La semaine dernière je racontais les difficultés de campagne d’Eva Joly avec la direction de EELV, notamment sur la question alimentaire. Avec le meeting de lancement de la campagne, à Roubaix, des points importants sont marqués sur ce front. Par ailleurs, en tant que délégué à l’Economie Sociale et Solidaire et à l’Alimentation, je commence à être sollicité par les divers lobbies. La semaine dernière : la Coopération agricole et une firme de sodas.
Le meeting de Roubaix, qui coïncide avec la publication du programme d’Europe Ecologie Les Verts, Vivre mieux, et du propre programme présidentiel (pas très différents !) marque un véritable sursaut.
D’abord l’énorme réussite du meeting : 1600 personnes ! Bonne idée de commencer par Roubaix : région chaleureuse, ville pionnière de la reconversion industrielle et de la politique de la ville...
Cela commence par un témoignage de trois intervenants : sur le féminisme, l’expérience d’Emmaüs et l’expérience de France Nature Environnement. Ces deux dernières interventions marquent l’entrée de la crise alimentaire dans la campagne, par son interaction avec la crise du logement. Oui, les couches populaires, énormément ponctionnées pour leur logement, n’ont plus de quoi se payer une nourriture saine, et cela dans la France du 21ème siècle ! C’est l’inverse des Etats-Unis, où la crise alimentaire et la crise de l’énergie ont déclenché la crise des subprimes.
Suit une série d’interventions, souvent intéressantes ou amusantes, mais le total est un peu long. Eva conclut, à la fin d’un meeting de 3 heures et demi : c’est beaucoup trop ! Près d’un tiers de la salle est debout, certains, épuisés, sont déjà partis. Il faudra régler "ce détail".
Cette fois, Eva ne lit pas un discours, mais enchaîne des improvisations à partir de son expérience et du programme : c’est beaucoup mieux. Bien sûr elle n’est pas une oratrice, mais sa force de conviction impressionne. Le passage propositionnel le plus applaudi est, bien entendu, dans cette région pauvre, l’engagement sur le bio dans les cantines ! Elle s’appuie sur l’intervention de Marc Dufumier à la Convention Agriculture EELV à Caen, où elle avait prononcé un beau discours.
Difficile de trouver meilleur parrain. Marc vient de publier un livre remarquable, sorte de testament de ce grand agronome mondialiste : Famine au Sud, Malbouffe au Nord. Comment le bio peut nous sauver Lecture obligatoire, interro écrite le 14 mars, vous êtes prévenus. Pourquoi le 14 mars ? parce que le 15 sortira mon livre… lecture tout aussi obligatoire.
Hélas ! La presse reste hostile à Eva, et particulièrement Libération, avec qui l’équipe de campagne s’est brouillée à propos des Etats Généraux de Grenoble. Samedi matin, avant le meeting, Libé consacre deux pages d’interviews de dirigeants de EELV partagés entre ceux qui continuent la campagne d’Eva "en serrant les dents", ceux qui veulent la débarquer au profit de Cécile Duflot, ceux qui veulent la débarquer tout court au profit de Hollande. Apparemment, Libération n’a trouvé aucun dirigeant pour dire qu’elle est bonne, qu’elle a le meilleur programme, qu’elle a l’image la plus résolue et incorruptible ! L’article après le meeting est un peu plus sympathique mais pas encore convaincu. En revanche, celui du Monde est très bon et décrit bien l’ambiance du meeting.
Je suis invité à une discussion avec les dirigeants de Coop de France, la fédération des coopératives agricoles.
La coopérative en France regroupe 60% des paysans. Elle leur fournit les "intrants", mais aussi collecte leurs produits pour les commercialiser. Je découvre ainsi les dizaines de marques coopératives agricoles : Viva, Yop, Candia, ou encore le pain Jacquet (du redoutable Limagrain...) Une discussion de haut niveau et sans langue de bois, où j’aborde d’emblée les questions qui fâchent.
D’abord, côté Économie sociale, sur la coopérative. Depuis les années 70 et la "grève du lait » du Finistère, beaucoup de paysans critiquent leur propre coopérative en tant qu’employeur intégrateur pas différent des autres. Mes interlocuteurs certifient que c’est en train de changer et qu’en tout cas la participation aux assemblées générales n’a rien à envier à la démocratie représentative. Mais ils se plaignent, sans doute avec raison, que la fixation des prix à Bruxelles, et la disparition des corps intermédiaires tels que la Jeunesse Agricole Chrétienne entravent la transmission de l’esprit coopératif.
Bon, 2012 est l’année mondiale des coopératives, et Coop de France a publié un manifeste
J’aborde alors la question pour moi centrale, la qualité de la nourriture. J’explique notre projet de transition au bio, et le fait que cette transition ne peut pas s’appuyer uniquement sur l’outil associatif (AMAP d’un côté, associations de l’agriculture biologique de l’autre). Pour que la commande publique collective (celle des cantines scolaires, des hôpitaux, etc...) tourne à plein régime, il faudra une filière aux structures solides, et nous ne voyons que la coopérative.
