Europe Écologie dans la tourmente des négociations.
par Alain Lipietz

lundi 21 novembre 2011

Quelle semaine ! Commencée par le Congrès des Verts Européens, avec un magnifique discours d’Eva Joly,, et une « Déclaration de Paris » sans doute plus hardie que ne sont certains partis verts nationaux, terminée par un accord Verts/PS plus timoré que le propre programme du Parti Socialiste...

C’est que, face à la crise qui s’aggrave de trimestre en trimestre, les certitudes vacillent, les anciens programmes sont probablement caducs... mais dans quel sens ?

Le congrès du Parti Vert Européen a permis de "photographier" l’état des différents partis verts nationaux. A première vue, leur différences reflètent exactement les différences de leurs opinions publiques nationales. Face à la crise, les pays du Nord jouent les pères la rigueur, car ils ont pris leur précaution et équilibré leurs budgets "avant", selon la « stratégie de l’écureuil » faisant provision de noisettes, dont ,se moquait encore Madame Lagarde début 2008. Les pays du Sud, dont les gouvernements de droite ou social-libéraux faisaient des cadeaux aux « classes moyennes » quand les choses allaient bien crient aujourd’hui contre les plans d’austérité que leur impose « la crise de la dette », ou plutôt leurs gouvernements, qui cherchent à faire rembourser par les classes populaires... D’où les tiraillements, encore aggravés dans le cas extrêmes du parti Vert suédois, qui refuse purement et simplement l’unification de l’Europe et la solidarité européenne.

Mis à part ce cas extrême, la négociation se polarise sur le débat franco-allemand. J’ai déjà évoqué les frottements que la crise de la dette suscitait entre EELV et Grünen, il y a deux mois. L’exercice n’aura pas été inutile, puisque ce sont en gros les mêmes personnes qui ont négocié les brouillons de la déclaration de Paris.

Finalement, nous sommes arrivés à nous accorder sur une position commune européenne (à l’exception des Suédois) : la fameuse « Déclaration de Paris ». Elle affirme une solidarité à laquelle résistent beaucoup de peuples d’Europe du Nord, mais reconnaît qu’il faudra revenir à une gestion plus rigoureuse, tout en « sanctuarisant » un périmètre de dépenses publiques sur les quelles ne pourra pas peser la « rigueur ».. Elle esquisse la voie d’une « monétisation des dettes » qui ne panique pas ceux des pays qui ont déjà connu une hyper-inflation alimentée par la planche à billets. (Voyez mon texte « 1932 »).

Ce résultat est tout à fait remarquable. C’est la première fois que, à cette étape de la crise, un parti trans-national parvient à proposer un compromis politique, tenant compte à la fois des espoirs et des craintes des différentes opinions publiques européennes. Si « nous sommes en 1932 », nous avons posé les jalons pour éviter d’en sortir par le mauvais côté…

A cet exercice, Europe Ecologie et le Parti socialiste ont pour le moment patiné, même dans le cadre national.

Les négociations se sont tendues à l’extrême en début de semaine dernière. Dés lundi, le Conseil politique d’Eva Joly lui conseille de prendre de la hauteur : elle est candidate à la Présidence de la République, pas au poste de Premier ministre. Elle ne négocie pas une future majorité parlementaire, même si elle en a besoin. Ça, c’est l’affaire des partis. Son rôle est de dire "Moi, je défends la sécurité de mes compatriotes et de tous les européens, en indiquant un cap : abandonner une industrie dangereuse, le nucléaire, et créer des emplois en masse dans les économies d’énergie et les renouvelables. Ce n’est pas mon rôle de négocier avec nos partenaires le protocole pour en sortir".

Mais le parti socialiste et son candidat ne l’entendent pas de cette oreille. Le candidat François Hollande semble immergé dans les négociations EELV-PS et en fixer les détails. Pire, un troisième larron s’introduit dans la discussion : le lobby électronucléaire.

