France, Grèce : de la difficulté des alliances.
par Alain Lipietz

mardi 29 novembre 2011

Rude semaine pour Eva Joly ! Après le trouble dans lequel l’avait plongée l’intervention d’AREVA sur le Parti socialiste, au moment de la ratification de l’alliance EELV-PS, Eva Joly faisait sa rentrée au début de la semaine dernière, par un article du Monde, puis une excellente émission sur France 2.

La crise Joly

Hélas ! Dès le mercredi matin, je suis réveillé par un média qui m’interroge " Que dites-vous de la démission du porte-parole d’Eva Joly, Yannick Jadot ?" Et ça a continué toute la journée : « Que dites-vous des critiques de Noël Mamère ? », « de Dany Cohn-Bendit ? »

Ouh la la... ça sentait le roussi. Je me suis retrouvé à la grande époque de mon éviction de candidat à la présidentielle, en 2001. Et de fait, toute la presse titrait sur la "lipietzisation" de la candidate.

Toute la journée, dans tous les médias, j’ai mis les choses au point. Oui, il y a une grande ressemblance de forme, et Eva est mise en grand danger. Non, il n’y a pas vraiment similitude sur le fond. Eva Joly est beaucoup plus légitime que moi, par le score qu’elle a obtenu aux Primaires. Elle n’a pas de concurrent aux aguets, le seul choix est « avec elle, ou sans candidat du tout », et les écologistes tiennent à avoir un-e candidat-e, surtout après les débuts du candidat socialiste. Et d’ ailleurs il n’y a pas, de l’intérieur de la direction, volonté de l’éliminer.

Au contraire, nous avions, le lundi précédent, bien calé les choses : à Eva Joly de présenter, en tant que candidate à la présidence de la République, sa responsabilité d’écologiste devant les citoyens ; aux partis politiques de négocier une majorité parlementaire pour la gauche et les écologistes, avec toute la « tambouille » que cela impliquait. Mais les choses ne sont pas si simples.

Passons sur quelques détails telle que la reprise publique du mot « tambouille », employé en Conseil Politique de campagne par absolument toutes les tendances. Comme disait ma mère (et pas Mamère), "ça se dit, mais ça ne s’écrit pas". Un des charmes de notre candidate binationale : il lui manque parfois un certain sens de l’opportunité linguistique. Mais il y en a à qui ça plait : "elle a son franc parler, c’est une femme indépendante, qui dit ce qu’elle pense."

Le problème politique est plus profond. Nous sommes dans une alliance avec le parti socialiste. C’est une alliance contre Sarkozy, mais plus positivement pour sortir la France (et contribuer à sortir l’Europe et le Monde) d’une des plus grandes crises du capitalisme, l’équivalent, voire pire, de celle des années 1930. Nous sommes en 1932. Il nous faudrait un Roosevelt, un Léon (ou une Lionne) Blum s’appuyant sur un front populaire vert.

Ce front, cette alliance est absolument nécessaire. Nous, écologistes pensons avoir des solutions. Elles sont difficiles, exigeantes mais exaltantes. Le Parti Socialiste, qui avait fait d’incontestables avancées lors de la rédaction de son Projet, a choisi un candidat qui, légitimement (mais pas forcément avec sagesse), vise à se rallier le centre dès le premier tour. Il y a donc un grand écart entre les positions de départ d’Europe Écologie et du Parti socialiste. Cet écart a été partiellement comblé, mais très partiellement, dans l’accord de mandature signé et adopté par les deux partis, la semaine dernière.

Quelques (rares) dirigeants verts s’acharnent à prétendre que cet accord est « bon », voire remarquable : la preuve, nos ennemis l’attaquent (ils s’attendaient peut être au soutien de Sarkozy et Proglio ?). En fait, qualitativement, il n’a rien à voir avec celui de 1997 (35 heures + PACS + parité HF + arrêt du canal Rhin-Rhône, de Superphénix, et de toute nouvelle centrale nucléaire). Le seul point fort, c’est « fermeture de 25 réacteurs d’ici 2025 » : il n’y a plus qu’à gagner 3 législatives de suite ! Et en attendant Hollande s’engage seulement à remplacer Fessenheim par un Flamanville tout neuf.

Cet accord, je l’ai d’une part critiqué pour sa médiocrité économique, encore plus inquiétante, d’autre part voté des deux mains : il faut être unitaire pour deux. Personne n’aurait compris que l’on entre dans la bataille pour la présidentielle et les législatives sans afficher une volonté d’unité. Notre électorat, et celui que nous devons rallier, n’est pas prêt à suspendre le départ de Sarkozy à un bon accord sur le programme. D’où la quasi-disparition des trotskistes (qui refusent l’unité et la victoire sur Sarkozy) et le relatif succès du Front de Gauche (qui, comme d’habitude, prendra les places sans même négocier le programme, sur lequel il est d’ailleurs totalement divisé). En même temps, nous savons, des expériences Blum et surtout Jospin (à comparer avec les 2 réélections de Roosevelt), et sans même penser à Papandréou, qu’en deçà d’un certain niveau de succès dans la résistance à la crise, nous serons balayés.

