Coup de froid de Copenhague. Les listes d’Europe-Ecologie
par Alain Lipietz

mardi 22 décembre 2009

Coup de froid à Copenhague. Tour de chauffe d’Europe-Ecologie

Echec brutal à Copenhague, bouclage des listes régionales et premiers meetings d’Europe – Ecologie en régions : on n’a pas chômé en décembre, d’où le retard de mon blog.

Copenhague

Sur Copenhague, j’ai livré à chaud mes premières réactions : « Qu’ils s’en aillent tous ! »

Cet entretien cible « les grands responsables », les USA, la Chine, l’UE, l’OPEP, et non pas « un échec de la gouvernance mondiale ».

Ce n’est pas parce que l’ONU est trop grande et mal organisée que la négociation « ne pouvait pas » réussir, mais parce que les gouvernements des pays clés « ne voulaient pas » qu’elle réussisse, c’est à dire qu’elle leur fixe des objectifs contraignants compatible avec le salut de la Planète..

La preuve ? Nicolas Sarkozy affirmait à Canal+, avant de partir, qu’un « succès à Copenhague » serait que la résolution finale affirme l’objectif de limiter le réchauffement à + 2° (cf. la remarquable analyse de sa position de départ sur l’excellent blog Copenhague inside »). C’est bien ce qui s’est passé ! Un accord de réduction contraignant ne faisait pas partie des « objectifs de guerre » de Sarkozy, et le nombre de bourdes relevées dans cette interview montre à quel point, derrière ses habituelles gesticulations, il se fichait du fond de cette négociation.

A contrario : le Parlement européen, avec plus de 700 membres et une large majorité de droite, est arrivé à voter le 25 novembre une résolution largement à la hauteur des exigences de la planète et de l’histoire humaine. Si l’Europe avait déjà été fédérale, cette résolution aurait constitué « l’offre européenne » qui aurait pu tout débloquer. Qu’un certain « ultra-gauchisme vert » n’ait pas compris la portée du compromis du 25 novembre est lamentable. Maintenant que sont connues ce que furent les offres des gouvernements européens à Copenhague, les « ultra-verts » peuvent méditer la fable du Héron de La Fontaine.

Je reviendrais après les vacances sur les points clés d’une négociation qui peut et doit forcément reprendre (après tout, il s’agit de fixer des engagements pour l’après 2012…). Car la mobilisation populaire ne doit pas faiblir d’ici là, en comprenant bien les problèmes qui se cachent derrière des volets complexes tels que le « recours au marché » et la prise en compte de la forêt.

Sur ce point (la forêt) j’ai participé à un débat organisé par les Verts du Quartier latin. Voir la documentation ici.

++++Régionales

Les dernières « ouvertures » se bousculent sur les listes, les premiers meetings commencent… Les listes Région-Europe-Ecologie confirmeront-elles le succès d’Europe Ecologie ?

D’abord, on peut commencer le compte du « rassemblement ». On a pas encore une vue très claire, d’autant que la presse et les listes internes des Verts n’attirent l’attention que sur les premiers de liste, à la rigueur les premiers de liste départementaux.

D’ores et déjà, l’effet « tsunami politique » est évident. Le rassemblement va bien au-delà des associations de défense de l’environnement. Et les ralliements de socialistes et de communistes, bien au-delà d’un effet « débauchage », traduit le début d’une recomposition politique à gauche marginalisant l’hypothèque du centrisme (qui doit rester un allié potentiel de second tour). Mais, dans le détail, les effets pervers sont d’autant plus nombreux que la maîtrise politique stratégique par le seul parti démocratiquement organisé dans le rassemblement, Les Verts, n’a pas du tout été assurée.

En ce qui concerne les têtes de liste régionales par exemple, on peut parler de relatif échec en matière de parité Verts/Non Verts (je reviens plus loin sur le terme « non Verts »), et l’échec dramatique sur la parité homme/femme.

Le premier échec doit être relativisé. Je fus de celles et ceux qui, dés le mois de Juin, ont commencé à rechercher des têtes de liste ou autres personnalités potentiellement éligibles sur des listes Région Europe-Écologie, alors même que cette orientation n’avait pas été officiellement adoptée par les Verts. On s’est heurté de très nombreuses difficultés, dont la moindre n’est que le poste de conseiller régional, contrairement à celui de député européen, « ne paie pas ». On ne peut pas demander à une personne de se charger, quelques mois plus tard, de la tâche quand même écrasante de conseiller régional, et peut-être même de président ou vice-président, alors qu’elle fait déjà deux-trois semaines militantes dans sa semaine en tant qu’associative, sans la décharger significativement de la tâche professionnelle qui lui sert de gagne-pain. Le problème se complique encore pour les animateurs d’associations recevant des subventions des conseils régionaux.

