Hollande et sa « politique de l’offre ».
par Alain Lipietz

mercredi 15 janvier 2014

La conférence de presse de Hollande marque plutôt une confirmation qu’un tournant. On savait depuis plus d’un an que le gouvernement avait dans les tuyaux 60 milliards de réduction de dépenses publiques (50 milliards aujourd’hui). Et on savait, depuis le CICE et son cadeau de 20 milliards aux entreprises, que F. Hollande était un adepte de la « politique de l’offre ». C’est maintenant officiel : le Président est résolu à mener la politique contraire de celle sur laquelle il s’est fait élire, celle négociée avec EELV, avec un contrat de majorité, texte qu’il avait lui même révisé jusque dans le détail de l’abandon du MOX…

Seuls les ânes ne changent pas d’avis. On ne peut reprocher à un parti de dire à son partenaires et à ses électeurs « Euh, je crois que je me suis trompé, nous nous sommes trompés ensemble, voyons maintenant ce qu’on peut faire, au nom de nos valeurs fondamentales. » Ici, ce n’est pas du tout le cas. Mais oublions un moment cette critique sur la forme et venons-en au fond. Sans consulter personne, F. Hollande se convertit (ou plutôt se reconvertit) à une analyse de la crise totalement erronée.

L’erreur n’est pas dans le vœux d’un pacte avec les entreprises. Plus personne ne rêve de révolution abolissant les entreprises. La transition écologiste, y compris sa dimension sociale, nous la pensons tous comme un « Deal », un grand compromis fondateur pour les 30 prochaines années. L’erreur porte sur le contenu de ce deal.

D’abord , la crise n’est pas , macro-économiquement parlant, une crise de l’offre, mais une crise de la demande. Il y a dans le monde un excès de profits par rapports aux salaires, qui se traduit par une suraccumulation d’épargne oisive, d’où le niveau extrêmement bas des taux d’intérêt (qui coexiste par ailleurs avec une dette contractée dans les années 2000 et qui ne sera jamais remboursable, parce que le modèle de développement sur lequel elle était fondée s’est effondré). Nous sommes dans une crise de type 1930 et pas du type 1980. Une crise à laquelle on répond en augmentant la part des salaires et la demande publique, une crise « keynésienne »

En 1981, à l’élection de F. Mitterrand, oui, le monde était vraiment dans une crise de l’offre. La baisse de rentabilité des méthodes « tayloriennes » et « fordistes » de production de masse avait amené les taux de profit trop bas pour investir. Mitterrand s’était d’abord lancé dans une politique de stimulation de la demande, à contretemps. À l’époque , son conseiller spécial, Jacques Attali, m’avait demandé de réunir une équipe d’économistes à l’Élysée. Ce cercle d’économistes principalement « régulationnistes » (Aglietta, Boyer, Coriat, etc) se réunissait sous le secrétariat du jeune François Hollande, alors très « première gauche », qui croyait, comme Mitterrand, comme le PCF et le PS, aux vertus de la relance par la consommation. Nous avons essayé de les avertir de leur erreur.

Partis comme « sherpas » aux États Unis pour préparer le sommet de Versailles (1982), Attali et Hollande revinrent éblouis par la politique d e l’offre du président Reagan : décharger les entreprises, rétablir la profitabilité en « flexibilisant le travail ». Ce fut la rupture.

Dans mon livre de rupture avec ce choix, L’audace ou l’enlisement (1984), et dans mes travaux ultérieurs comme dans ceux de mes collègues, je ne contestais pas qu’il fallait une politique de l’offre. Mais pas celle-là. La France avait besoin d’un énorme effort de qualification et de mobilisation de la créativité de sa main d’œuvre, trop maltraitée par le travail à la chaine. Ce ne fut pas le choix des socialistes français, mais ce fut le choix des Allemands… Toujours est-il que F. Hollande en est vraisemblablement resté à son credo d’alors : la politique de l’offre au détriment des salariés.

