Le New Deal Vert, seule solution.
par Alain Lipietz

lundi 8 décembre 2008

Jamais comme cette semaine je n’ai autant pris conscience de l’avance considérable des Verts quant aux solutions à la crise mondiale. Je ne raconterai pas ce qui se passe à Poznan, à la conférence sur le climat. Je sais que ça ne se passe pas bien, du fait des résistances du vieux monde et en particulier de l’Allemagne et des anciens pays « socialistes ». Au Parlement européen, la commission Économique et monétaire louvoie. Alors que le Parti socialiste français s’enfonce dans la crise, les Verts, malgré toutes leurs contradictions, se trouvent facilement une majorité à 71% à leur assemblée générale désormais triennale.

Économie

Lundi et mardi, débat en commission Économique et monétaire, d’une part sur mon rapport sur le prix du pétrole, d’autre part sur l’harmonisation des garanties à apporter aux banques.

Mon rapport est vivement attaqué par le PPE écossais John Purvis, très libéral et très anti-européen. J’y écris essentiellement qu’il y a une composante structurelle dans la hausse du prix du pétrole des 40 derniers mois, due à la montée de la demande des pays émergents, face à une ressource épuisable (mais loin d’être épuisée) dont l’offre ne peut augmenter à la même vitesse) ; une dimension conjoncturelle (qui explique que le prix du pétrole commence à baisser lorsque, en août-septembre, la crise des subprimes s’aggrave), et enfin une composante spéculative qui explique qu’en 4 mois, le pétrole chute de 146 à 40 dollars le baril alors que les prospectives de l’économie mondiale pour 2009 n’affichent qu’un ralentissement de la croissance de +5 à +3%. Manifestement, la bulle spéculative a crevé, et les fonds spéculatifs liquident leurs engagements sur les options « futures » du prix du pétrole. (En 4 ans le marché des « futures » sur le pétrole avait augmenté de 460% quand le volume effectivement vendu augmentait de 8% ! Comme on dit, la spéculation n’était que « l’écume » de la vague de hausse du pétrole, mais au moment du ressac cette écume pèse lourd…)

John Purvis refuse énergiquement et la dimension structurelle (« on trouvera toujours du pétrole, par exemple au Groenland dégagé des glaces » !) et la composante spéculative : « puisque la bulle spéculative est crevée, ce n’est plus la peine d’en parler ». Sic !

Telle est la vraie opposition à laquelle un Vert a affaire, encore aujourd’hui, au Parlement européen… Cela n’a rien à voir, contrairement à ce que croit un de mes correspondants), avec une polémique interne aux Verts, entre ceux (ultra-minoritaires) qui croyaient voir le pic de Hubbert et ceux (ultra-majoritaires parmi les économistes de l’environnement) qui n’y croyaient pas pour le moment.

Deuxième débat : sur la fixation d’un minima de 100 000 euros de garantie par les Etats nationaux pour les dépôts en banque. C’est un vote assez important : les engagements des Etats nationaux en faveur des dépôts bancaires ont été décisifs pour enrayer la crise financière et l’effondrement des banques. Mais en même temps, ils ont introduit de la concurrence faussée (équivalente à la concurrence fiscale) à l’intérieur de l’Union européenne, puisque tous les pays ne donnaient pas la même garantie à leurs propres banques. La proposition du rapporteur est de fixer un minimum de 100 000 euros, et pas de maximum. J’approuve cette position, car il est inutile de fixer un maximum. Les très riches qui ont plus de 100 000 euros dans une banque n’ont qu’à ouvrir un compte dans une autre banque.

J’apprendrai plus tard que l’Islande (qui ne fait pas partie de l’Union européenne) est tombée en faillite justement parce que l’État ne parvenait plus à assurer la garantie des dépôts bancaires : on ne pouvait plus retirer d’argent dans les distributeurs automatiques ! Curieusement, l’Islande a demandé de l’aide non pas à l’Union européenne mais séparément à la France, puis à l’Allemagne, etc, qui ont toutes refusé ; c’est la Russie qui lui a prêté cash 2 milliards avant que l’Islande ne se tourne vers le FMI. Contrairement à ce que pensait la semaine dernière le commissaire Almunia, le numéro de téléphone de l’UE n’est pas suffisament connu.

Assez curieusement, plusieurs députés sont gênés par cette histoire de garantie, et le vote est reporté à la semaine suivante.

