Crise financière, guerre commerciale.
par Alain Lipietz

dimanche 16 septembre 2007

Bon, je reprends sur les débats de la semaine, très « crise mondiale » (financière et commerciale)

Petit rappel : la crise qui s’est dessinée en mars aux USA. Les ménages pauvres qui s’étaient endettés pour acheter leur logement auprès de banques, contre hypothèques, n’arrivent plus à rembourser. Or ces banques avaient « titrisé » les reconnaissances de dettes, c’est-à-dire les avaient revendues à des fonds (pas forcément spéculatifs). Et ces fonds s’étaient eux-mêmes revendus, par parts, partout dans le monde. Et, avec ces bouts de fonds, on fait d’autres fonds (les « CDO ») dont les banques peuvent revendre des bouts à leur clients. Il y en a même des parts dans les SICAV, PEA ou assurances-vie que nos braves banques nationalisées ou coopératives de chez nous vous ont vendues. C’est comme le sang contaminé. Vous êtes peut-être inoculés (pardon, propriétaires) d’une pauvre mère monoparentale américaine fichue à la rue et qui ne va pas vous rembourser. Et son défaut de paiement se propage de proche en proche : en mars, les banques hypothécaires US, en juin les fonds US, en août la BNP…

Là-dessus, les USA, qui ont des déficits abyssaux avec la Chine, s’avisent que les jouets Mattel sous-traités en Chine sont peints à la peinture au plomb. Horreur ! les Jaunes empoisonnent nos enfants ! Il faudrait peut-être fermer les frontières…

Crise

En commission Économique et monétaire, toute l’après-midi du mardi est consacrée à la discussion et au débat sur la crise financière. On écoute successivement le Commissaire Mc Greevy, responsable des services, et donc des services financiers, le Commissaire Almunia, responsable de l’économie, et Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale. Une série très impressionnante, et très intéressante par les divergences qui commencent à apparaître entre eux.

J’ai déjà expliqué l’essentiel de mon analyse la semaine dernière en plénière à Strasbourg.

Pour Mc Greevy, qui est le plus sur la sellette, le coupable, ce sont les ménages américains qui se sont trop endettés et les banques hypothécaires américaines qui leur ont trop prêté pour acheter leurs logements. Pour Almunia, il n’y a pas de raison de s’inquiéter puisque les « fondamentaux » sont bons en Europe, ses pays sont peu endettés (sauf la France), connaissent une croissance soutenue tournée vers l’exportation (sauf la France) : leurs gouvernements ont donc d’importantes marges de secours (sauf la France). (La raison du décrochage de la France est très ancienne, j’ai consacré à son étude et aux propositions pour y faire face une longue période de ma vie, maintenant la barbe).

Quant à Trichet, il a le beau rôle, mais il est visiblement un peu colère de voir débarquer en Europe une crise financière d’origine américaine, alors que lui avait été d’une prudence de couleuvre. En grande forme, il n’hésite pas à s’éloigner de son texte, répond alternativement en anglais, en français et en allemand, plaisante, se montre à l’occasion discrètement féroce. Il ne cache pas ses critiques (très diplomatiques, quand même) au système de contrôle du capitalisme financier, non seulement aux États-Unis mais même en Europe, puisqu’on n’a pas su éviter la contagion.

Mes interventions sont désormais écoutées avec grande attention. Je sais que mes collègues m’ont toujours considéré comme un économiste professionnel sérieux, mais tirant d’analyses pertinentes des conclusions écolos, c’est-à-dire farfelues. Là, visiblement, les plus farfelus n’étaient pas ceux qu’on pensait.

Je commence par rappeler que c’est bien de la sphère réelle et non de la sphère financière qu’est partie la crise. Tous les agents économiques américains sont terriblement endettés et la majorité s’appauvrit, cela fait vingt ans qu’on le sait, mais que la politique américaine du crédit, très accommodante, permet néanmoins aux États-Unis de poursuivre leur croissance, de faire de la recherche, de s’équiper. Aujourd’hui, les plus endettés, c’est-à-dire les ménages pauvres, craquent. Mais il ne faut pas se faire d’illusion, tous les titres sur la dette américaine - et la valeur du dollar en est l’indicateur synthétique – vont flancher les une après les autres.