Cela dit, « l’union est un combat ». Mao Tsé-Toung, qui avait noué alliance, contre l’envahisseur japonais, avec son grand rival, le leader nationaliste Tchang Kaï-Chek, soulignait que, lorsqu’il fallait entrer en conflit avec son allié, c’était toujours pour le ramener à l’unité contre l’ennemi commun, et qu’il fallait respecter la règle « de l’avantage, du bon droit et de la mesure". C’est à dire : n’ouvrir une controverse que lorsqu’on était raisonnablement confiant dans la possibilité de l’emporter dans l’opinion publique, mais tout en gardant la mesure dans la critique de l’allié, qui n’est pas l’adversaire.

L’avantage et le bon droit, Eva l’avait en protestant contre la réceptivité du Parti socialiste au lobbysme d’Areva et de Proglio, et en déclarant que "cet accord ne nous fait pas rêver" (ce qui est bien le sentiment de tous les écologistes, et, ce qui est plus grave, des citoyens : sous la salade, où est le steak ?). J’aurais surtout dit que cet accord ne permet pas de sortir de la crise, et c’est ça le vrai problème. Mais une fois cela dit, il faut réaffirmer notre volonté de s’allier contre Sarkozy… et, nonobstant les critiques, Eva l’a dit de façon très claire dans son débat avec Apathie à RTL.

Reste que le problème se reposera sans arrêt. François Hollande est d’ailleurs exactement dans la même situation et le fait savoir : il y a un accord, mais lui souhaiterait en faire moins, de même que Eva Joly souhaiterait en faire plus. C’est comme ça.

Un partage des tâches entre la candidate présidentielle, qui défend l’intégralité des propositions écologistes, et le parti écologiste, tenu par un accord, ne sera donc pas toujours tenable. D’une part, Eva devra souligner l’importance de maintenir l’accord, et d’autre part le parti lui-même aura tendance, chaque fois que le candidat présidentiel d’en face voudra réduire la portée de l’accord, a lui rappeler que nous avons signé pour une base minimale. Bon, c’est une question de doigté.

Autre problème surgi la semaine dernière : le volet électoral de l’accord fait des remous. Ce volet électoral n’est pourtant que la prise en compte, par notre allié, du fait qu’on ne peut pas en permanence demander aux écologistes de se désister au second tour pour le PS arrivé en tête, quand ils représentent une part substantielle de l’opinion progressiste.

L’absence de la proportionnelle aux élections législatives en France aboutit ainsi à ce qu’un parti important court le risque de ne pas être représenté du tout à l’Assemblée Nationale : très grave distorsion de la démocratie. D’un autre côté, beaucoup de citoyens souhaitent avoir « leur » député, élu sur une base territoriale. Les Allemands ont depuis longtemps résolu le problème : la moitié des députés est élue sur base territoriale, l’autre sur liste nationale. C’est une excellente solution, que nous proposons d’adopter en France, depuis longtemps. L’accord électoral EELV-PS vise donc à "simuler" les avantages que nous attendons du système "à l’allemande", en réservant une soixantaine de circonscriptions à des candidats écologistes soutenus dès le premier tour par les socialistes.

Sauf qu’on reste toujours dans le cadre du scrutin uninominal par circonscription, et bien sûr cela fait des dégâts. Ainsi, à Paris où, depuis 1997, le PS réserve à Europe-Ecologie deux circonscriptions, l’arrivée de la secrétaire nationale Cécile Duflot fait scandale. Elle vient en effet prendre la place d’une très respectée députée socialiste, qui avait conquis sa circonscription de Belleville-Ménilmontant grâce à son militantisme de terrain. Mais, d’un autre côté, cette même circonscription vote majoritairement écologiste dans le seul scrutin national à la proportionnelle : les élections européennes.

Et immédiatement les critiques de fuser dans la presse et sur le web : contrairement à la première fournée de députés écologistes qui avaient conquis leur place sur la droite (Dominique Voynet à Dole, Martine Billard à Paris-centre, etc…), Cécile se fait attribuer une circonscription déjà conquise et au détriment d’une socialiste qui avait fait l’effort de la conquérir. Elle abandonne sa circonscription, emblématique de la problématique écologique : la 3ème circonscription du Val-de-Marne, présentant une dualité ville/campagne et une accumulation monstrueuse de désastres écologiques (pistes d’Orly, une gare de triage...), et sur laquelle la regrettée Liliane Dayot avait construit les bases pour un développement de l’influence des Verts.

Sauf que... il est naturel que la secrétaire nationale d’un parti se présente dans la capitale, si elle le souhaite. Toute cette histoire n’aurait pas eu lieu, si la France avait un scrutin à l’allemande (dont l’ébauche figure d’ailleurs dans l’accord EELV-PS). Cécile Duflot aurait été à la tête de la liste nationale, et voilà tout.

Souhaitons ardemment que d’autres dirigeants d’Europe-Ecologie ne viennent pas ajouter à cette image déplaisante, en allant se parachuter sur les circonscriptions où d’autres qu’eux avaient su, au fil des années, tisser des réseaux écologistes.