En fin de semaine on apprend de Paris le « plan de relance » de Sarkozy : 26 milliards d’euro, dont 11 ne sont que des avances de paiement des contrats publics d’habitude payés avec retard ! Soit en fait 15 milliards d’argent frais qui vont accroître la dette publique (heureusement que le pacte de stabilité à été assoupli !) Par comparaison, les cadeaux fiscaux au plus riches accordés par la loi TEPA représentent 15 milliards… par an ! D’un coup, à l’été 2007, Sarkozy avait ruiné l’Etat français pour la durée de sa mandature, et se trouve fort dépourvu quand la bise est venue.

++++Israël

La grande affaire au Parlement européen cette semaine, c’était le vote de l’accord de coopération euro-israélien. L’Union européenne venait d’envoyer une délégation dans les territoires occupés, avec à sa tête Dany Cohn-Bendit, qui en est revenu horrifié. La proposition de Dany était donc de ne pas voter la résolution législative par laquelle le Parlement européen doit donner son « avis conforme » aux traités internationaux conclu par l’Union avec des pays tiers.

Mais, en collaboration avec la GUE, les Verts se décident à proposer encore mieux : le renvoi de l’accord pour examen en commission des Affaires étrangères, jusqu’à ce que Israël se décide à traiter dignement les habitants des territoires occupés.

Le vote a lieu en début de séance plénière jeudi. À une nette majorité (194 contre 173) , le renvoi en commission est adopté par les Verts, toute la gauche, et une partie significative de la droite.

++++Green Deal

Face aux hésitations de la droite à Poznan, Bruxelles ou Paris, face au néant socialiste, la réponse des Verts depuis le début de la crise : le New Deal Vert, apparaît de plus en plus comme la seule solution à la crise.

Un petit mot de terminologie : nous disons au niveau du Parti vert européen, dont la langue veranculaire est l’anglais, Green Deal. En franglais, traduire par « deal vert » sonne maffieux. En revanche, New Deal est associé dans les têtes à la politique anti-crise de Roosevelt en 1930, qui fut la réponse correcte à une crise du libéralisme pré-fordien. La différence avec le New Deal des années 30, c’est qu’on doit répondre en plus à la crise écologique. C’est-à-dire que face à la décroissance générale provoquée par la crise, la relance doit être sélective : faire décroître tout ce qui pollue et faire croître tout ce qui améliore la qualité de la vie de manière soutenable à long terme par l’écosystème planétaire.

Il faut être honnête, nous n’avons pas encore, nous les Verts, la totalité des éléments du New deal Vert. Le problème principal est que, par rapport au New Deal rooseveltien, qui contrairement à ce que l’on croit, n’était pas principalement basé sur la dépense publique comme la Tennessee Valley Authority, mais sur les conventions collectives du Wagner Act et la réforme bancaire du Glass-Steagall Act, nous avons besoin, pour une relance et une reconversion verte des industries polluantes, de nouveaux montage et formes de régulation qui n’existent pas encore. Car la « demande effective verte » viendra principalement des collectivités (transports en commun, isolation thermique des immeubles, fermentation des déchets, etc). Or ces collectivités sont souvent aussi ruinées que les ménages atteints par la crise des subprimes. Il faudra donc inventer des mécanismes de financement pour les collectivités luttant contre l’effet de serre. Mais ce n’est pas très difficile à imaginer et nous avons déjà de nombreuses idées (centrées sur la Banque Européenne d’Investissement, le marché des quotas de réduction des gaz à effet de serre, etc).

Autre point de terminologie : les plus radicaux des Verts répètent en boucle le mot « décroissance », terme qui m’agace profondément par son caractère quantitatif et imprécis. J’ai toujours, avec René Dumont, combattu le mot « croissance » et j’ai toujours préféré celui de « développement » ; de la même façon, je m’opposerai au mot « décroissance » sans qualificatif, préférant mille fois l’expression « développement soutenable ».

