Gaza. Yldune. Pas d’ak.
par Alain Lipietz

samedi 10 janvier 2009

Bonne année à toutes et à tous ! Bon, je vous ai déjà adressé mes vœux, et ça fait près de trois semaines que j’ai lâché ce blog… J’ai passé d’excellentes vacances en Auvergne avec mes enfants et petits enfants, et déjà repris le boulot à Bruxelles. J’avoue que j’ai du mal à m’y remettre… Mon retard de travail est abyssal (articles et préfaces à faire, ou à mettre enfin sur le site, comme notre rapport sur le développement soutenable pour la commune martiniquaise du Carbet), et déjà je commence mon livre-entretien pour Textuel sur la crise. Pour moi l’année 2008 fut dure ; pour le monde l’année 2009 ne commence pas très bien. Bien sûr, la grande horreur, c’est Gaza. Mais, outre le déploiement de la crise,
l’actualité fourmille d’autres petits scandales : l’enfermement de Julien Coupat et Yldune Lévy, le grotesque Paris-Dakar venu pétarader dans les Andes, c’est-à-dire presque chez moi…

Gaza

Samedi 3 et aujourd’hui le 10, manifs dans Paris pour Gaza, et, cette semaine à Bruxelles, réunion du groupe Vert essentiellement consacrée à ce sujet. Les manifs parisiennes sont énormes, et très particulières : c’est littéralement la banlieue qui débarque en trains et métro au cœur de Paris, place de la République. En un sens, la tragédie de Gaza provoque l’intégration politique de nos banlieues à la République Française ! Intégration républicaine assez approximative : les rangs serrés qui déboulent des cités sont largement sous hégémonie islamiste, scandent "Allahou akbar", brandissent des poupées ensanglantées, hurlent « Israël assassin, Moubarak complice » plus souvent que « Sarkozy complice », reprennent en somme le rituel de la rue palestinienne… Le 3 et surtout le 10, les forces politiques, droits de l’hommistes et syndicales parviennent tout juste à mettre une touche de céfran et de blanc dans le beur.

Alain Lipietz manifeste avec son écharpe de député européen
Photo Claude et Marie Szmulewicz-Bezard

Je manifeste tantôt en tête avec mon écharpe de député européen,
tantôt sous la banderole commune de l’Union Juive Française pour la Paix et de l’Association des Travailleurs Maghrébins de France avec Une autre voix juive, tantôt dans le cortège des Verts. Dans ces manifs qui mettent en scène sur le sol de France la tragédie palestinienne, ces petits cortèges sont accueillis avec bienveillance. D’une façon générale, la "coexistence pacifique" est totale. Un type maghrébin traverse paisiblement un segment islamiste de la manif en portant deux drapeaux , l’un français l’autre algérien (pays assez honnis des islamistes), sans que personne n’y trouve à redire.

Symétriquement il faut supporter les débordements verbaux inévitables du style "Israël pire qu’Hitler, Gaza pire qu’Auschwitz". Dans le métro qui nous mène à République, une dame monte et commence à hurler ça ; tout le wagon proteste : "On va à la manif, mais pas pour entendre des conneries pareilles !"

Bien sûr, Gaza, ce n’est pas Auschwitz. Le gouvernement israélien aimerait certainement voir tous les Arabes non juifs, y compris israéliens, quitter la Palestine historique (Tzipi Livni, la ministre israélienne des affaires étrangères, a déclaré que l’avenir des citoyens arabes d’Israël est dans le futur Etat palestinien, pas en Israël même, et on sait que pour la plupart des dirigeants israeliens, l’Etat palestinien idéal est la Jordanie) et, pour faire peur, « tuer autant de personnes que possible » (voir l’article de Gidéon Lévy dans Haaretz. Des articles comme ça on en trouve à la pelle sur le net, par exemple celui-ci de Uri Avnery, car certains Israeliens ont compris qu’Israel jouait cette semaine sa survie morale). Cela s’appellerait de l’épuration ethnique (comme en 1947), mais ce ne serait pas un génocide, ce ne serait pas le déploiement d’une rationalité industrielle pour aller capturer et anéantir un peuple, ce ne serait pas Auschwitz. Mais on comprend pourquoi la « rue beur » y pense, ne serait-ce justement que par l’affrontement, dans l’indifférence du reste du monde, entre un appareil militaro-industriel ultra-moderne et des civils démunis n’ayant que les ressources d’une résistance bricolée.

Si l’on veut faire des parallèles de ce genre, la Bande de Gaza me ferait plutôt penser au Ghetto de Varsovie où a disparu mon grand-père Lipiec. Même situation de quasi camp de concentration à ciel ouvert en autogestion, ravagé par le chômage et la pauvreté (85 % des Gazaouis vivent avec moins d’un euro par jour), alimenté en armes, vivres et médicaments par des tunnels. Même conflit entre les modérés du Judenrat (avec Mahmoud Abbas dans le rôle d’Adam Czerniaków) et ceux qui veulent résister (avec le Hamas dans le rôle de la Z.O.B de Mordechaj Anielewicz), même inutilité militaire de ce combat où les Palestiniens ne gagnent que de la souffrance et Tsahal ne perd que son âme.

