Crise de croissance d’Europe-Écologie
par Alain Lipietz

dimanche 1er novembre 2009

La vague évoquée dans mon dernier billet est en train de tourner au tsunami politique (ce qui ne veut pas dire que le tsunami électoral sera au rendez-vous ! ). Un tsunami que les verts et les non-verts d’Europe-Écologie (EE) ont quelque peine à gérer.

Comme prévu il y a 8 jours, la question Modem semble dissipée. Avec ou sans la bénédiction de Corinne Lepage, les écologistes du Modem (Cap 21) rejoignent Europe-Écologie. Le rapport avec le reste du Modem est clairement circonscrit à une question de second tour.

Plus spectaculaire encore est l’arrivée de maires de la banlieue rouge venus de la mouvance communiste « refondatrice » de Charles Fiterman, qui a commencé sa longue marche vers l’écologie dès les années 90. Le regroupement des Refondateurs, la CAP, avait soutenu Dominique Voynet à la présidentielle de 1995 ; beaucoup étaient ensuite entrés au parti vert, mais pas tous. On assiste actuellement à des conflits assez classiques entre « ceux rentrés il y a longtemps » et « ceux qui rentrent maintenant », ce qu’on appelle en théorie des jeux « conflits insiders-outsiders ». Ils sont particulièrement tendus à Arcueil. Plus pacifiés à Sevran, où l’arrivé du maire Stéphane Gatignon, communiste encarté qui la semaine dernière encore écrivait à Marie-Georges Buffet pour exiger une alliance PCF-EE, et dont il est désormais question pour la tête de liste EE de Seine-Saint-Denis, ne pose semble-t-il aucun problème.

Mais le plus spectaculaire est bien sûr l’arrivée de Robert Lion. Un très grand succès pour EE ! J’avais salué ici même son élection à la présidence de Greenpeace. Nous l’avions rencontré, Natalie Gandais et moi, avant les vacances. Il se disait encore socialiste, quoiqu’il eut voté Europe-Écologie surtout par amitié pour Yannick Jadot. Nous avions poursuivi une correspondance où il me demandait de lui expliquer pourquoi je le qualifiais d’"ex-fordiste" et de lui expliquer la filiation entre les « grands commis » reconstructeurs d’après 1945 et les écologistes d’aujourd’hui. J’espérais bien que l’idée ferait son chemin.

Voila, c’est fait !! Il saute le pas . Cette fois ce n’est pas le directeur (salarié) de Greenpeace, mais son président élu (il ne le sera évidemment plus au moment des élections régionales). Or ce président de Greenpeace n’est pas seulement un associatif écologiste plus gradé que la moyenne. Il est LA référence historique en matière de logement social en France et cela change l’allure complète de la liste EE en Ile-de-France. ll apporte avec lui, de façon critique, l’héritage socialiste depuis la Guerre en la matière. C’est comme si Louis Besson entrait sur la liste EE Rhone-Alpes, sauf que Louis Besson était un maire-ministre tandis que Robert Lion est un haut fonctionnaire-associatif.

J’irais même plus loin : c’est la réappropriation, par l’Écologie politique, et face au libéralisme en crise, de la tradition du "planisme à la française", mais avec évidemment un autre contenu qu’à l’époque fordiste. Un très vieil espoir que je caressais depuis longtemps : je vous invite vivement à relire cet article ci, vous serez surpris ;-).

En termes de prestige pour Europe-Écologie, c’est encore plus fort que la démarche de l’avocate générale Laurence Vichnievsky. On n’attend plus que l’arrivée d’Edgard Pisani ;-)...

On pouvait donc s’attendre à un fantastique tir de barrage contre lui, auprès duquel Marie B., Daniel B., Eva J. etc auront été accueillis avec des fleurs. Un homme qui a toujours haï les Verts était la personne idoine pour conduire le nouveau hourvari : Fabrice Nicolino, journaliste se réclamant de l’écologie et auteur récemment de Bidoche.

Robert Lion à peine « nominé » pour Europe-Écologie, la Toile fut inondée en effet de références à l’article par lequel Nicolino avait « assassiné » l’élection de Lion à Greenpeace, et Greenpeace en général, en décemebre 2008.

Je cite :

« J’ai soutenu à l’occasion ce groupe (Greenpeace), sans m’illusionner sur ses limites, sans fermer les yeux sur ses dérives, car elles existent, à n’en pas douter. Et puis est venu Robert Lion. Je vous le présente, car qui le fera sinon ? »

Qui d’autre en effet que Nicolino connait R. Lion ? Qui soutiendrait sinon Greenpeace, à l’occasion ? Fabrice N. aurait pu utiliser Google, serait tombé sur des notices sur Lion dans les nombreuses associations de solidarité qu’il a présidées, voire créées. Ou peut-être déjà sur mon blog qui saluait ici son élection. Mais non.