Aujourd’hui, il faut une active politique de la demande, des ménages et de l’État. Mais pas le « fordisme », pas la solution de 1945, l’American Way of Life fondé sur la consommation effrénée d’énergie polluante et de matières premières. Car la crise écologique est passée par là. Il faut une relance de l’investissement public et privé entièrement orientée vers la transition verte : économies d’énergie, énergies propres, conversion alimentaire, et cela demande, comme il aurait fallu le faire en 1981, un énorme effort public dans la formation et la recherche, mais aussi une masse de nouveaux investissements. Ça, oui, ce serait une politique de l’offre valable ! Mais aussi : partage du travail et des richesses, « moins de biens, plus de liens » — et construire es liens demande du temps libre, donc un repartage de la valeur ajoutée vers les salariés et les retraités. Or, dans sa conférence de presse, F. Hollande a purement oublié la crise et la nécessaire transition écologiques.

Eh, me direz vous, la concurrence internationale ? C’est l’autre grande différence avec la solution fordiste (celle de 1945) . À l’époque, on pouvait reconstruire des économies nationales. Mais la mondialisation est passée par là. Si l’industrie française n’est pas compétitive, alors tout repartage de la valeur ajoutée au profit des salariés risque d’augmenter les coûts par rapport à des entreprises basées dans des pays qui ne le pratiquent pas. À moins, encore une fois, d’un énorme effort de formation et de recherche, permettant de dégager une marge de compétitivité par la qualité et la productivité. Ça, oui, ce serait encore une politique de l’offre valable ! Or la France est en concurrence avec la politique « super-austère » de l’Allemagne actuelle, qui la domine technologiquement, et avec les pays émergents qui, comme la Chine, produisent avec des technique modernes et des salaires indignes.

Il n’y a pas de solution structurelle possible à ce problème qui ne passe par une maitrise de la mondialisation. Cela passe, incontournablemnt, par l’Europe sociale, et par un « protectionnisme universaliste » à l’égard de pays qui refuseraient de s’engager dans un tel« New deal vert ».

Et c’est là l’ultime erreur (volontaire ?) de F. Hollande : confondre la compétitivité avec la profitabilité. On l’a vu dès le « pacte de compétitivité » de l’an dernier (le CICE) : 20 milliards offert aux entreprise, sans aucune distinction entre celles qui sont exposées à la concurrence internationale et celles qui en sont abritées.

F. Hollande en remet une couche : supprimer les cotisations familiales « employeurs ». Fort bien : il n’y aucune raison pour que les entreprises exportatrices fassent payer aux clients étrangers la politique familiale française, et que les Français soient induits, par des prix plus bas, à privilégier les produits de pays qui n’ont pas de politique familiale. Un pays comme le Danemark, le pays le plus « social-démocrate » d’Europe, l’a bien compris, qui finance toute sa politique sociale par un impot déduit à l’exportation et imposé sur les importations : la TVA.

Bon, et après ? F. Hollande, dans sa politique de réduction des dépenses de 50 milliards, compte-t-il supprimer la plus grand partie de la politique familiale ? Au point où il en est, on peut tout craindre, mais je pense qu’il ne compte pas aller jusque là. Donc il va transférer ce coût de la politique familiale vers un autre prélèvement. Choisira-t-il la solution de la TVA que le PS, comme toute la gauche traditionnelle, a condamné stupidement en affirmant qu’elle est payée uniquement par les consommateurs (interrogez ce qu’en pense la PME en bas de chez vous) ? Ou la solution de la CSG ? Dans le premier cas, il ne réduit véritablement les coûts que pour le secteur exportateur, et vise la compétitivité. Dans le second cas il ne fait qu’accroitre la profitabilité des entreprises sans favoriser l’exportation.

On verra. Je dis « on verra », parce que visiblement F. Hollande n’a plus rien à faire de l’avis de EELV, encore moins du Front de Gauche, ni même sans doute du PS. Il se lance dans une politique « à la Schroeder II », qui a valu à l’Allemagne, et par contrecoup à l’Europe, la catastrophe Merkel.

Et ici on revient à ma critique initiale : la forme. Politique non négociée , en complète contradiction avec le choix des électeurs. Encore un mauvais coup pour la démocratie, cette idée neuve de 1789 selon laquelle le peuple avait son mot à dire sur la politique des dirigeants.



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