Gaza s’est donné comme représentation le Hamas, lors d’élections démocratiques que l’Union européenne avait encouragées, et dont elle n’a pas reconnu le résultat. C’est là une très grosse responsabilité de l’Europe, ou plus exactement du Conseil européen, et l’un des facteurs de la crise. Et c’est pourquoi je porte fièrement mon écharpe de député européen. Mais je constate que même les organisateurs ignorent le vote du Parlement européen contre le "rehaussement de la coopération entre l’Union européenne et Israël" tant qu’Israël n’en sera pas revenu à la « feuille de route » vers une paix juste et négociée. Le seul tract faisant mention de ce vote est celui de la vieille Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide. Cette information n’a pas passé le mur des médias français, pas plus que les images atroces des massacres commis par l’armée israélienne à Gaza, qui tournent pourtant sur toutes autres télés d’Europe, alimentées par les télés "pros" du Golfe. Ces images, cette info se sont arrêtées à la frontière française, comme le nuage de Tchernobyl, et nos médias répètent en boucle qu’il s’agit d’une guerre sans images, résultant des tirs de roquettes du Hamas…

Après Annapolis, le Hamas avait signé une trêve de six mois avec Israël, dont il a simplement constaté qu’elle n’était pas renouvelée puisque Israël n’en avait tenu strictement aucun compte, et continué ses exactions contre le peuple palestinien comme si de rien n’était. Comme avec les baïonnettes, on peut tout faire avec une trêve, sauf s’asseoir dessus. À la fin de la trêve, le Hamas a fait connaître son mécontentement en balançant ses pétoires à ailettes, et le gouvernement Olmert (personnage poursuivit par la justice de son propre pays) a riposté avec l’aviation et les chars, tuant des centaines de civils, hommes, femmes et enfants, jusque dans les écoles de l’ONU.…

A Bruxelles, j’apprends avec satisfaction que les Verts européens ne sont pas restés les bras croisés pendant les vacances du Jour de l’An : une eurodéputée verte allemande a tenté d’entrer à Gaza en passant par le Sinaï, et une délégation intergroupe, avec plusieurs Verts dont Hélène Flautre, la présidente de la sous-commission des Droits de l’Homme, essaie à présent d’entrer par l’Egypte et le poste-frontière de Rafa. Nous préparons une résolution rappelant qu’il n’y a d’autre solution que la paix par une négociation entre les deux Etats, avec retour aux frontières de 1967 (et éventuellement les ajustements négociés à Taba ou à Genève), et qu’au delà du vote contre le "rehaussement", il faudra sans doute songer à « rabaisser » l’accord existant UE-Israël, conformément à ses clauses de respect des Droits de l’Homme.

++++Yldune

Les vacances de Noël sont aussi marquées par le refus de la justice française de libérer Julien Coupat et Yldune Lévy, les fameux "terroristes" soupçonnés d’avoir voulu bloquer la circulation des trains électriques français. J’ai dit ailleurs ce que je pensais de cette affaire : que d’une part ces actes anti-trains (et donc objectivement pro-avions et pro-voitures) sont sans doute stupides et anti-écolos, mais certainement pas du terrorisme, et d’autre part qu’avant d’en accuser un groupe, il faudrait aligner quelques preuves. Or, il n’y en a rigoureusement aucune, tandis que d’autres pistes existent (un groupe allemand a revendiqué le sabotage des voies d’acheminement vers l’Allemagne du retour des déchets nucléaires allemands retraités à La Hague, ce qui d’ailleurs est tout aussi stupide : les écologistes considèrent que chaque pays doit assumer ses déchets nucléaires chez lui).

Mais ce qui est proprement scandaleux, c’est le maintien en détention de Julien Coupat sans preuve, et surtout le maintien en détention d’Yldune Lévy sous prétexte… que le juge d’instruction ne l’a pas encore entendue ! Voici donc une "terroriste", une Ulrike Meinhof au petit pied, que l’on arrête pour l’empêcher de terroriser la France, qu’on s’imagine être « cuisinée » nuit et jour pour éviter le prochain attentat… Eh bien non, on ne prend même pas la peine de l’interroger. Même la police doit vraiment avoir très peur d’elle !

Et si le seul crime de cette archéologue de 24 ans était d’être la compagne de Coupat ? Un embastillement à la de Montgolfier * ? Ou (pire ?) si son maintien en tôle, alors que la ministre de la police MAM a commencé son rétropédalage, ne visait qu’à sauver la face de cette ministre et de la presse oublieuses de la présomption d’innocence ?

* Procureur qui emprisonnait les épouses de ses suspects pour les faire craquer.

++++Pas D’ak

Le grotesque Paris-Dakar a donc déménagé vers des cieux plus cléments que la Mauritanie et la boucle du Niger où se retranche Al-Qaeda-Maghreb. Il a choisi l’Argentine et le Chili, où l’attendent pas mal d’organisations écologistes.

Ces gens-là n’ont rien compris. A l’heure où les diplomates de la planète toute entière sont arc-boutés pour arriver à trouver d’ici Copenhague un accord pour sauver le climat en réduisant de façon équitable les émissions de gaz à effet de serre ente pays du Nord et du Sud, les médias (français et argentins) accompagnent en grandes pompes une formidable démonstration de l’art d’émettre le plus de gaz carbonique en faisant le plus de bruit possible dans des paysages magnifiques !

Ce Dakar me dégoûte, dans les déserts que je ne connais pas mais que j’admire sur les photos, et encore plus dans "mes" Andes. Comme par une malédiction de Toutankhamon, chaque jour il égrène d’ailleurs son cortège de morts, y compris un motard apparemment oublié à quelques dizaines de mètres de la piste. Au moins, le Vendée Globe nous donne l’exemple d’une compétition où des marins à voile sont prêts à perdre la course et leur bateau pour se porter mutuellement secours…

Photo du Désert d’Atacama en fleurs (Chili) par Javier Rubilar sous licence CC.



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