La municipale d’Aix. Le départ de Martine.
par Alain Lipietz

dimanche 26 juillet 2009

Pendant les vacances d’un retraité, on s’occupe enfin de ses petits enfants, mais on travaille encore un peu. J’ai rédigé la préface (cliquer ici) d’un livre remarquable du regretté Giovanni Arrighi, Adam Smith in Beijing, à paraître à la rentrée aux éditions Max Milo, j’ai donné une interview à La Tribune sur "Le monde d’après" (la crise), j’ai écrit un texte sur la formule des "X-Écologie" (le modèle Europe Écologie est-il transposable aux futures élections, comme les régionales ?). Et je reviens ici, comme promis dans mon billet précédent, sur deux péripéties vertes de Juillet, l’élection d’Aix et le départ de Martine Billard.

Aix

L’élection municipale partielle d’Aix en Provence illustre les possibilités ouvertes par le succès d’Europe-Écologie, tout en soulignant leurs limites et les difficultés.

La maire très sarkozyste Maryse Joissains avait été réélue en 2008 dans une bataille complexe contre la gauche (emmenée par le socialiste Alexandre Medvedowsky), le MoDem.(de Peretti) et une scission de sa propre majorité sortante de droite (Salord). Elle avait été invalidée pour graves insultes publiques envers ses concurrents. Motif pas très fort, et les électeurs reconduisent le plus souvent des élus invalidés pour pire que ça (la fraude à la chaussette…).

Aussitôt connue cette décision du Conseil d’Etat , le préfet organisa un élection-expresse… pendant le week-end du 14 juillet ! Résultat imparable : autant d’abstention qu’aux européennes, pour une élection municipale, censée être la plus « proche des gens » et la préférée des Français.

Cette fois le PS, toujours emmené par Alexandre Medvedowsky, sous la pression de son dirigeant des Bouches du Rhône, Jean-Noël Guerini, avait fait alliance dès le premier tour avec le MoDem. Les écologistes partaient en dispositif « Aix-Écologie », avec à leur tête un militant de Regions et Peuples Solidaires, l’occitaniste Hervé Guerrera. La « gauche de la gauche » (NPA-PCF-PdG) s’était unie en une autre liste.

La liste Aix-Ecologie , que je suis allé soutenir, était extrêmement sympathique, compétente et solide, étoffée par des associatifs particulièrement actifs, souvent dissidents du PS. J’ai fait avec elle un débat dans un restau en plein air, sur l’économie. L’animateur, un socialiste dissident, pilier local et vieux complice de l’économie sociale et solidaire, nous demanda en conclusion, à Hervé Guerrera (grand amateur de Frédéric Mistral) et à moi (grand amateur de Stéphane Mallarmé) de dire un mot sur l’amitié de ces deux poètes…

Quoique dépassé par EE aux élections européennes, le PS-MoDem a fait toute sa campagne sur le thème « vote utile ». La suite prouvera que non. Mais beaucoup des électeurs de gauche restés en ville le crurent. Première piqûre de rappel : le résultat d’EE ne garantit pas un succès identique à chaque élection où les écologistes adoptent le même dispositif. Le mode électoral (proportionnel ou non), la notoriété et l’expérience supposée comptent énormément dans les élections locales. Résultat : Maryse Joissains arriva largement en tête au premier tour (43,3%), d’autant plus facilement qu’il n’y avait pas de liste d’extrême droite, devant la liste PS-MoDem (34%), laquelle distançait largement Aix-Ecologie (11,3%).

Ce score d’Aix-Écologie est incontestablement décevant par rapport à celui d’Europe Écologie (20%). Mais le bond en avant reste très significatif : même aux municipales, les Verts en liste autonome « pesaient » auparavant 4% des voix sur Aix. Le groupe vert local avait connu des scissions dans la période récente (et pas seulement la « scission Bennahmias »), plusieurs de ses anciens animateurs se retrouvant sur les autres listes. La presse régionale a quasi boycotté l’existence de notre liste dans cette campagne ultra-courte. Et pourtant, cette fois, avec plus de 10%, les écologistes étaient en droit de se maintenir au second tour ou de négocier chèrement une fusion. Bref, la formule « X-Écologie » permet aux écologistes une autonomie qui n’existait pas toujours auparavant.

Et la « gauche de la gauche », enfin unie ? 4,2%. Oui, vous avez bien lu ! Même pas 1,5 % pour chaque parti qui la composait. L’effet « vote utile » l’a presque anéantie : elle n’avait même pas le droit de fusionner au second tour avec une autre liste.