Il faut dire que les écologistes ont donné des verges pour se faire battre. Non seulement ils doivent obtenir de leurs partenaires un certain partage des candidatures de premier tour dans les circonscriptions, comme substitut à une proportionnelle pour le moment inexistante, ce qui n’arrange pas leur rapport de force dans la négociation programmatique. Mais ils ont commis dés le départ une grosse maladresse, en affichant deux exigences "incontournables", inlassablement répétées sur les médias par leur secrétaire national, Cécile Duflot : "Nous ne signerons pas d’accord prévoyant la construction de l’aéroport Notre-Dame des Landes et ne sortant pas du nucléaire". Très vite, cette déclaration se focalise sur ...nous ne lancerons pas de nouvelles centrales, et il y en a justement une en construction : l’ultracoûteux EPR de Flamanville.

Dés lors, la tentation est grande pour François Hollande de montrer à l’électorat centriste qu’il sait « se montrer ferme » (un peu comme Mitterrand montrant sa force vis à vis du Parti communiste sur l’affaire des euro-missiles, en 1980). Il refuse de s’engager, ni sur la sortie du nucléaire et sur l’arrêt de Flamanville, ni sur l’abandon de Notre Dame des Landes.

Les négociateurs écologistes tombent dans le piège et jettent toutes leurs forces sur ces deux points de fixation (nucléaire et Notre-Dame des Landes), laissant passer des énormités sur le sujet le plus immédiat : la résistance face à la crise.

Je ne veux pas dire que la stratégie d’abandon du nucléaire ne soit pas importante. Mais à quoi rime de négocier sur le nombre de centrales arrêtées d’ici 2025, quand ce qui menace les gauches au gouvernement (de Zapatero à Papandréou, et même Obama), c’est d’être mise en échec au bout de deux ans, par le développement de la crise mondiale ? Et là-dessus les arbitrages imposés par François Hollande sont terribles : un pur et simple désaveu de l’accord relativement progressiste intervenu au bout de quatre mois de négociations, entre les négociateurs Europe-Ecologie et ceux du parti Socialiste.

Du coup, lorsque les négociateurs Verts se résignent à signer un accord excluant de son champ les questions de Flamanville et de Notre Dame des Landes, ils n’ont pas remarqué l’incroyable recul du PS dans le domaine économico-social... même par rapport à son propre programme, et à ses propres négociateurs !

Je détaille ces abandons dans une note sur mon site : abandon des garde-fous contre les politiques d’austérité anti-populaires (ceux que nous avions fait adopter dans la déclaration de Paris…), abandon du contenu d’une loi sur le tiers secteur, abandon de la retraite à 60 ans sauf pour les carrières pénibles, abandon de fait de la fusion entre l’impôt sur le revenu et la CSG par abandon de l’individualisation, abandon des sanctions contre les inégalités de salaires Hommes/Femmes...

Soyons clairs. Sur tous ces champs économiques et sociaux, la bataille n’a pas eu lieu entre le PS et les écologistes, mais entre les courants à l’intérieur même du PS. Entre celles et ceux qui, face à la crise, adoptent une attitude "Léon Blum" ou du moins "Roosevelt", et celles et ceux qui adoptent une attitude "Daladier", non qu’ils soient Munichois face à l’Allemagne, mais plutôt qu’ils soient suivistes derrière l’Angleterre et les centristes...

Et ce n’est pas fini. L’encre de l’accord est à peine sèche, que le bureau national du PS se réunit... et que l’amant Areva sort du placard en exigeant que l’un des fiancés retire une clause du contrat de mariage : l’abandon progressif de la filière MOX. Et le PS de s’exécuter.

Le MOX, vous ne connaissiez pas ? Une spécialité française, encore plus dangereuse que le simple Uranium, qu’Areva avait vendu aux Japonais et qui gêne tellement les malheureux qui se radioactivent dans les ruines de Fukushima.

C’en est trop pour Eva Joly. Elle peut jouer la candidate-présidente d’une coalition compatible avec ses propres orientations. Mais dés lors qu’un des partenaires de la coalition se montre plus à l’écoute du lobbysme d’une grande entreprise qu’à l’écoute de son partenaire politique, Eva est obligée de prendre du champ. Ce qu’elle fait, radicalisant les conseils que nous lui avons donnés le lundi précédent. Attitude tactiquement correcte, comme la suite le montrera, mais dont on ne peut mésestimer la dimension éthique. Elle, qui a combattu le poids du lobby Elf dans la politique des gouvernements socialistes des années 80, ne peut qu’être troublée de constater qu’aucun progrès n’a été fait, que ça recommence, et cette fois avec cynisme de la part d’Areva. Dans tout autre pays au nord de la Loire, une telle intervention d’Areva dans le débat des partis politiques serait considérée comme une tentative d’immixtion, voire de corruption.

