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[1998a] Livre - La société en sablier, suivi de : " 1998 : l’audace après l’enlisement ? ", rééd. en poche avec nouvelle postface La Découverte, Paris.

(art. 315).


par Alain Lipietz | 1998

Préface
La société en sablier
Le partage du travail contre la déchirure sociale.
[1998a] Livre - La société en sablier, suivi de : " 1998 : l’audace après l’enlisement ? ", rééd. en poche avec nouvelle postface La Découverte, Paris.

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Préface

Dix-huit mois se sont écoulés depuis la première édition de La Société en Sablier. Dix-huit mois au cours desquels l’histoire sociale de la France s’est peut-être à nouveau inversée.

J’avais écrit ce livre au sortir du grand mouvement de grèves de novembre-décembre 1995. Une "bataille d’arrêt" où le dernier bastion du salariat à statut avait crié " Stop. Cette fois c’est trop ". Je voulais analyser le nouveau modèle de développement économique qui se mettait en place inexorablement, cette " société en sablier " qu’ils refusaient. Et je proposais quelques pistes pour recoudre une société déchirée, la piste principale étant le partage du travail. Un an après le mouvement de 1995, la fraction la plus atomisée du salariat, les chauffeurs de poids lourds, partaient à l’offensive pour réduire le temps de travail. Les solutions que je proposais, autour du " partage du travail ", s’en trouvaient validées. Quelques mois encore, et une nouvelle majorité " plurielle ", alliance de la gauche et des Verts, accédait aux responsabilités. Son programme recoupe assez largement les propositions de ce livre.

Oui, entre novembre 1995 et aujourd’hui, quelque chose semble avoir basculé. Le sociologue Alfred Hirshman parle de ces grands cycles de vingt ans de la mobilisation collective, entre solidarité et individualisme. Sans doute avions-nous franchi en 1995 le point bas du repli sur soi et du désespoir. Peu après sortait le beau livre de Viviane Forrester, L’horreur économique. Un réquisitoire qui se refusait à toute solution. Son succès fut considérable, il marqua sans doute le coup de pied au fond du lac du nageur qui coule.

Encore fallait-il avoir des raisons d’espérer. Dans le même temps paraissait la traduction française du livre de Jeremy Rifkin, La fin du travail, qui, lui, théorisait l’impossible retour à l’emploi. Dans La Société en Sablier, je critiquais déjà durement les analyses de Rifkin, d’après l’édition anglaise . Non, le travail n’est pas en voie de disparition, ce qui disparaît, c’est un type de rapport salarial stabilisé, conquête du milieu de ce siècle ; ce qui se développe, c’est un travail précarisé dans une société inégalitaire, un grand retour à l’Avant-guerre. Mais ce désastre n’a rien d’inéluctable, et j’avance dans ce livre les voies d’une alternative réaliste, d’un réformisme radical.

Aujourd’hui les thèses de Rifkin sont purement et simplement démenties par les faits. Jamais il ne s’est créé autant d’emplois aux états-Unis que depuis la sortie de son livre. Mais ce sont des emplois bien plus médiocres que " ceux d’avant ", et c’est cela le problème. Reste à se convaincre que même cela n’est pas inéluctable. Si 1995 a marqué le point-bas de la désespérance, si 1997 a vu en France revenir l’espoir, nous ne sommes pas remontés très haut. Alors même que les propositions du présent livre, portées pendant des années par des minorités de plus en plus découragées, commencent à connaître un début d’application, la " culture du désespoir " de 1995, celle qu’exprimaient si bien Forrester et Rifkin, est loin de s’être dissipée. " "a ne marchera jamais, puisque le travail disparaît, puisque la mondialisation� ", " ça ne peut pas marcher, puisque le gouvernement Jospin sabotera nos propres propositions ".

Je comprends cette culture du désespoir, trop justifiée par tant de reniements et de défaites depuis les années quatre-vingt. Déjà, Ignacio Ramonet, dans son éditorial du Monde Diplomatique de Février 1998, " La France cassée ", sonne le glas de l’expérience de la gauche plurielle. L’enlisement serait déjà là, l’audace abandonnée par Lionel Jospin " dès le lendemain de son élection ".

Certes, l’éditorialiste est dans son rôle de Cassandre. Comme le dit un personnage de Shakespeare, dans Troûlus et Cressida, " La peur aveugle voit plus loin que la raison raisonnable. Craindre le pire, souvent, c’est prévenir le pire ". Mais, je le dis calmement, lectrices et lecteurs, comme je le répète à chacun de ces débats où je défends et critique le gouvernement de la gauche plurielle, vient un moment où l’excès de défiance face aux obstacles devient lui-même un obstacle, où l’appel à la vigilance se fait discours de démobilisation. Circulez, il n’y a plus rien à faire.

Le psychosociologue Gérard Mendel dénonçait naguère les deux périls qui guettent quiconque entreprend de changer le monde autour de lui : la " peur du père " et le " narcissisme blessé ". La peur du père, c’est la peur du système mondial tout-puissant, qui triomphait encore dans la " culture de 1995 " et dont nous ne sommes pas tout à fait sortis. Mais déjà, après huit mois de réformes, nous guette le narcissisme blessé : " C’est donc seulement pour ça que j’ai lutté si longtemps ? Je ne reconnais pas cet avorton ". Ce sont deux bien grands alliés de l’ordre existant que la peur du Père et le narcissisme blessé. Et pourtant ils sont aussi le produit de notre lucidité, ils sont les frères jumeaux de notre exigence�

En décembre dernier, je rencontrai par hasard un ami, grand économiste du tiers monde. " Alors, me demanda-t-il, quand allez- vous quitter ce gouvernement néo-libéral ? - Mais attends un peu ! C’est quand même encore l’extrême gauche des gouvernements du monde ! " Et devant son scepticisme, je l’interrogeais " Alors ? Quel gouvernement est aujourd’hui plus à gauche que le gouvernement Jospin ? ". Il réfléchit longtemps et hasarda : " Mandela ? ". Je souris. Lui aussi. Tristement.

Il faudra apprendre un jour à sourire joyeusement de notre narcissisme blessé. Parce que c’est la condition même pour aller plus loin. à celles et ceux qui préfèrent encore l’analyse précise des obstacles et des avancées pour mieux mesurer ce qui reste à accomplir, ce livre est destiné. Il est ici reproduit tel qu’il fut publié, et j’ai renvoyé dans une postface un premier bilan critique de ce qui est, au moins pour une petite part, sa postérité : l’accord Verts-PS et les huit premiers mois de la " gauche plurielle ".

Après mûre réflexion, j’ai titré cette postface : Quatre-vingt dix-huit. L’audace après l’enlisement ? J’espère, dans mon prochain livre, ne pas avoir à répondre non. Mais cela ne dépend ni du gouvernement Jospin, ni de sa ministre Voynet, ni de la poignée de députés Verts. Cela dépend de nous tous.




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