La dissidence de droite ayant fait 7%, Maryse Joissains était réélue sur le papier, car les électeurs de Salors n’avaient guère de raison de partager l’inimitié de celui-ci à l’égard de Joissains. Mais on pouvait encore bâtir une coalition pour offrir à Aix une alternative progressiste avec forte présence écologiste, et quelques chances de succès si le rassemblement se faisait mal à droite. Aix-Ècologie n’hésita pas, et fusionna dans une liste qui lui faisait une large place, lui permettant d’espérer mener d’importantes politiques publiques.

C’est alors que porte-parole de la liste « trrrès à gauche », Pierre Bachman, déclara : « La gauche sort affaiblie de ce scrutin…[ce qui était parfaitement exact, s’agissant du PdG, du PC et du NPA !]. L’alliance avec le MoDem… non seulement n’était pas nécessaire, mais elle est dangereuse pour l’avenir. Le seul discours anti-Joissains, même de la part de responsables de droite, ne fait pas une politique de gauche ». Bref, les rrrévolutionnaires suggéraient un « vote révolutionnaire ».

Maryse Joussains gagna donc, mais de 187 voix, presque rien (0,22%), avec 4000 procurations et de nouveaux indices d’irrégularités.

Je pense que ce score ultra serré montre qu’il était possible de gagner… si la tête de liste de gauche fusionnée avait incarné le renouvellement appelé par les électeurs le 7 juin, et si toute la gauche s’était rassemblée au second tour en embarquant le centre. Sortir de la crise du PS par l’alliance au centre dès le premier tour est une stratégie perdante, et le poids gagné au premier tour affaiblit les chances au second. En revanche, sur la base d’un rapport de force, les écologistes sont prêts à faire alliance de second tour jusqu’au Modem s’il le faut et à l’extrême gauche si c’est possible. Le « vote révolutionnaire » (faire gagner la droite pour faire perdre le centre gauche) me paraît à l’inverse une absurdité : c’est Aix qui va payer.

Une étude Ifop indique cependant que les électeurs d’extrême gauche, déjà largement ralliés au vote PS-Modem dès le premier tour, ont bien mieux reporté leur voix au second tour que ne les y invitaient les dirigeants de la « gauche de la gauche ». Au contraire, selon la méthodologie de l’Ifop, le report des voix d’Aix-Ecologie est moins clair. Ce qui confirme en tout cas que l’électorat écologiste est assez spécifique et se mobilise d’abord sur ses propres thèmes : ce sont les candidats écolos qui ensuite orientent son vote vers des coalitions gauche-verts, avec ou sans Modem !

On voit ici toute la différence entre l’écologie politique et la « gauche de la gauche ». Cette dernière (ses militants, pas son électorat) est prête à laisser une grande ville à la droite au nom de considération d’alliances. Les écologistes, eux, cherchent à entrer dans les institutions pour y faire un boulot qui ne peut pas attendre. Quoi qu’il soit décidé à Copenhague pour lutter contre l’effet de serre dans la « fenêtre » qui se refermera d’ici 2020, Aix n’en sera pas, pour les 5 prochaines années.

++++Martine

C’est pourquoi, parallèlement à cette défaite d’Aix, la décision de la députée verte de Paris Centre, Martine Billard, m’a profondément affecté.

Elle quitte les Verts pour le Parti de Gauche (la scission du PS conduite par J.L. Mélenchon), sans même remettre en jeu son mandat. Comme l’avait fait, il y a deux ans, l’eurodéputé vert du Sud-Est, Jean-Luc Bennahmias, rejoignant le Modem sans laisser sa place à la suivante sur la liste verte…

Ce qu’ont fait Martine et Jean-Luc est ordinaire, nous y sommes dorénavant habitués, mais on s’en étonne encore pour les coups les plus rudes. Martine et moi étions camarades depuis bien longtemps (32 ans…), Jean-Luc m’a « recruté » pour les Verts en 1986. À l’époque, en Seine-St-Denis, ils étaient 3, et Waechter leur porte-parole national. Les choses s’étant un peu arrangées, Martine vint nous rejoindre quelques années plus tard.... Au delà d’un long compagnonnage brutalement interrompu, j’admets que Jean-Luc et Martine avaient parfaitement le droit de changer d’avis et de quitter l’écologie politique, l’un pour le centre, l’autre pour la "gauche" de la sociale-démocratie. J’ai plein d’ami-e-s qui l’ont fait et qui restent mes ami(e)s. Le choix de Jean-Luc m’a semblé trouver son origine dans une impatience d’être « au centre » des affaires politiques, celui de Martine, à l’inverse, d’un refus de se retrouver majoritaire et non plus protestataire (et c’est vrai qu’au niveau atteint par Europe Écologie, on ne peut plus parler d’un vote extrémiste !) Cela relève de leur psychologie, c’est leur droit.

