Vendredi, nous avons rendez vous avec le chef de cabinet du Préfet de police de Paris, Bertrand Gaume. Nous : Danielle Fournier, conseillère municipale du 18e arrondissement de Paris, Elise Breyton, membre du Collectif de parrainage des sans papiers du 18e (et ancienne de Sinople !), Mustapha Sy et Dansakha, respectivement coordinateur et président du Collectif des sans papiers du 18e arrondissement.
Je suis un peu en retard, et cours du métro Châtelet vers l’Ile de la Cité. Deux rubans de sécurité en plastique rouge et blanc barrent le Boulevard du Palais et coupent l’accès à la préfecture. Depuis l’attroupement, j’appelle un policier pour lui demander comment passer. Il me lance : « Je vous soutiens, Monsieur Lipietz, mais nous devons faire sauter un colis suspect ». Tiens tiens… Après la victoire de l’Unsa aux élections dans la police et les sondages contestant l’hégémonie de Sarkozy, entrerions-nous dans une période de dé-karchérisation ?
En tout cas, le jeune chef de cabinet (il nous expliquera qu’il est né en 1974, année de la fermeture de l’immigration) nous reçoit sur le pas de la porte. Son attitude aimable est plus que « républicaine ». La petite troupe de sans papiers qui nous accompagne doit patienter sur le trottoir, mais lui accepte assez facilement deux délégués supplémentaires dans son bureau. Nous y retrouvons le Directeur général de la police, Yannick Blanc.
En introduction, le chef de cabinet nous explique que la circulaire Sarkozy de l’été, relative à la régularisation d’enfants scolarisés et de leurs parents, a été appliquée en très peu de temps, et qu’il est tout à fait ouvert à des rectifications en cas d’erreur. Il insiste que la Préfecture a fait alors son possible pour traiter humainement les personnes qui faisaient la queue, en pleine canicule. Se tournant vers moi, il précise en souriant : « On a pris soin de leur donner de l’eau ». Tout le monde comprend l’allusion.
Danielle et moi rappelons à la fois le problème de fond de la régularisation des parents d’enfants scolarisés, et plus généralement la nécessité pour l’Europe d’accepter une reprise des flux migratoires, dont tous ne sont pas légaux au départ. Mais puisqu’il est dorénavant admis que l’Europe a besoin d’eux, il est bien évident que ceux qui s’intègrent directement à la société par leur scolarisation doivent être considérés avec une particulière bienveillance.
Danielle exhibe alors une liste de 20 cas particulièrement éloquents, dont elle retranche aussitôt 3 qui sont déjà réglés. Du premier coup d’œil, le directeur de la police en repère un autre qui est en cours de règlement, promet d’examiner avec attention les 16 cas restants. Nous lui demandons « À qui envoyer les dossiers complémentaires ? - À moi directement », répond-il en tendant sa propre carte de visite. Ça commence très bien.
Le chef de cabinet se défend d’organiser des rafles de parents autour des écoles. Aussitôt, un délégué exhibe un cas réel. Le directeur de la police est au courant ! Les délégués insistent sur la situation terrifiante des parents, risquant d’être arrêtés à la porte de l’école, qui n’osent plus conduire et aller chercher leurs enfants. Ou pire, qui n’osent plus envoyer leurs enfants à l’école. Enhardi, le président du collectif du 18e explique « Nous sommes le premier collectif de sans-papiers d’arrondissement. D’autres arrondissements se sont dotés de collectifs similaires. Nous vous demandons de nous soutenir. »
Léger blanc de stupéfaction. Se ressaisissant très vite, le chef de cabinet du Préfet de Police répond : « Chacun peut avoir ses opinions individuelles, mais vous comprenez qu’en tant que hauts fonctionnaires, nous ne faisons qu’appliquer la loi de la République et pouvons difficilement soutenir un collectif de sans-papiers ». Je m’engage dans la brèche ouverte par la hardiesse de son interlocuteur : « Je crois qu’il faut comprendre cette demande de "soutien" adressée aux autorités. Depuis un quart de siècle, la France comme toute l’Europe procède à des régularisations par à-coups d’immigrés sans-papiers. Nous savons tous que l’immigration est à la fois inévitable et nécessaire, et qu’elle passe, en partie, par une immigration irrégulière au départ, et régularisée ensuite. Il est donc légitime qu’existe une forme de représentation de cette réalité sociale auprès des autorités. » « Tout à fait, répondent les deux fonctionnaires. C’est pourquoi nous nous réjouissons d’ouvrir le dialogue avec vous. »
L’entretien dure depuis une heure, et visiblement, il pourrait encore durer. Nos interlocuteurs sont allés au delà de la politesse due à la présence des élu-e-s. Nous prenons enfin congé et le chef de cabinet conclut par une dernière intervention : « En tout cas, je vous adjure de dire aux membres de vos collectifs de continuer d’envoyer les enfants à l’école. C’est ça le plus important. »
Nous nous retrouvons dehors avec les familles, un peu éberlués par tant de disponibilité. Nous essayons de débriefer avec eux. Bien sûr, nous y avons mis toutes les formes, mais ils ont répondu avec une bonne grâce qui allait légèrement au delà du simple « J’applique la loi avec justice ». Ont-ils déjà partiellement intégré un changement d’atmosphère en France, marqué par l’initiative des parents français soutenant les enfants d’immigrés ? Ont-ils déjà intégré le type d’arguments rationnels que je leur ai présentés ? Ont-ils déjà intégré la possibilité d’une alternance au prochain semestre ? On verra au résultat.
Le soir, dans la ville de mon enfance, j’anime un débat après la projection du film d’Al Gore, Une vérité qui dérange. C’est une initiative de ma mère, toujours résistante, et toujours militante. Occasion pour moi de retourner au cinéma Normandy de Vaucresson, qui dans les années cinquante était un cinéma de bourgade, le lieu de mon initiation au 7e art.
La salle est comble, et je découvre enfin ce film d’Al Gore. Extraordinairement bien fait du point de vue pédagogique, au top du point de vue scientifique (le phénomène de fonte accélérée des grands glaciers terrestres de l’Antarctique et du Groenland, découvert et analysé l’an dernier, est fort bien expliqué). Les recommandations d’Al Gore ne vont évidemment pas très loin, mais le gaspillage aux États-Unis est tel que le coût des premières mesures à prendre pour limiter les dégâts de la pollution est quasiment gratuit…
Le débat avec la salle et avec Monsieur Mathis, conseiller du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), est très intéressant. Je fais remarquer au passage qu’à aucun moment Al Gore ne présente le nucléaire comme une solution au problème du changement climatique…
Le lendemain aux aurores, dans un panache de gaz à effet de serre, je m’envolerai pour Bordeaux où se tient l’Assemblée fédérale des Verts.