Or, le déficit américain sert depuis vingt ans à tirer les exportations du reste de l’économie mondiale, ce qui a en particulier permis la croissance de la Chine et de l’Inde. (Les exportation de la Chine vers les États-Unis représentent à elles seules 13% de son PNB !) La crise américaine qui se profile se répercutera sur tous les « modèles » exportateurs, et donc l’Europe doit s’acharner à trouver une demande effective alternative. Elle le peut, tout en restant compétitive et en développant un modèle social-écologique, en développant sa propre demande intérieure, notamment les énormes investissements qu’impliquent une révolution écologique et la lutte contre l’effet de serre, les dépenses en recherche et éducation qui lui permettront de rester compétitive par la qualité (stratégie de Lisbonne).

Me tournant vers Trichet, (qui s’est bien gardé de se démarquer explicitement de ses collègues américains, anglais ou japonais), je lui tends la perche : « J’entends bien la petite musique qui se développe : « c’est la faute à Alan Greenspan, le président de la banque fédérale américaine, qui a été trop laxiste pendant si longtemps ». A vous, on vous reproche d’être trop rigide. Mais le fait est que, si on est trop laxiste, on laisse se former des bulles spéculatives qui finissent par crever. Quelles mesures comptez-vous prendre pour que l’on puisse offrir aux investissements indispensables à la lutte contre l’effet de serre, au logement des pauvres ou à l’éducation des taux d’intérêt quasi nuls ? Et des taux d’intérêt plus forts pour les investissements spéculatifs ? »

Almunia, un peu gêné, répond que les croissances chinoise et indienne sont maintenant auto entretenues et qu’il n’y aura qu’à se tourner vers ces nouveaux marchés. Quant à Trichet, il sourit largement et me répond : « Vous posez parfaitement la vraie question. Moi, je voudrais bien faire des taux-zéro pour tout le monde, mais le problème c’est que de faibles taux d’intérêt encouragent la spéculation à faire n’importe quoi ! » Evidemment, il ne reprend pas la perche que je lui tends sur la sélectivité du crédit : ce serait remettre en cause la vulgate installée depuis un quart de siècle, mais je sens bien que la question commence à se poser.

Commerce

À part la discussion sur mon rapport « Effet de serre », la commission Commerce international se penche sur une série de problèmes justement liés à cette question du rôle du libre-échange comme moteur de la croissance.

On a ainsi un débat un peu vif entre coordinateurs sur l’opportunité de faire quelque chose à propos du scandale des jouets et autres produits chinois dangereux pour les consommateurs. J’observe avec surprise que certain-e-s qui, l’an dernier, se montraient les plus libre-échangistes semblent s’être ralliés pendant l’été (peut-être à l’exemple des États-Unis…) à des positions beaucoup plus dures vis-à-vis du « péril jaune » et de ses exportations. On sent ce que j’appellerais une « muscardinisation » du débat, en hommage à ce rapport de Madame Muscardini, députée UEN (souverainiste) qui avait osé présenter le premier rapport ouvertement protectionniste devant ce Parlement, en des termes légèrement populistes, que nous avions réussi à rectifier en proposition de clauses écologiques et sociales sur le libre-échange.

Toute la journée en INTA, le phénomène se renouvelle : les défenseurs acharnés du libre-échange se trouvent contrés par des discours venu de la droite, assez violents contre les nouvelles puissances exportatrices, et, ô paradoxe, c’est moi qui interviens pour dire que face à une crise mondiale, il ne faut pas réagir par le « sauve qui peut, chacun pour soi », mais au contraire fixer les règles transparentes applicables à tous les pays en matière sociale et écologique !

Clou de la journée, Supatchai Panitchpakdi, l’ancien directeur de l’OMC (avant Lamy), devenu aujourd’hui secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le développement (la Cnuced est en fait le lobby des pays du Tiers-monde exportateurs à l’intérieur de l’Onu), est invité à présenter ses propositions pour la réforme de l’OMC… Rapport qui sera justement confié à Madame Muscardini !

Monsieur Supatchai est extrêmement intéressant et doté d’un humour très fin. Il explique par exemple que le Gatt (ancêtre de l’OMC), qui s’est créé à une vingtaine de pays, ne peut plus fonctionner comme ça avec 150 pays, que maintenant qu’il est secrétaire de la Cnuced, il entend parler de « policy space » (espace de préférence politique), concept totalement interdit à l’OMC, qu’il constate avec intérêt que les Européens posent des questions telles que l’environnement ou le social, mais qu’il ne sait pas si l’OMC devrait s’occuper de ça, etc.

Madame Muscardini, qui sent que le vent tourne, en Europe et dans le Parlement, contre le consensus de Washington et la vulgate ultralibérale, appelle tous les collègues à lui fournir des contributions écrites pour qu’elle rédige son rapport. Je l’en remercie et m’adresse à Monsieur Supatchai en le félicitant de son très intéressant témoignage. Je lui rappelle que, sur la vingtaine de fondateurs du Gatt, près de la moitié sont représentés dans cette salle (les autres étaient dans le Comecon, le système soviétique !) et qu’en effet nous sommes devenus non seulement un « espace politique » mais même, dans cette salle, carrément un espace législatif.