Ce qui me semble inacceptable, éthiquement, ce qui fait que je n’ai plus guère estime ni confiance en eux, c’est qu’elle et lui avaient été présenté-e-s à la députation à l’issue d’une bataille complexe, interne puis externe aux Verts, et menée par des Verts (dont je fus), dont le fruit ne lui appartenait pas en propre mais, si j’ose dire, en indivision. Et surtout qu’ils avait acquis leur mandat du peuple souverain, sur certains engagements, se faisant élire sous une couleur précise, et ont néanmoins gardé leur charge tout en changeant de couleur.

Prenons le cas de Martine, élue en 2007 en tant que Verte soutenue par le PS et recueillant au second tour la majeure partie des voix du Modemaprès m’avoir invité à son meeting pour intervenir sur l’Europe (en caution « Oui de gauche » ?). Elle s’est pourtant comportée comme si elle était propriétaire de sa charge, et s’est estimée en droit d’emporter le poste tout en changeant de couleur. Sentant bien le problème, elle a prétexté que c’était nous (Europe Écologie ou les Verts) qui avions changé de couleur et ne représentions plus l’électorat de sa circonscription. Seule en effet une trahison de son parti, inversant le sens de son appartenance au moment de son élection, justifierait de changer de parti tout en restant députée. D’où son discours auto-justificatif : "EE a fait une campagne de droite, n’a plus rien à voir avec le parti dans lequel j’étais entrée".

Quant à moi, j’en ai fait beaucoup, des campagnes écolos, en 23 ans : EE 2009 fut la campagne nationale la plus à gauche et la plus enthousiasmante depuis Voynet 95. Europe Écologie a drainé le plus fort vote des classes populaires.

Eh bien, que Martine refasse campagne en disant à ses électeurs : "Je me suis faite élire par vous en tant que verte, les Verts ont trahi et sont passés à droite avec EE, je pense que votre vote de 2007 est aujourd’hui représenté par Mélenchon". Si elle le pense vraiment, elle remet son mandat en jeu et voila tout. Ne pas le faire est indigne de ce qu’elle a été. EE ou les Verts lui opposeraient simplement quelqu’un d’autre, qui penserait légitimement être plus proche de la volonté populaire exprimée en 2007 que ne l’est le parti de Mélenchon, le PS choisirait ou non de nous soutenir dès le premier tour comme en 2007, et on verrait bien !

Je le précise : à mes yeux ce serait aussi valable pour un député socialiste qui se serait fait élire contre nous puis passerait chez les Verts sans remettre en jeu son mandat (je pense qu’en le remettant en jeu, il le garderait).

Je précise encore : je ne suis pas toujours d’accord avec tout ce que décide le Collège Exécutif de mon parti et je le dis sur mon blog. Mais je n’ai pas senti de divergence entre ce qui nous animait il y a trente ans et la campagne d’Europe Écologie.

En fait, la circonscription de Paris-Centre a voté massivement en 2005 pour le Oui au TCE, et en 2009 à plus de 30% pour Europe Ecologie. Il ne me semble donc pas du tout qu’elle se sentirait aujourd’hui mieux représentée par le Parti de Gauche que par Europe Écologie. Dans ce cas, difficile de ne pas parler de trahison du mandat populaire. Ou faut-il dire, pour être politiquement correct : "interprétation délibérément abusive de la volonté populaire de sa circonscription manifestée par ses votes du 7 juin" ? Faire autre chose, du poste que l’on vous a confié, que ce pour quoi on vous l’a confié, je ne vois pas comment appeler ça autrement. C’est un mauvais coup de plus porté à la démocratie représentative, qui, avec ses insuffisances, n’en a déjà pas besoin.

Et, de ce point de vue, il est somme toute cohérent que Martine rejoigne Mélenchon. Celui-ci, jadis chaud partisan du traité de Maastricht, fut de ces députés socialistes qui n’hésitèrent pas à tenter d’[utiliser une minorité de blocage au sein du Congrès de Versailles pour imposer aux peuples d’Europe le maintient des traités de Maastricht et Nice, en empêchant même qu’on puisse leur demander leur avis par referendum.

On peut trouver ma réaction vieille France, « XXè siècle". Je sais. On peux même dire XVIIe siècle. Les notions de loyauté, d’engagement, de responsabilité démocratique n’ont guère plus cours. Mais pour ma part je continue à en tenir compte car je pense qu’on ne peut pas "faire société" , donc "écologie politique", sans un tel type de liens. Un individualisme absolu, à la Stirner, où, même en position de délégué-e des autres, on se sent en droit de zapper d’une option à l’autre, je pense que cela ne peut mener qu’à un monde du « chacun pour soi », quelles que soient les justifications de Martine (en l’occurrence : traiter la campagne d’Europe Ecologie de droitière et « libérale »).

Encore une fois, cela n’enlève rien au droit de quiconque de changer d’avis, que ce soit les individus ou les groupes. Par exemple les majorités électorales, et encore heureux ! Les écologistes se recrutent aussi parmi les non-écologistes…



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