Colombie. Présidentielle. Europe.
par Alain Lipietz

vendredi 20 avril 2007

Je suis bien conscient de l’incongruité qu’il y a à parler de mon travail de député européen, à quelques heures du premier tour de l’élection présidentielle en France ! Mais que voulez-vous, c’est mon métier… Cette semaine, j’étais à Bruxelles, ce qui ne m’a pas empêché d’intervenir de toutes mes forces en faveur de ma candidate, Dominique Voynet, par exemple ici et sur le forum d’AgoraVox…

Cette semaine, c’était « semaine de groupe », ce qui veut dire que l’essentiel du travail consistait à préparer les amendements des Verts sur les rapports en cours, et à avancer sur mes propres rapports (un sur l’introduction du transport aérien dans le système des marchés de quotas d’émission de gaz à effet de serre, un autre sur le commerce international et l’effet de serre) et à discuter en groupe des futures grandes batailles. Nous avons eu trois heures de discussion à propos de notre stratégie sur le projet de directive de la Commission visant à libéraliser complètement la poste !

On reparlera de tout ça en temps utile, mais je vous annonce déjà un séminaire que je prépare pour le 9 mai, sur le palmier à huile, dit scientifiquement Palma africana : « Les arbres du Mal » !

Colombie

Le moment fort de la semaine était la Seconde conférence internationale sur les Droits de l’Homme en Colombie, organisé par le Bureau International des Droits humains - Action Colombie (OIDHACO) et la Coordination Colombie – Europe – États-Unis (CCEEU). Je présidais le dernier débat sur les relations entre l’Union européenne et la Colombie. Il m’a fallu rappeler quelques banalités et rétablir quelques réalités :

* L’Union européenne reconnaît la souveraineté de la Colombie, respecte la légitimité de l’élection du président Uribe, comme celle des mairies de gauche telles que Medellin ou Bogota.

* L’Union européenne n’a pas soutenu le Plan Colombie, mais finance des « laboratoires de paix ». Quant à la loi « Justice et paix », l’Union a décidé de ne la soutenir qu’en aidant la réinsertion des enfants-soldats, en lien avec l’UNICEF. Cela ne va pas sans entraîner des problèmes dans les « laboratoires de paix » et à Medellin, où les paramilitaires en profitent pour organiser une véritable noria de recrutement et démobilisation des adolescents.

* On ne va pas « suspendre les négociations d’accord tant que la Colombie ne respecte pas les droits de l’homme », car en réalité, l’Union européenne n’a de discussion qu’avec la Communauté andine. Or, aussi bien l’Équateur (où le président de gauche, Rafael Correa vient d’obtenir, par un Oui à 80% au référendum, la convocation d’une assemblée constituante !) que la Bolivie nous demandent l’ouverture de ces négociations. Naturellement, les problèmes des rapports entre commerce et droits de l’homme y seront soulevés. S’agissant de la Colombie, je cite l’exemple du palmier à huile, de la drogue, de la banane où, bien entendu, clauses sociales et « droit de l’hommistes » interfèreront profondément avec la négociation commerciale.

* Il n’est pas possible de considérer que les FARC ne sont qu’une « organisation combattante dans un conflit armé » (et donc les rayer inconditionnellement de la liste des organisations terroristes, comme le souhaitent certains intervenants). Les FARC ont par exemple enlevé Ingrid Betancourt, présidente du parti Vert de Colombie, alors que les Verts n’ont aucun conflit armé avec les FARC ! La politique d’enlèvements menée par les FARC, concernant des milliers de prisonniers (80% des otages mondiaux sont en Colombie), n’a absolument pas la nature d’un conflit armé, idem pour l’ELN. L’Union européenne défend les populations civiles contre toutes les exactions des groupes armés. La libération de Ingrid et des autres otages civils devrait être inconditionnelle et parallèle à l’échange humanitaire des combattants prisonniers.

Ce discours un peu ferme, même s’il a pris à rebrousse poil certains militants de gauche qui ont tendance à faire passer leur haine d’Uribe avant la défense des droits de l’homme, a manifestement entraîné l’acquiescement de la grande majorité des présents.

Présidentielle

Que reste-t-il à dire sur la présidentielle ? Je crois avoir épuisé la réflexion tactique dans mon billet précédent. Il me semble désormais évident (et on peut le constater sur le forum d’AgoraVox), que plus personne ne sait si voter « utile », c’est voter Bayrou ou voter Ségolène. Que chacun vote donc selon ses convictions et selon son espérance stratégique. Pour moi, l’essentiel, dans ce premier tour, est d’affirmer l’urgence écologique, et ça, Dominique Voynet l’a porté clairement, courageusement. Car la survie de politiques écologistes en France pour les 5 prochaines années est indexée sur ce vote de premier tour.

