Le désaveu de la direction EELV : tournant dans la mandature ?
par Alain Lipietz

dimanche 17 novembre 2013

Même le très compétent journaliste de Politis, Patrick Piro, n’en doutait pas : le congrès de EELV était plié. Le courant de la direction Duflot-Placé, « Maintenant l’écologie », allait être reconduit. Fort de sa majorité absolue au Congres de La Rochelle (en 2012), il monopolisait toutes les places et s’était débranché du débat interne (et encore plus du débat dans la société). Cette fois, il s’était encore élargi. Beaucoup d’opposants étaient partis (Cohn-Bendit, Mamère, et des milliers d’autres à la base). De très nombreux leaders ou militants dévoués des autres courants, persuadés qu’en dehors de la majorité on ne pouvait plus rien faire dans EELV, avaient rallié « Maintenant l’écologie », sous son nouveau nom : « Pour Un Cap Écologiste », dit PUCE. Ou encore « La Firme ».

On notera le rabotage des ambitions transformatrices dont témoigne ce changement de nom : les ministres EELV et leurs soutiens parlementaires ou à la direction du parti avaient clairement choisi d’être la puce du coche gouvernemental. Le courant « Maintenant l’écologie » aura tout avalé d’un gouvernement qui ne tarda pas à lui signifier que l’écologie, ça serait pour plus tard ou plus jamais — et le social aussi, d’ailleurs. Lorsque le secrétaire national, Pascal Durand, osa enfin mettre le gouvernement au défi d’amorcer la transition vers un modèle de développement soutenable, il fut aussitôt débarqué et réduit au silence en échange d’un parachute doré : la tête de liste parisienne aux prochaines élections européennes. Et l’on apprit par la presse que son poste était promis à E. Cosse, fidèle de la direction « réelle », pour après le congrès.

Pour couronner le tout, dans certaines régions, la Puce fit adhérer des centaines de quidam à la veille du congrès. La liste des signatures en faveur de la Puce occupait, dans le livret envoyé aux adhérents, plus de pages que le texte même de la motion d’orientation qu’elle défendait et plus de pages que les signatures de toutes les autres motions réunies. On parlait d’une « hypermotion », fondée sur le principe « Hors de moi : le placard ».

Moi-même, je participais de l’une des motions d’opposition, La Motion Participative (LMP) ainsi nommée par le vaste arc de militantisme qui s’y était regroupé : de la doyenne du parti, Gisèle Chaleyat, à la jeune garde « Indépendance Cha Cha » et de l’ex-ministre Yves Cochet au courant le plus proche de la gauche de la gauche : tous unis par la volonté de « ne pas se résigner » à une Présidence pour rien. Mais je ne me faisais guère d’illusions, et me préparais à un laminage en règle. Car tant d’amis, écœurés, étaient déjà partis.

Et pourtant, Samedi 16 au soir, le décompte des votes décentralisés sonna comme un coup de tonnerre : l’hypermotion ne recueillait que 38% des votes. La motion LMP arrivait en seconde position et l’emportait dans une demi-douzaine de régions, d’autres motions d’opposition emportant aussi quelques régions.

Bien sûr, rien n’est joué avant la phase centralisée du congrès, à Caen, dans 15 jours. La conjonction des hostilités régionales, des postures radicales, de la passion, chez les uns, de la pureté minoritaire, de la soif de postes, chez d’autres leaders de l’opposition (ceux qui ont fait le calcul, intelligent, qu’il y a désormais trop de crocodiles dans le marigot de « l’hyper motion » pour satisfaire tout le monde, et entendent aujourd’hui négocier chèrement leur ralliement), et enfin de la légendaire habileté manœuvrière de la direction Duflot-Placé, laquelle, contrôlant presque tous le postes externes avec les prébendes coirrespondantes, peut gratifier tel ou tel leader des oppositions : tout cela permet largement à l’ancienne équipe d’imposer à nouveau sa direction sur le mouvement. La candidate de LMP, Lucile Schmid, n’est pas encore secrétaire nationale. Inversement, la loi « le succès va au succès », qui a quand même assuré 38% à la Puce, se retourne quand le succès se transforme en échec, avec la perspective d’une quasi-déroute. Nous verrons bien.

D’ici là, il faut tirer deux leçons de fond de ce congrès-surprise. Car nos petits problèmes internes, le reste du monde s’en fiche. Le viol constant de la démocratie dans le parti, la perte des illusions de celles et ceux qui avaient consacré à l’écologie politique une partie de leur vie, y sacrifiant pendant des décennies carrière professionnelle et parfois vie familiale, est sans doute extrêmement pénible pour nous, mais ne fera pas pleurer l’immense « extérieur » (sauf les électeurs et coopérateurs qui avaient placé de grands espoirs en « Europe Écologie » de 2009). Et pourtant, ce congrès est très riche d’enseignements pour le « peuple de gauche et de l’écologie ».