D’où finalement le paradoxe : ce sont souvent des politiques (ex-PS, ex-PC, CAP 21 et autres ex-Modem – et encore on ne sait guère jusqu’à quel point « ex ») qui vont se retrouver têtes de liste régionales ou départementales, au détriment de la société civile (les animateurs d’associations, les professionnels engagés). Ce phénomène est démultiplié par la tendance des négociateurs Verts à privilégier les autres politiques « dans le cadre d’une stratégie d’alliance », sachant très bien que les autres types de non-Verts (associatifs et professionnels) seront beaucoup plus gênés pour faire valoir leurs titres comme argument politique afin de rallier leurs affiliés ou admirateurs au vote Europe-Écologie…

C’est assez dommage, car ce ne sont pas forcément les politiques (ex-PS, ex-PC, ex-Modem ) qui sont les plus compétents pour défendre l’écologie politique !

C’est d’autant plus dommage que le rassemblement Europe-Écologie déborde de façon spectaculaire les associations environnementales qui avaient fait le succès du 7 juin (Greenpeace, FNE). On retrouve évidemment l’engagement de cadres de la Confédération Paysanne, mais aussi, et c’est nouveau et inattendu, de nombreux syndicalistes salariés. Mais, à part Philippe Mérieux (Rhône-Alpes) et Laurence Vichnievsky (PACA), très peu de candidats à la présidence de Région représenteront les engagements vers l’écologie politique issus d’un engagement professionnel (dans ces cas : pédagogue et juge anti-corruption).

Deuxième grand loupé, beaucoup plus grave : le loupé sur la parité hommes/femmes. Il est d’autant plus inexcusable que, justement, la plupart des têtes de liste sont … verts, c’est-à-dire que pour eux la parité est un principe organisateur des candidatures. Certes le problème statutaire des Verts est tout à fait réel : l’échelon national n’a pas d’autorité sur les choix régionaux en matière d’élection régionale. Le « souverainisme des régions » permet alors à chacune de dire : « d’accord avec la féminisation, mais que les voisins commencent ». Comme à Copenhague en somme ! C’est ce que j’ai appelé jadis le « paritarisme fun ».

En réalité, c’est dès le début que la direction des Verts n’a pas voulu placer la parité hommes/femmes au premier rang de ses préoccupations en matière de composition des listes. Si elle l’avait voulu, elle aurait fait exactement comme pour les législatives, où la base doit désigner deux candidatures possibles, un homme et une femme, et l’équilibrage hommes/femmes se fait par de complexes négociations régions/national. Même si, dans le cadre des régionales, le national n’a pas l’autorité statutaire pour trancher, ces négociations auraient pu avoir lieu.

Cette négligence reflète enfin, il faut le reconnaître, un recul du féminisme à tous les niveaux de la société.

A contrario : là où les règles d’imposition de la parité peuvent fonctionner (à l’échelon régional) on a, de manière très générale, la parité hommes/femmes entre têtes de listes départementales et, bien sûr, sur les listes elles-mêmes. Ce qui prouve encore une fois que, la parité, on ne l’a que si l’on se donne les moyens de l’avoir. Sinon, les hommes seront toujours plus agressifs, à l’intérieur des partis, pour imposer leur prééminence, même si l’électorat vote tout aussi facilement pour une femme que pour un homme.

Au-delà des têtes de listes, je ne dispose pas à l’heure actuelle de synthèse nationale. Mais l’Ile de France accentue (comme souvent) la tendance générale : une spectaculaire réussite de l’élargissement politique (un maire et un vice-président de conseil général communistes, passés avec armes et bagages sur Europe-Écologie, se retrouvent en tête de liste dans la « banlieue rouge »). Mais cela, aux dépens de la représentation associative, professionnel ou syndicale.

On peut même dire que, malgré des candidatures de la plus haute qualité, tout ce qui tourne autour du travail, écologie du travail (maladies, stress), syndicalisme, écologie sociale et solidaire, se trouve éradiqué ou marginalisé.

C’est une faute majeure, probablement provoquée par la poussée de la représentation « politique » du vieux mouvement ouvrier (ex-PCF et ex-PS). C’est très bien, il en faut, mais ce n’est pas du tout la même chose !! L ‘écologie politique a énormément à dire sur l’écologie du travail et l’écologie sociale, et les Verts énormément à apprendre des « grand professionnels » de ces questions.