En fait (dis-je) la coopérative doit retrouver, dans le tournant historique vers le bio et face au défi de la crise alimentaire mondiale, l’esprit militant et pionnier qui fut le sien dans les années 40/50, lors de la modernisation agricole et de la révolution du tracteur.
Mes interlocuteurs m’écoutent avec une grande attention. Ils savent que toutes les coopératives agricoles ne sont pas sur la même ligne. Ils me signalent les accords passés par des coopératives de l’Ouest avec trois facultés d’enseignement agricole pour approfondir la recherche sur l’agriculture écologiquement intensive.
Je rencontre ensuite la firme X qui produit des boissons non alcoolisées. Il s’agit d’une célèbre moyenne entreprise française originaire du Midi, absorbée par une firme anglaise, achetée par un fonds de pension, puis revendue à des collègues japonais.
Un peu étonné d’avoir été sollicité par une firme pour une élection présidentielle, je retrouve mon point de vue de chercheur.
D’abord, qu’est ce que ça leur a fait de passer sous la coupe de Japonais ? "Ils nous laissent la paix et nous aident à financer le rachat de nos 4 usines d’embouteillages… - Et qu’est ce que ça change pour vous ? - On peut améliorer la qualité, on peut mieux contrôler la qualité et travailler en juste à temps… »
Mais n’est-ce pas là justement une caractéristique de l’organisation industrielle à la japonaise ? Et je pense que c’est plutôt une bonne chose. D’ailleurs l’entreprise X se développe, embauche.
On en vient à la qualité de la boisson. L’entreprise X a signé avec le Ministère de la Santé, dans le cadre du Programme National Nutrition Santé 2, un accord pour la réduction progressive du sucre ajouté dans ses boissons. Mon interlocutrice m’explique que la demande pour une alimentation plus saine (moins sucrée, moins salée, moins de graisse...) est très claire dans les sondages, mais pas du tout quand on essaie de modifier le goût des produits ! X doit y aller très doucement : 1% de sucre en moins par trimestre. En compensation on rajoute des fruits, mais c’est plus cher ! Et du coup les ménages pauvres se détournent vers le bas de rayon : les marques des distributeurs, moitié moins chères mais de médiocre qualité nutritive.
Je pose la question de l’aspartame. Là ça coince un peu : " Nous supprimons progressivement l’aspartame mais nous ne communiquons pas dessus car ce serait aller contre le code d’éthique que nous avons avec les autres firmes et contre la jurisprudence : de la publicité comparative, du dénigrement. Par ailleurs, nous ne sommes pas vraiment sûrs que l’aspartame soit dangereux. Il y a des études dans tous les sens."
Je m’insurge. Tout d’abord, nous savons très bien que, pendant des décennies, l’industrie est capable d’opposer des contre-études aux études prouvant la dangerosité de tel ou tel produit (le cas de l’amiante est le plus scandaleux). C’est pourquoi le principe de précaution tend à remplacer les anciennes règles phytosanitaires, fondées sur la certitude des risques épidémiologiques.
Par ailleurs, s’il existe vraiment un accord entre les firmes de la boisson non alcoolisée pour ne pas utiliser comme argument publicitaire une évolution vers une nourriture plus saine, alors il s’agit là carrément d’un accord de cartel anticoncurrentiel, analogue aux accords entre les firmes de tabac pour ignorer les études qui depuis des décennies révélaient la dangerosité du tabac. Et je serais bien étonné qu’il existe une jurisprudence confirmant que se dire « sans machin ajouté » (cosmétique sans parabène, lessive sans phosphate, etc) soit du « dénigrement ». Je constaterait d’ailleurs que les magasins U (une coop…) communiquent à pleins pages sur l’élimination de l’aluminium dans les cosmétiques.
S’ensuit une discussion fort intéressante sur les comportements des consommateurs pionniers, puis l’apparition des marques de qualité (j’apprends qu’une enseigne de grande distribution va ouvrir des magasins de produits "sans", c’est à dire sans sucre, sans OGM, sans additifs chimiques...) puis la généralisation, en tant qu’obligation, à tous les produits de consommation.
Nous nous quittons à 13h30 en ayant sauté le déjeuner, après 2h30 de discussion serrée ! Je ne m’attendais pas à avoir une discussion aussi intéressante avec une lobbyiste ! Nous nous promettons de nous revoir... après les campagnes présidentielles et législatives.
Ah oui ! En 2 minutes nous nous mettons d’accord sur le fait que la taxe contre les boissons sucrées est idiote, une pure taxe de rapport. Si on avait voulu en faire une écotaxe, elle aurait du être modulée, comme les taxes sur l’alcool, en fonction du taux de sucre ajouté.