Europe écologie : mouvement politique de masse ?
par Alain Lipietz

vendredi 26 février 2010

La longue série des réunions-débats d’Europe-Écologie s’achève, les grands meeting départementaux ou régionaux commencent… J’ai beaucoup aimé la période débats, dans les dix derniers jours encore : en Loire-Atlantique, Saint-Affrique et Millau au Larzac, à Vichy, comme à L’Hay-les-Roses ou Villejuif dans ma communauté d’agglomération… Réunions-débats généralement à thème, dans mon cas autour de l’emploi, souvent précédées comme à Vichy de rencontres avec les syndicalistes. Je n’aurais sans doute pas le temps de vous raconter les meetings des deux semaines prochaines, que vous trouverez annoncés sur la première page de mon site ou sur ma page Facebook.

Les réunions-débat sont très intéressantes. Pour les auditrices et auditeurs, je ne sais pas !! mais ils ont l’air contents. En général, je viens expliquer comment la lutte contre le changement climatique ou pour une agriculture soutenable (bio et de proximité) est massivement créatrice d’emploi.

Je consacre d’ailleurs un billet sur mon blog d’Alternatives économiques aux études, menées selon des critères de plus en plus scientifiques, relatives au rapport entre défense du climat et créations d’emplois. On y vérifie cette notion (intuitive pour un économiste) que : plus on cherche à réduire notre « empreinte écologique » (c’est-à-dire la surface de Terre dont nous prélevons les richesses naturelles), plus nous devons développer notre activité manuelle et intellectuelle. Les résultats sont extrêmement spectaculaires, comme vous pourrez le voir dans les études citées. En gros, selon qu’on s’assigne des objectifs de réduction de 10 % des gaz à effet de serre d’ici à 2020 ou de 40 %, que l’on paie cash en impôts les investissements publics nécessaires ou qu’on en emprunte la moitié, que le pétrole soit peu cher ou plus cher, la création d’emplois varie facilement d’un facteur 10 ! Bref, ralentir la conversion écologique, c’est voter pour le chômage de masse.

Dans les débats, je m’aperçois que les deux dernières conditions (recours à l’emprunt et cherté des énergies fossiles) ne sont pas très bien comprises. C’est qu’à côté des emplois pour économiser l’énergie ou produire des énergies renouvelables existent ce qu’on appelle les « emplois induits ». La lutte contre le changement climatique est en effet d’un même mouvement lutte contre le gaspillage d’énergie. Or moins on consomme d’énergie fossile (essentiellement du pétrole importé), plus il reste de pouvoir d’achat aux ménages pour acheter autre chose et notamment des biens et services qui ne sont pas importés : et cela crée des emplois par exemple dans la branche culture-loisirs. Cet effet est d’autant plus fort que le pétrole est cher. Mais il est aussi d’autant plus fort que l’investissement public est financé pour partie par l’emprunt : s’il doit être payé au jour le jour par l’impôt, c’est autant de moins dans le pouvoir d’achat des ménages et donc autant d’emplois en moins de créés.

L’idée d’emprunter, par exemple, la moitié des fonds nécessaires aux investissements publics d’économies d’énergie est justifiée par le fait que les économies d’énergie dégageront du pouvoir d’achat pendant les décennies à venir, donc il est logique de les rembourser pendant les décennies à venir. Mais un point semble mal compris par de nombreux candidats (qui dans toutes les régions parlent de créer un « Fond d’investissement régional » pour financer ces investissements). C’est qu’on ne gagnera pas grand chose en emplois induits si l’on emprunte auprès des contribuables de la région les fonds qu’on ne prélèvera pas par l’impôt ! C’est du pouvoir d’achat local en moins, et le résultat, du point de vue des emplois induits, serait en effet le même que si l’on finance tout par l’impôt. L’épargne locale sera mieux utilisée à financer l’économie sociale et solidaire.

C’est pourquoi les Verts au Parlement européen ont combattu au cours de la mandature écoulée pour la création d’une ligne de crédit auprès de la Banque européenne d’investissement, crédits à très bas taux puisque directement re-finançables auprès de la Banque centrale européenne. Ce mécanisme de création monétaire pour financer les plus rentables et les plus nécessaires des investissements n’est pour l’instant pas intégré par la plupart des candidats EE ! Pourtant, une ville comme Lisbonne s’est entièrement équipée en transports en commun modernes par emprunt auprès de la BEI.

En revanche, tous les débats portant sur la conversion verte dans le domaine agro-alimentaire sont bien maîtrisés, non seulement par les candidats mais par les mouvements de soutien à Europe-Écologie. Partout où je vais, le rôle que peux avoir la Région comme principal client régulier pour l’agriculture biologique de proximité est bien compris. Le problème est clair : la France importe les 6/7ème de sa nourriture bio. La conversion au bio demande à un paysan de la région un effort considérable : légalement, il doit rester 3 ans sans utiliser de pesticides, ni d’engrais chimiques pour obtenir le label bio. Pendant ces 3 ans, évidemment, sa productivité va diminuer, mais il ne peut pas encore faire reconnaître sur le marché la valeur supérieure de ses produits. Si les cantines de tous les lycées d’une Région passent des contrats pluri-annuels avec les paysans qui se convertissent au bio, ces contrats peuvent intégrer le « devenir-bio » de ces produits, puisque les intendants des lycées ont l’assurance qu’ils ne sont déjà plus traités avec des pesticides dangereux.