D’abord une leçon morale. Ceux qui refusaient de se résigner ont gagné. Comme le remarquait, il y a bien longtemps, Alain Badiou, « On a raison de se révolter » signifie à la fois « On se révolte : on a raison » mais aussi : « Ceux qui se révoltent ont finalement raison de leurs oppresseurs ». Et c’est bien triste pour mes nombreux amis et amies qui se sont ralliés au courant Duflot-Placé en m’expliquant « Je sais ce qu’ils valent, mais si je veux encore faire utilement de la politique, être promu(e), je dois en passer par là ». Les postes à la disposition de ce courant vont drastiquement diminuer, et ce ne sont pas ces transfuges de bonne volonté qui vont les occuper, mais les plus cyniquement adéquats au cynisme de la Firme.

Il y a surtout un enseignement politique. Il s’agit en fait du premier vote sanction national pour le gouvernement Ayrault.

L’un des hommes-liges parisiens de la Puce a persifflé, au Congres Ile de France, les leaders LMP qui « refusent de voter le budget en l’état » sans avouer explicitement que cela veut dire « quitter le gouvernement ». Signataire de la tribune de Libération qu’il visait, je lui répondis à la tribune qu’en effet, non seulement nous défendions une orientation économique pour laquelle nous nous sommes toujours battus, mais tactiquement nous ne craignions pas de mettre les pieds dans le plat et d’ouvrir une crise gouvernementale, afin de pouvoir revenir plus forts dans la conduite des politiques publiques. Or, malgré cette mise au net, la majorité du second parti de la majorité gouvernementale a signifié par son vote que, si Hollande ne changeait pas de cap, elle préférait quitter le gouvernement.

Toute la France qui, en 2012, attendait le « changement » de l’élection de François Hollande, se consternait depuis de la série infinie de ses capitulations, et ne cachait plus son mépris pour EELV, qui ne jouait même pas son rôle de « conscience » gouvernementale. Eh bien voila, c’est fait : en désavouant sa direction, EELV a retrouvé son âme. Mais surtout, par un hasard de calendrier, elle se retrouve porte parole de la France qui « y avait cru », avait voulu participer au changement, et qui clame désormais : « Ça suffit, changeons de cap ». Et cette sécession est beaucoup plus significative que la bouderie immobile du Front de Gauche qui, dès le début, avait refusé de mettre ses mains dans le cambouis.

Car, on l’a dit 36 fois, ce gouvernement n’est pas un gouvernement comme un autre. C’est le gouvernement de la seconde puissance européenne, au tournant décisif d’une des plus grave crise du capitalisme mondial, plus grave même que celle des années Trente, et sans doute de la dimension de la Peste Noire. Plus que la crise d’un modèle de développement néo-libéral : la crise d’une ère plusieurs fois centenaire, celle du productivisme.

En se fourvoyant dans une radicalisation de la politique libérale et productiviste pour sortir de la crise du libéral-productivisme, Hollande se couvre de « ridicule historique » (si ces mots ont un sens : cela ne fera rire que les historiens de l’an 3000). Mais surtout il enfonce dans la crise notre pays et, par ricochet, l’Europe et la planète. Or il n’y aura pas de gouvernement progressiste de rechange : l’échec pour la gauche sera plus grave, plus long à guérir qu’après la trahison de Guy Mollet dans les années 50.

EELV, petit parti de la coalition gouvernementale, n’appuyait pas sur beaucoup de manettes, mais avait au moins la mission historique de signal d’alarme : crier « casse-cou » avant d’aller dans le mur, ruer dans les brancards pour imposer un changement de cap. C’est ce rôle de premier moteur du changement de cap que « Maintenant » devenu « Puce » a refusé et refuse encore. La mise en échec de ce courant au congrès de Caen sera donc l’ultime chance historique de s’en sortir, avant de replonger dans la nuit sarkozyste, ou pire...

L’opposition des Français progressistes à la politique de Hollande-Ayrault s’est donc trouvée une forme étrange de cristallisation : la mise en minorité de cette politique au sein de EELV. Un rappel à la raison en matière écologique comme en matière de justice sociale, incarné désormais par une majorité potentielle alternative.

Encore lui reste-t-il, à cette majorité alternative, pour imposer le « changement de cap », à se trouver des bras. Car comme disait Pascal (ni Durand, ni Canfin), « La force sans la justice est tyrannique, la justice sans la force est impuissante ». Le péril des prochains jours est que, en refusant les compromis pour gagner (et pouvoir changer de cap), la justice ne se fasse volontairement faiblesse, et donc auxiliaire de l’injustice et de la tyrannie.



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