Mais il y a quand même du progrès : très vite le Parti socialiste se rend compte de la gaffe qu’il vient de commettre, et réintègre intégralement le paragraphe sur le MOX qu’il avait retiré à la demande d’Areva. Toutefois, dés les premiers sondages, Hollande paie cash ce choix d’un alignement centriste et perd 9 points.

Victime collatérale de la crise EELV-PS : le Front de Gauche, dont le principal parti est le Parti communiste, qui soutient à fond et la filière nucléaire, et Notre-Dame des Landes. Quelques voix se font entendre chez ses petits partenaires du Parti de Gauche en défense de la bataille menée en solitaire par les écologistes, mais ils ne sont pas relayés par Jean-Luc Mélenchon, contraint par le Parti communiste à un silence assourdissant.

Samedi, au Conseil Fédéral d’Europe Ecologie les Verts, il faut trancher. Pour ma part, je considère que l’accord est médiocre (et pas seulement sur le nucléaire), qu’il faut le dire, mais qu’il faut voter cet accord médiocre, car nous devons d’abord envoyer un signal d’unité face à la droite.

A part quelques dirigeants pour qui il faut soutenir l’accord « parce qu’il est bon » (je constaterai dans les conversations privées qu’ils n’avaient pas tout à fait compris ce que le PS leur faisait avaler sur le plan économico-social), la très grande majorité des délégués trouve l’accord programmatique très médiocre. Il y a en revanche une quasi unanimité pour accepter l’accord électoral (les quelques dizaines de circonscriptions plus ou moins bonnes, réservées à EELV en échange d’un désistement au second tour), car il faut absolument battre la droite. Comme dit Dany Cohn-Bendit, c’est un accord « contre » et pas un accord pour.

Mais, de l’avis de la grande majorité, il n’est pas possible de passer un accord purement électoral (ce que va pourtant faire très probablement le Front de gauche, qui combinera jusqu’au bout une position protestataire, pour négocier à la fin sa part de circonscriptions). Nous considérons, nous, que les accords électoraux ne sont acceptables que sur la base d’un certain contenu. Finalement, trois quarts du Conseil Fédéral vote l’accord avec ses deux volets, programmatique et électoral.

Le problème, avec l’accord programmatique proposé, c’est qu’il n’interdit rien, mais ne propose rien d’enthousiasmant. C’est "un minimum syndical", et quand je parle de « reculs », c’est par rapport à ce que les négociations semblaient promettre. Où sont les mesures-phares équivalentes à celles de 1997 (les 35 heures, le PACS, la parité hommes-femmes, l’arrêt de Superphénix) ? Que mettra-t-on sur les affiches au second tour des législatives, en juin 2012 ? Mais rien n’interdit que, dans les 6 mois à venir, face à la crise et sous la pression des mouvements sociaux, le Parti socialiste se rende compte qu’il faut viser plus loin.

Certains pourtant, parmi les EELVistes, spéculent sur cette position de départ médiocre du Parti socialiste, qui "ouvre un boulevard à Eva Joly pour défendre nos propres thèses". J’avoue ne pas bien comprendre où cela nous mènerait. Une victoire de François Hollande sur la base de positions aussi timorées aboutirait, comme pour Zapatero et Papandréou, à un crash au bout de quelques mois. S’imagine-t-on qu’Europe Ecologie gagnerait les municipales de 2014 sur la base d’un désaveu du parti socialiste ? Croit-on refaire 1988 ou 1992, quand les écologistes surfaient sur les échecs de Rocard et de Bérégovoy ? Beaucoup plus sûrement, ils seront entraînés, comme en 2002 et 2007, dans le désastre du reste de la Gauche.

C’est notre responsabilité de combattre le positionnement centriste qu’adopte actuellement le Parti socialiste, afin de l’amener à de vraies réponses face à la crise écologique et sociale que nous traversons. Car sinon il nous entraînera dans la défaite, lui, nous et le peuple français.



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