Autre problème bien maîtrisé partout : même si des paysans de plus en plus nombreux comprennent l’intérêt de passer au bio, la question foncière rend l’installation des jeunes paysans de plus en plus difficile, et il faudra très souvent que la Région (ou toute autre collectivité territoriale passant au bio dans ses cantines, les municipalités pour les écoles communales ou les conseils généraux pour les collèges) achète le terrain correspondant et le mette à disposition de paysans bio. À Saint-Affrique, mon vieil ami Alain Desjardin, qui s’était vu attribuer une ferme sur le Larzac après l’abandon du camp, n’hésite pas à dire sans sourire « j’ai géré pendant une vingtaine d’années une ferme d’Etat » !

A Saint-Affrique, je découvre aussi les richesses cachées du « passage au bio ». De plus en plus de troupeaux de brebis passent au bio (même si ce n’est pas marqué sur le Roquefort, pas plus que sur les étiquettes des grands vins de Bourgogne). La laine des brebis du Larzac, qui était considérée jusqu’à présent de mauvaise qualité et bonne pour les Chinois, maintenant, parce qu’elle est bio, peut faire l’objet d’une demande spécifique ! Et effectivement un petit entrepreneur local qui m’héberge se lance dans un projet de filature de laine bio à Saint-Affrique…

Ainsi, ce qui me passionne dans cette campagne de réunions-débats, c’est surtout ce que j’apprends de la part des militants que je rencontre. Ces militants ne sont pas, pour la plupart, des « militants politiques » mais des militants associatifs ou syndicalistes. La campagne Europe Écologie leur permet de collectiviser leurs expériences, leurs aspirations, leurs suggestions, avec un débouché possible : la conquête d’un fort pouvoir d’influence au sein des conseils régionaux via Europe-Écologie.

La campagne d’Europe-Écologie régionale, bien plus que celle d’Europe-Écologie aux européennes, fonctionne comme la structuration d’un véritable mouvement politique débordant les cadres des partis politiques : un « mouvement politique de masse » comme disaient les Italiens dans les années 60/70.

« De masse » ne veux pas dire qu’il y a des masses de militants, mais que dans un canton, on peut rencontrer la situation où toutes celles et ceux qui résistent, se battent et font des propositions, convergent dans le cadre d’Europe Écologie, en estompant la distinction « parti (d’avant garde) / syndicats/ associations ».

C’est très frappant par exemple à Pannecé en Loire-Atlantique, petit bourg de 1200 habitants au centre d’un triangle de petites villes, Segré, Ancenis et Châteaubriant. Sur cette zone s’est constitué un collectif Europe-Écologie sans militant vert, qui organise un événement de campagne tous les trois jours. Je participe à une réunion de 70 personnes (dont trois maires et deux conseillers régionaux). Elle a été précédée par une réunion des têtes de liste régionaux avec les artisans du bâtiment du coin (il faut bien préparer la campagne d’isolation des bâtiments…) : 30 patrons de PME étaient là ! Et auparavant les candidats y avaient rencontré l’Association des producteurs de lait indépendants, structure totalement autonome des syndicats, y compris la Confédération paysanne.

Europe Écologie ne s’adresse plus à des convaincus mais à une audience beaucoup plus large qui ne demande qu’à être convaincue…

Cette vision assez enthousiasmante doit toutefois être tempérée par les grandes variations d’une région à l’autre, voire d’un département à l’autre. En Midi-Pyrennées (de Toulouse au Larzac) les sondages placent la liste de Gérard Onesta encore plus haut qu’aux européennes . En Ile de France, par exemple, un récent sondage ne donne que 14 % à Europe-Écologie, soit 6 % au-dessous du score des Européennes, et surtout 4 % au-dessous du résultat des « Verts + Génération Écologie » de 1992. Ce serait un grave échec, c’est pourquoi je n’y crois pas vraiment.

J’ai à plusieurs reprises mis en garde sur ce blog contre les erreurs de la direction de campagne francilienne. Il est évident que dans plusieurs départements (comme dans le Val-de-Marne) les militants se décarcassent pour essayer de rattraper toutes ces erreurs. Ce n’est pas toujours facile. Quand la tête de liste Cécile Duflot exprime son hostilité à l’idée de péage urbain dans Paris, avec des accents dignes de Ségolène Royal critiquant la taxe carbone, on peut se demander ce qu’en pense l’électeur écologiste parisien qui vient de s’exprimer pour la liste municipale verte qui en prévoyait un ! On peut discuter du type de péage urbain auquel s’était finalement résolu Denis Baupin (vieux débat, voir ici le dossier). Mais était-ce vraiment la peine de semer une nouvelle zizanie ?

Peu importe finalement, le péage urbain n’est pas de compétence régionale mais municipale. Nous arrivons dans les 15 derniers jours, ceux où les meetings cherchent à rallier la plus large couche de citoyennes et de citoyens, celles et ceux qui ne « s’intéressent pas aux paroles mais à la musique du discours », celles et ceux qui aux européennes nous avaient fait décoller de 13 à 16 % (nationalement). Roland Cayrol remarquait récemment à la télévision que « les trois partis principaux » jouaient cette élection comme EE avait joué la présidentielle, c’est-à-dire en traitant le sujet, les régions, et les régions c’est les transports, les lycées, la formation professionnelle : rien qui fasse vibrer.

À nous de faire vibrer, dans les deux dernières semaines, la musique de la révolution écologiste par en bas !

PS. J’ai enfin mis sur mon site mon article sur la crise islandaise, annoncé ici. C’est là.



Reproduction autorisée avec la mention © lipietz.net http://lipietz.net/?page=blog&id_breve=385 (Retour au format normal)