Mon pari est quand même que les limites du vote Bayrou (son ancrage à droite, son absence de projet d’alliance parlementaire) le handicapent assez lourdement pour que Ségolène remporte facilement la première manche contre lui, avant d’affronter, avec la plupart des électeurs de Bayrou, Sarkozy que rallieront les électeurs de Le Pen. Il faudra à ce moment-là qu’elle soit assez convaincante pour attirer aussi les électeurs écologistes et altermondialistes, et ça, c’est avant tout son affaire et celle du PS.

Post-scriptum : en rentrant à Paris, je découvre le dernier numéro (19 avril) de Politis, où un « courrier des lecteurs » de Frédéric Supiot (Bruxelles) répond à mon article « Europe : pour sortir de la nasse » du 5 avril, lui-même réaction au dossier du 22 mars de ce journal : « Présidentielle, où est passée l’Europe ? » Très étonnante, cette lettre !

Il commence par me reprocher comme un « sophisme » de dire que « le Non nous a cloués dans Maastricht-Nice, c’est-à-dire à des États nationaux, c’est-à-dire à une politique impuissante, c’est-à-dire au libéralisme. » J’aurais aimé un peu plus d’argumentation ! Où est le sophisme, là, exactement ? Ne sommes-nous plus dans Maastricht-Nice ? Ou sommes-nous devenus, avec le Non, une Europe fédérale ? La règle de l’unanimité des États ne condamne-t-elle pas à une politique impuissante, en tout cas moins puissante que la règle de la majorité ? Avons-nous gagné un espace politique capable de contrôler l’espace économique unifié européen ? Si non, n’est-ce pas la définition même du libéralisme ? L’Europe de Maastricht-Nice ne lui semble-t-elle pas libérale ?

Mais le plus étonnant est qu’il me reproche « un acharnement assez désagréable contre le même article de Raoul-Marc Jennar depuis 9 mois, comme si ce dernier n’avait rien écrit avant et plus rien depuis ». Or, mon article était essentiellement… une réponse à l’interview de Jennar qui concluait ce dossier de Politis, du 22 mars 2007 !! C’est pas vieux…

J’affirmais que cet article ne contenait aucune proposition, de la part du Porte Parole du candidat José Bové (présenté és-qualité), pour sortir de Maastricht-Nice. L’article de Frédéric Supiot m’amène à le relire pour la 4e fois. Je persiste et signe, mais nuance un poil : il y a bien l’ombre d’une proposition de Jennar, que, par charité, je n’avais pas relevée. Politis posait explicitement à Jennar la question : « Cette refondation (d’une Europe pour les citoyens et pas seulement pour les actionnaires) doit-elle passer par une Constitution ? » Après quelques phrases dilatoires, Marc-Raoul Jennar répond : « Il faut qu’émerge une volonté politique forte venant d’un pays important pour ouvrir des perspectives… Un président de la République qui aurait le courage de poser les termes du débat dans ceux que je viens d’indiquer pourrait se saisir de l’occasion. » Point, fermez les guillemets.

Bref, le porte-parole de José Bové est parfaitement clair : il ne voit aucune solution si ce n’est la volonté politique d’un homme fort, chef d’un État fort. Position « hobbesienne », qui illumine son article de L’Humanité que je citais : pas question de confier à une Constituante, ou à un Parlement européen investi d’une mission constituante, le soin de nous sortir de Maastricht-Nice, car les électeurs voteraient trop à droite. Il faut donc que de Grands Hommes d’État fassent le bien des hommes malgré eux.

Diamétralement opposée est la position des Verts, que je rappelais dans mon article : pas question de laisser les « grands hommes des grands États » concocter un nouveau traité. Nous proposons (et avons fait voter par le Parlement !) une feuille de route constituante pour les parlements élus d’ici 2009 ; à défaut, nous demanderons que le parlement européen élu en 2009 se proclame constituant. Nous avons entamé des négociations entre la grande majorité des ouiouistes européens et la minorité des nonistes de gauche européens. Le vice-président vert du PE, Gérard Onesta, a déposé une base de texte écrite pour la nouvelle négociation ; etc. Frédéric Supiot aurait pu critiquer ces propositions, rappelées dans mon article. Il préfère les ignorer. « En rester là » a manifestement sa faveur.

J’ajoute que Dominique Voynet a longuement répondu sur ce thème à ATTAC-France, dont la nouvelle direction semble un peu plus « constructiviste ».

Pour celles et ceux qui hésiteraient encore entre Bové et Voynet, je pense que cette grave divergence sur l’urgence et la façon de rédiger un nouveau texte constituant pour l’Europe, entre le porte-parole de Bové et les Verts, est un critère important.



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