Pour continuer en Grèce, remontez à l’onglet suivant.

++++Crise grecque

Il n’y a pas que la campagne Eva dans la vie ! Je participais samedi à un débat à Athènes, organisé par le Green Institute of Greece. Au programme : Tim Jackson, l’auteur de Prospérité sans croissance, Renaud Vivien du Comité (belge) pour l’annulation de la dette du Tiers Monde, et moi.

Auparavant je rencontre d’anciens étudiants grecs. Première discussion avec un ancien étudiant aujourd’hui ingénieur. Il m’explique que la gauche de la gauche veut sortir de l’euro, non pour améliorer la compétitivité grecque (le débat n’a même pas lieu sur ce point) mais pour faire un pied de nez à l’UE qui ne nous aime pas, et les masses pensent que ça fera baisser les prix.

Diner avec Maria, la plus profonde de mes anciennes thésardes, aujourd’hui l’une des meilleures économistes grecques. Elle nuance et me raconte le débat à la gauche du Pasok sur la sortie de l’euro. Elle (et, selon elle, la majorité de la gauche) partage mon analyse : sortir de l’euro, à supposer que cela permette une dévaluation réelle (pas de spirale inflationniste), ne permet pas de relancer suffisamment de secteurs exportateurs pour compenser la perte massive du pouvoir d’achat des masses qu’elle provoquera, et aggravera la récession, sans compter la nécessité de taux d’intérêts meurtriers. Le problème : face à ceux qui veulent sortir de l’euro pour relancer la compétitivité, ces partisans de l’euro (dont, curieusement, le KKE, communistes « orthodoxes » ! ) n’a pas de proposition crédible alternative pour rétablir la compétitivité à court terme.

Après des interviews pour la presse et la télévision grecque, le débat commence. La salle est pleine. Tim Jackson présente de façon peu spécifiquement grecque le projet écologiste. Mais nous sommes surtout attendus sur la crise de la dette, évidemment (c’est d’ailleurs là-dessus que les journalistes m’interviewent).

Je redis la totale solidarité des Verts Européens avec la Grèce, la volonté de pousser à une solidarité de la part de l’Europe, nos critiques contre les politiques d’austérité totalement improductives que leur impose la troïka (Commission européenne, Banque Centrale Européenne, FMI). J’ébauche notre solution, d’ailleurs confirmée par la Déclaration de Paris : annulation d’une part de la dette grecque, mutualisation de la dette courante au sein du FESF, financement de la conversion verte par la Banque Européenne d’Investissements, ces deux institutions pouvant se refinancer auprès de la Banque Centrale. Je critique au passage le mythe de la sortie de l’Euro et de la déclaration unilatérale de la cessation de paiement par la Grèce. Je dois sur ce point rectifier le tableau quelque peu idyllique que fait mon voisin sur le précédent de l’Argentine. J’insiste sur le fait que ça ne dispense pas la société grecque de régler ses propres problèmes, et notamment la question des dépenses militaires déraisonnables et le fait que les grands propriétaires fonciers dont l’Église ne paient pas d’impôt.

C’est là dessus qu’a lieu le débat le plus intéressant. Dans la salle, certains me rappellent l’influence qu’a l’armée et l’église, y compris dans la gauche qui n’ose pas s’y attaquer. Je reconnais qu’un pays qui a dû s’affranchir d’une longue tutelle ottomane, période pendant laquelle l’église orthodoxe a représenté l’identité nationale, ne peut pas traiter de la même façon l’armée et l’église qu’un pays comme la France. Mais j’essaie de leur faire comprendre la difficulté pour les Français à partager leur point de vue. La résistance au sabre et au goupillon fut une des composantes de l’affirmation de la République Française, comme du Front Populaire espagnol.

Il y a un moment où il faut choisir ses alliances. Considère-t-on que la "contradiction principale" oppose l’Etat Grec à un ennemi extérieur (les marchés, la Troïka, voire l’Union Européenne elle-même), ou que les classes populaires grecques et les écologistes doivent chercher un appui auprès des classes populaires et des écologistes des autres pays d’Europe, contre les dominants de Grèce et d’Europe ?

Distinguer entre ses ennemis et ses alliés est, en Grèce comme en France, le problème N°1. Le lendemain, une interview à un autre grand journal grec me fait mesurer encore une fois la profondeur de la propagande des classes dominantes, et leurs succès à se présenter comme incarnant l’identité nationale, pour éviter une réforme fiscale en Grèce. Le débat est en effet posé systématiquement sous la forme « les marchés contre l’Etat ». Or les marchés (c’est à dire la finance internationale) ne jouent pas contre l’Etat grec, c’est au contraire les classes dominantes grecques qui utilisent l’Etat grec, profitant de la pression de la dette, afin d’imposer une politique d’austérité aux seules classes populaires grecques.

Tant qu’on n’a pas éclairci ce genre de problèmes, en Grèce comme dans le reste de l’Europe, il ne sera pas possible de dessiner les voies d’une sortie de la crise actuelle.

Et à part ça ?

La mort de Danielle Mitterrand. Nos premières olives à Villejuif. La vie continue…



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