Exemple : la bouffe. La combinaison « crie sociale-crise écologique » a ramené la question de René Dumont, « comment nourrir les humains ? », au premier plan. Or LA spécialiste de la nourriture des pauvres en Ile de France, de plus associative et « minorité visible », Christine César, a été éliminée en faveur d’on ne voit pas bien qui ! Pourtant la Région aura la responsabilité d’organiser la transition à la nourriture bio « en commençant par les plus démunis ».

Autre exemple : santé-travail. Caroline Mécary, la grande avocate des causes sociétales (Saint-Bernard, homoparentalité) et surtout présidente de la Fondation Copernic, aujourd’hui porteuse de la thématique santé-travail, se retrouve délocalisée en Val de Marne, avec deux vertes de suite devant elle… Comme si un mystérieux « sélectionneur » avait voulu signifier une défiance pour ses problématiques, qui sont pourtant historiquement au cœur de l’engagement des Verts ! Et ce n’est pas un hasard : dans ce même département, l’ancien président de l’Association des victimes de l’amiante et actuel rédac-chef de la revue Santé & Travail, François Desriaux, est éliminé, alors que le scandale des suicides de France Telecom ouvre enfin le débat sur les ravages humains du libéral-productivisme ! La encore, la région, premier « maître d’ouvrage » du territoire, a pourtant à jouer un rôle exemplaire.

Toutes ces critiques ne doivent pas masquer le résultat essentiel : le magnifique rassemblement que j’ai décrit sur ce blog au fil des mois écoulés.

Côté programme, le résultat est également très intéressant. On pourrait craindre, lors des premières discussions à la fin de l’été, une certaine technicité dictée par les conseillers sortants réduisant le programme aux grands domaines officiels de la compétence des Régions (transports, lycées, formation professionnelle). L’engagement très fort d’un certain nombre de responsables de la rédaction du programme (je pense notamment à l’Ile de France) a permis de redresser la barre en faveur du social, de la question des plus démunis, de la reconversion verte face à la crise. Paradoxalement, c’est le domaine de la formation professionnelle, pourtant à la fois stratégique pour la reconversion verte et compétence bien caractérisée de la Région, sur lequel les programmes sont les plus proclamatoires et les moins « précis ».

On a l’impression qu’après plusieurs mandats passés dans les conseils régionaux les Verts n’ont toujours aucune proposition précise sur la formation professionnelle… sinon que « il en faut, et dans les branches en expansion, celle de la reconversion verte ». Paradoxe auquel faudra bien un jour s’attaquer.

Sinon ma foi ça va. J’ai continué ma tournée de réunions/débats, tantôt pour Copenhague, tantôt pour les Régions. C’est actuellement à peu près la même chose ! La conversion Verte tourne autour du programme de lutte contre le changement climatique (tout la monde sait bien que ce n’est pas que ça, mais, ce mois-ci, ce n’est pratiquement que ça !).

Ainsi : débat très intéressant dans le 5ème arrondissement de Paris sur la question des forêts et du programme REED comme moyen de lutter contre le changement climatique, en prenant en compte les intérêts des peuples indigènes.

Mais déjà commencent les réunions proprement Régions-Europe-Ecologie : j’en ai déjà fait une en Alsace à Mulhouse, une en Bourgogne à Auxerre. Dans les deux cas, nous apparaissons assez bien équipés, intellectuellement, sur la « conversion Verte des Régions ». Nous gardons l’avantage acquis lors des élections européennes : notre réponse à la crise est à la fois une réponse à la crise de l’emploi et à la crise du climat.

Si je peux cependant me permettre une critique aux têtes de liste Vertes : elles ne sont pas encore tout à fait entrées dans la posture « candidat à la présidence de Région ». Un peu trop dans la posture « conseiller régional, voire vice-président sortant ayant bien fait son boulot »…

PS. À propos de conversion verte, je vous invite à lire un article de Pour la science de ce mois-ci. Des chercheurs américains montrent comment reconvertir tout le système énergétique de la planète en énergies renouvelables en vingt ans. C’est tout à fait possible, à condition d’avoir la même volonté politique que dans la mobilisation américaine face à la deuxième guerre mondiale…

Naturellement, ce n’est pas exactement notre projet : les Verts privilégient d’abord les économies d’énergie, avant même les énergies renouvelables. Mais c’est quand même très intéressant, ça donne une idée de ce que serait un « plein emploi Vert ». Quand on rajoute les économies d’énergie (que ce soit dans la mise ne service de transports en commun ou dans l’isolation de bâtiments), on en est encore plus convaincus.

On trouvera également dans cet article un argument anti-nucléaire nouveau et intéressant : compte tenu de l’énergie grise qu’il consomme (celle utilisée pour produire les installations), le nucléaire est 25% moins intéressant que l’éolien pour économiser du CO2…



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