++++Verts

Ce qui nous amène à l’AG des Verts, qui a eu lieu vendredi et samedi à Lille. L’une des tendances vertes, Ouverture, Audace, Imagination (OAI) m’a fait l’honneur de me choisir comme tête de liste nationale de ses candidats au CNIR (le parlement des Verts). J’interviens à plusieurs reprise pour expliquer qu’il nous faut rechercher la synthèse la plus large possible. Il serait absurde d’être sectaire à l’intérieur des Verts quand nous tentons une ouverture extrêmement large à tous les écologistes dans la liste Europe Écologie. Cela n’empêche pas d’exprimer des divergences au sein des Verts. Ces divergences vont d’ailleurs se traduire par le fait que deux minorités restent à l’extérieur de la synthèse.

À la première des minorités (Yves Cochet, Denis Baupin), j’explique à plusieurs reprises qu’elle aurait fort bien pu être dans la synthèse et qu’elle n’a qu’à s’en prendre à elle même. Jusque tard dans l’année, ce courant a vaticiné sur l’épuisement à court terme du pétrole, alors même que le prix de celui-ci avait commencé à s’effondrer. Au nom d’une vision apocalyptique de la crise écologique, ils écrasaient de leur mépris les autres courants, traitant par exemple mon texte « L’audace et l’ouverture » qui, cet été, avait servi de base à une unification partielle des Verts, de « pipi social-démocrate verdâtre ». Surtout, jusque tard dans la nuit de l’Assemblée Générale, ils avaient exigé la dissolution des Verts, avant la refondation d’un mouvement écologiste plus large. J’ai dû expliquer que, dans l’élargissement et l’unification des écologistes, les Verts jouaient un rôle « dirigeant », non pas en dictant aux autres avec arrogance ce qu’il convenait de faire, mais par la valeur de leurs propositions et l’exemple de leur travail.

L’autre tendance restée à l’écart de la synthèse pose d’autres problèmes. Ce courant, ADEP (Ecologie populaire), se considère comme l’extrême gauche des Verts et considère notre courant, OAI, comme son centre gauche. Je ne discuterai pas sur cette façon de ranger nos positions : eux ont pour la plupart voté pour le maintien du traité ultralibéral de Maastricht-Nice, tandis que nous, OAI, avions fermement milité pour les avancées démocratiques du TCE et du traité de Lisbonne. Mais enfin… ça fait longtemps que j’ai renoncé à obtenir un peu de rationalité dans cette affaire.

Non, le problème est venu d’ailleurs : le plus gros courant de la synthèse, Espoir En Actes, a joué vis à vis du courant ADEP un rôle plutot provocateur, la secrétaire nationale Cécile Duflot allant jusqu’à leur dire : « Je me considère à équidistance entre Antoine Waechter et José Bové. C’est le ralliement du MEI au rassemblement des écologistes pour les européennes qui le crédibilise dans l’opinion publique ». Cécile Duflot ne doit pas aller souvent sur le terrain : la perspective de voir rappliquer Waechter et le MEI (que nous ne pouvons évidemment pas empêcher) joue plutôt le rôle d’un épouvantail pour la plupart des écologistes fidèles à la pensée de René Dumont et qui ne conçoivent qu’une écologie à gauche.

Bref, les militants d’ADEP, tout en nous assurant de leur soutien pour les années à venir, préfèrent rester à l’écart de la synthèse, et, à la tribune, font de la surenchère anticapitaliste. Je dois leur expliquer que la crise actuelle n’est pas celle du mode de production capitaliste, mais tout au plus celle d’un modèle de développement parmi d’autres du capitalisme, le libéral-productivisme. En supposant même que l’on ne sorte pas de la crise par une variante libérale à peine réformée, ni par une variante dirigiste autoritaire (comme les fascistes et les staliniens étaient sortis de la crise des années 1930), le New Deal Vert sera une variante plus démocratique, plus égalitariste, plus planifiée, et plus écologiste du capitalisme, mais il y aura toujours des rapports marchands et du salariat, ce sera donc toujours du capitalisme. Il ne faut pas se tromper de cible.

Mon coup de gueule que j’avais oublié. Le DAL a écopé de 13000 euros d’amende (84 500 francs) pour avoir installé des SDF dans des tentes sur la voie publique. Depuis un SDF meurt de froid presque tous les jours. Les « terroristes » de Tarnac sont relâchés faute de justification les uns après les autres. Free continue à prospérer après avoir fait embastiller le directeur d’une publication qui avait publié une lettre de lecteur jugée désobligeante. Oui, le sarkozysme devient un dirigisme, mais il n’est pas plus à gauche pour autant.

photo theyuped, sous licence CC.



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