs) de voter successivement contre la solidarité européenne (traité MES) puis pour la loi organique transposant le TSCG, c’est-à-dire l’austérité voulue par Merkel, interdisant une transition rapide à l’économie verte. Soit le contraire du programme explicite des Verts européens et d’EELV, et de l’accord avec le PS.

Plus incroyable encore : il a poussé les sénateurs à voter le report d’un an de l’interdiction du bisphénol A ! Or, de deux choses l’une : ou l’on croit à l’innocuité du Bisphénol, et pourquoi l’interdire ? Ou l’on croit à sa toxicité, et pourquoi différer son interdiction ? Il faut bien le dire : c’est pour de simples raisons de bonnes relations avec le Parti socialiste (et avec sa rapportrice au Sénat) que l’on a mis en péril la santé ou la vie de centaines de milliers de bébés.

Bien sûr, le PS n’avait pas besoin de nous, dans aucun de ces trois cas. Il reste que les combats qu’on est sûrs de perdre sont ceux que l’on ne veut pas mener. Bien sûr, Jean-Vincent n’est pas le seul coupable de ces votes, et d’ailleurs certains parlementaires écologistes ont refusé de se plier à ses consignes. Mais celui qui aujourd’hui, du haut de ses responsabilités (il aime à ce que les journalistes le présentent comme le n°2 de Eelv) dit que « la coupe est pleine » est celui-là même qui, avec la n°1, a passé plus d’une année à la remplir.

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Gouvernement

Il est clair aussi que le Parti socialiste, ne rencontrant aucune opposition de son allié, en rajoute couche après couche. L’exemple du « pacte de compétitivité » n’est probablement pas le plus grave mais il est le plus spectaculaire : il est imposé sans aucune discussion avec nous (ce qui, on l’a vu, n’est plus très grave), ni surtout aucun débat dans la société .

Ce n’est pas le recours à la TVA qui est le plus grave. Depuis 1992, les écologistes expliquent qu’en matière de prélèvements obligatoires, la seule mesure de protection de la compétitivité est le basculement des cotisations sociales sur la TVA. Pour une raison bien simple : c’est le seul prélèvement déductible à la frontière ! Transformer des cotisations en TVA est bon pour les entreprises exportatrices et fait porter la charge sur l’ensemble des revenus distribués, profits compris.

Rappelons que les consommateurs français paient aussi bien les cotisations sociales que la TVA, dans le prix de ce qu’ils achètent. Basculer les unes sur l’autre est neutre pour la moyenne des produits nationaux. En revanche, les consommateurs étrangers ne paient plus le prix de la protection sociale française, ce qui rend un peu de compétitivité à nos exportations. En contrepartie, cette réforme augmente certes le prix des produits importés : mais c’est exactement ce que demandent les « démondialistes » !!

Au lieu de quoi, le « pacte Ayrault » inflige, aux consommateurs, et les cotisations sociales, et la hausse de la TVA, tandis qu’on offre aux entreprises (pas spécialement exportatrices) un crédit d’impôts sur leurs bénéfices…

Cela dit, une pure mesure fiscale ne peut être qu’une bouffée d’oxygène pour nos industries exportatrices. Le problème est beaucoup plus profond, et je le dénonce depuis des décennies : le choix, fait par le capitalisme français, de la compétitivité à coups de bas salaires plus tôt par la formation professionnelle, la qualification et l’implication des travailleurs, le choix d’écraser les sous-traitants plutôt que de nouer avec eux des rapports de partenariat. Ce choix remonte à la fin de la période fordiste (fin des années 70). Il s’est malheureusement confirmé dans la lutte entre deux voies des années 80, au début de la mise en place du modèle libéral productiviste.

Faut-il dès lors quitter le gouvernement ? Le sociologue Albert Hirschman a consacré un livre célèbre à ce type de problème : Exit, Voice and Loyalty. Quand on a intégré un ensemble plus vaste que soi et que l’on en est mécontent, on a le choix entre trois solutions : s’écraser par fidélité (loyalty), protester et se battre de l’intérieur (voice), s’en aller (exit). Avant de brandir la menace de l’exit, il serait temps que nos parlementaires et ministres fassent entendre leur voix !

Tant qu’un combat n’aura pas été mené, devant l’opinion, pour éviter le déraillement du gouvernement Ayrault, les sorties à la JVP n’apparaîtront que pour ce qu’elles sont : de petites manœuvres politiciennes, noyées dans le buzz permanent des petits jeux de rôle déconnectés du tragique de ce XXIe siècle débutant.

L’écologie politique a vraiment besoin aujourd’hui d’en revenir au fond, au combat pour les politiques de sortie de crise. Le parti de l’écologie a besoin aujourd’hui, avant tout, d’une véritable réforme intellectuelle… et morale.

Tout cela dit, austérité ou pas austérité, et encore plus s’il y a austérité, les choix sur l’utilisation de l’argent public doivent devenir de plus en plus rigoureux. Or, les choix du gouvernement sont malheureusement de plus en plus clairs : dépenser plus pour le modèle périmé fondé sur le pétrole, la voiture et les avions, et faire des économies sur les transports en commun.

Le projet d’aéroport Notre-Dame Des Landes n’est pas seulement criminel contre les paysans et leurs terres. Il l’est encore plus vis-à-vis du combat contre l’effet de serre, et il est même tout simplement absurde du point de vue de la rationalité des choix budgétaires.

Voilà pourquoi les écologistes, tous ensemble, se retrouvent aujourd’hui dans le combat contre Notre-Dame des Landes !

PS Et un grand bravo à Stéphane Gattignon qui l’a "ouvert" ... en faisant la grève de la faim !



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