Nicolino est l’un des rares journalistes écologistes à si mal connaître Robert Lion. On comparera l’amusante biographie que donne Nicolino (avec ses "trous" incompréhensibles - il loupe l’essentiel de la carrière de haut fonctionnaire de Lion - ses confusions chronologies - Lion n’est pas de la génération des 68ards !) et ce qu’en disent les associations à la même époque.

Mais Nicolino rate le plus important, il est vrai complexe : le rapport entre "grands commis constructivistes de l’Après-Guerre" (comme René Dumont et son très productiviste "Les leçons de l’agriculture américaine" de 1949 , cf ma biographie de René ) et l’écologie politique qui se développe des décennies plus tard.

Il rate surtout la quasi-totalité de l’action militante associative de Lion, la réduisant à une seule , la plus "professionnelle-batiment" (Energy 21)

Citons encore :

« Il serait cruel, mais intéressant, de glisser ici une incidente sur ce qu’on appela le « gaullisme immobilier ». Ses tours géantes. Ses quartiers maudits. Ses promoteurs vertueux et leurs comptes en banque numérotés, aux îles Caïman. Robert Lion, ami de la nature et des grands équilibres. »

Ici on passe les limites déontologiques, pour un journaliste (nous sommes il est vrai habitués). Ou Nicolino sait que R. Lion est corrompu et a un compte aux Iles Caïman, et il le prouve. Ou bien il s’agit d’une pure et simple calomnie protégée par le vague de la syntaxe, et c’est parfaitement ignoble.

« Et puis ? Et puis le monde stupéfait a découvert que Robert Lion, le bâtisseur de restoroutes,… »

Robert Lion est avant tout, pour quiconque connait l’histoire de la France fordienne (l’après-guerre jusqu’aux années quatre-vingt) le Directeur de la Construction puis Délégué Général des HLM (mission n°1 de la Caisse des Dépôts, que Sarko est en train de démanteler) et fondateur de l’Ademe.

« Le reste n’a que peu d’intérêt : Lion préside depuis cette date quantité de machins, dont Agrisud International, et donne des conseils à tous ceux qui le souhaitent. »

Là Nicolino jette le masque.

Ce machin, Agrisud, Lion nous avait proposé de l’inviter au colloque "L’alimentation soutenable" (voir ici l’intervention d’Agrisud ). Colloque co-organisé par nous (Natalie Gandais et moi) et, à Politis, par Patrick Piro, successeur de Nicolino. Lequel, six mois après, publie un bouquin sur le même sujet (mais de pure dénonciation), Bidoche.

Ce que hait au fond Nicolino, c’est une écologie qui "transforme", qui utilise les armes de l’enquête et de l’analyse pour changer la réalité. Comme le confirme sa péroraison :

« Greenpeace, qui fut un véritable aiguillon, est devenue une petite institution chargée de chercher et de trouver des solutions réalistes.Tout cela s’appelle en bon français du greenwashing. Une tentative de sauver les meubles en les peinturlurant en vert. Ce sera sans moi »

Je pense que nous avons ici un condensé de ce que va être la campagne "radicale" contre Europe-Écologie aux régionales. A méditer ligne à ligne, dans le texte intégral. Décortiquer les effets de manche. Lire ce qui est écrit, au fond.

Ne pas oublier un autre angle d’attaque, cette fois après l’annonce de la décision de Robert Lion. Lion aurait eu le tort, selon Nicolino, de quitter l’associatif pour le politique. Et Nicolino de convoquer les mânes de la Charte d’Amiens (1906). Avec bien sûr le retour aux fondamentaux : l’association, le syndicalisme, c’est bien, la politique c’est sale. Qui aura la patience d’expliquer à Nicolino que les associatifs, mutualises, syndicalistes et anarcho-syndicalistes furent aussi nombreux, voire plus, à rallier la Grande Guerre (et 35 ans plus tard la Collaboration) que les infâmes « politiques » socialistes ? Pas moi.

Mais la critique « gauchiste » (plutôt crever que soutenir des réformes) n’est pas la seule qui s’oppose à l’élargissement d’Europe-Écologie, depuis que cet élargissement recrute davantage à gauche qu’au centre. Les problèmes viennent aussi des résistances d’ « insiders » (ceux qui sont déjà là) contre « l’ouverture ». On me rapporte le propos menaçant d’un cadre du courant dominant des Verts : « À plus de 20% d’ouverture, Cécile saute. »

Dany Cohn-Bendit, inquiet, vient d’écrire un texte contre ces résistances. Il circule largement sur le web, et contient quelques maladresses et erreurs d’appréciations qui le desservent. Vous trouverez en cliquant ici ma réponse au texte de Dany

À part ça ? Ben toujours des conférences, des articles, dont j’essaie de mettre le texte sur le site. Le grand livre de Giovanni Arrighi, Adam Smith à Pékin, vient de sortir en traduction, vous trouverez ici ma préface. Jeudi, j’ai participé à la conférence de presse des auteurs de La bataille d’Hadopi… au Fouquet’s. Vous trouverez ici ma contribution.

Et là, je me dépêche de rejoindre les bois flamboyants de l’Avallonais.



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