Démocratiser l’OMC, c’est tout simplement se rendre compte que les règles du commerce supposent des décisions politiques, et que ces décisions politiques dépendent des préférences exprimées par les citoyens. C’est pourquoi l’OMC ne peut être qu’une machine à régler les questions strictement commerciales subordonnées à une hiérarchie des normes où prévalent d’abord les Droits de l’homme : droits à la vie et à l’alimentation, droits à la santé, droits à un environnement sain, droits sociaux. Et je fais observer que, s’il était devenu directeur de l’Organisation mondiale de la santé, il saurait que les lois de la quarantaine, depuis le 17e siècle, ont le pas sur les lois du commerce international, tandis que, s’il était directeur de l’Organisation internationale du travail, il saurait que celle-ci est aussi ancienne que le Gatt et que ses conventions sont ratifiées par encore plus de pays et s’imposent à eux.

Je reconnais qu’on ne peut pas créer une « Organisation du monde » aussi politiquement intégrée que l’Union européenne, et qu’il faut donc laisser la place à des accords bi-régionaux prenant en compte les préférences en matière de développement interne et de co-développement avec les autres, mais toujours dans le respect des normes internationales supérieures. Il est bon que l’OMC développe des outils pour apprendre à transposer ces normes humanistes, écologistes ou sociales aux règles du commerce, mais ce n’est pas à elle de les établir.

La journée se termine de manière un peu plus sombre . Monsieur O’Sullivan vient nous expliquer l’état des négociations des Accords de partenariat économiques ; Il est clair que ça se passe mal avec les ACP qui doivent conclure d’ici la fin de l’année. Certaines ONG proposent de remplacer les APE par des accords de type SPG+ . Je rappelle très fermement que ces accords SPG+ supposent la ratification et le respect d’une quinzaine de conventions internationales en matière de droits de l’homme, de droits sociaux et de respect de l’environnement, et qu’on ne va pas blanchir (ou verdir) artificiellement tous les gouvernements des ACP pour régler le problèmes des élites exportatrices et de leurs correspondants européens .

La semaine se termine par une visite à mon vieil ami Felix Arnaldo Perez, redevenu ambassadeur du Venezuela à Paris. Nous faisons un petit point sur l’engagement du Président Chavez pour la libération d’Ingrid, et sur la demande du Venezuela… de revenir dans la Communauté andine ! Je ne lui cache pas que ce va-et-vient du Venezuela a laissé des cicatrices dans la gauche des autres pays andins, et une certaine méfiance chez les négociateurs européens, qui pour le moment négocient seulement avec les quatre autres pays andins, Colombie, Pérou, Équateur, Bolivie. Je lui fais quelques suggestions pour améliorer l’image du Venezuela dans les relations internationales. Bon, on verra bien.

PS Le métro parisien est couvert d’affiches montrant des parents faisant gentiment les pitres pour leurs enfants. « Les enfants méritent mieux que ça » explique l’affiche : un bouquet de chaînes de télévision. C’est écrit : les enfants méritent mieux que des parents qui jouent avec eux, ils méritent de rester plantés devant la télé pendant que leurs parents sont dehors ou lisent le journal en leur fichant la paix.

Je plains le concepteur de ces affiches et le directeur de la communication du bouquet de chaîne télé. Ils n’ont pas dû avoir une enfance heureuse. Je plains les enfants à qui les parents paieront ce bouquet de télés.

PPS J’apprends (on ne nous dit rien, à Bruxelles) que Sarkozy et Laporte ont fait lire aux rugbymen français la lettre de Guy Moquet à ses parents, avant d’aller se faire cramer par les Pumas. Tout s’explique : Morituri te salutant, Guy Moquet n’était qu’un jeune qui allait jouer au ballon, les Bleus étaient des Bleus-Horizon allant mourir pour la patrie, et les Argentins sont tous des nazis.

PPPS Je tombe dans le poste (FR3 IdF) sur Besancenot. Il justifie posément le soutien d’une ministre de l’ancien maire de Neuilly à des campeurs exigeant d’être logés à Aubervilliers (où il y a des milliers de personnes sur liste d’attente d’un logement social), car « en effet il faut bien dire qu’il y a des mairies communistes qui n’ont rien fait pour le logement social. » Aubervilliers ! Jack Ralite !

Pays beerk…

Photo chesh2000pro, licence CC



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