Clarification chez les Verts. Une grève tactique.
par Alain Lipietz

dimanche 25 novembre 2007

Le retour à Paris est long et fatiguant. Il faut se mettre au courant de ce qui s’est passé en une semaine : la fin de la grève, la visite de Chavez, le Conseil National des Verts...

Chavez

Sur la "médiation Chavez" pour Ingrid Betancourt, j’avais un peu suivi depuis l’Equateur. J’avoue que je n’avais jamais cru que les deux adversaires (Uribe et les FARC) se mettraient d’accord pour négocier. Uribe a "limogé" Chavez comme négociateur : cela veut-il dire que les FARC s’apprêtaient à lâcher quelque chose ? En tout cas, à Quito on m’a dit que le président Correa était "disponible". Je lui souhaite bien du plaisir.

Mais un truc m’a indigné dans une tribune de l’opposition vénézuélienne découverte dans Libération, "L’opportunisme humanitaire de Chávez". On peut être contre la nouvelle constitution proposée à referendum par Hugo Chavez au peuple vénézuélien. On peut chipoter (mais c’est du chipotage) sur la durée et la forme de l’élaboration du projet de nouvelle constitution. Mais il est incroyable d’écrire : "Nous tenons à rappeler : que pendant des années, le président Chávez a ignoré le sort des Vénézuéliens otages des Farc et ne s’est nullement soucié de leur famille. Que le Président se livre à une course aux armements que rien ne justifie, mettant en péril la paix et la sécurité du pays et de la région."

En tant que président de la délégation pour la Communauté andine, je peux témoigner que les voisins colombiens ont demandé au Venezuela de se réarmer pour contrôler la frontière contre les infiltrations des FARC. Quant aux otages : un jour, l’ambassadeur du Venezuela, voyant que je me démenais pour Ingrid, sans rien demander moi-même aux Vénézuéliens, laissant à Chirac et Villepin le soin d’explorer la voie "Chavez", m’a invité à venir le voir. Il m’a dit : "Ingrid, on l’aime bien. Et comme tout le monde, on a un vague canal de communication vers les FARC. Un jour les Américains nous ont demandé d’intervenir pour faire libérer les trois pilotes d’avion retenus par les FARC. Dès qu’on a eu le contact, on a prévenu les Américains. Aussitôt la presse US et la presse de l’opposition vénézuélienne se sont déchaînées : Voyez ! ils négocient avec les Farc ! C’est la preuve qu’ils sont liés ! Chavez est lié au terrorisme international ! Alors, maintenant , désolé, on ne fera plus rien pour Ingrid ou un autre otage sans un mandat international incluant la Colombie."

TME

Je rentre trop tard samedi soir pour aller au Cnir, mais mon assistante Natalie me communique l’excellent nouvelle : à la quasi-unanimité, le Conseil national des Verts français a approuvé l’analyse du traité modificatif européen rédigé par Pierre Tsiakkaros et moi pour Sinople, et, à 95% des exprimés, a avalisé les positions de la motion que j’avais rédigée quant à notre position sur le Traité modificatif européen. C’est à dire qu’en gros, d’une part les Verts souhaitent un référendum européen, "à l’exclusion de tout appel à des referendums nationaux", puis à défaut un référendum national dans les pays où il a déjà eu lieu sur le TCE, mais, quel que soit le mode, national ou européen, parlementaire ou référendaire, de ratification, leur position est claire : c’est Oui.

Ce résultat est beaucoup plus net que celui du référendum interne sur le TCE en 2005, qui avait donné Oui à environ 60% des exprimés. Ce qui démontre une chose : ceux qui avaient voté Non l’avaient fait sur le pari que le rejet du TCE provoquerait rapidement une meilleure renégociation. Or, l’expérience a montré le contraire : le TME est un peu moins bon que le TCE. Les Verts, qui, en bons écologistes, connaissent bien la fable du Héron et sont adeptes de la méthode expérimentale, ont donc parfaitement compris. Tout nouveau rejet aboutirait soit à planter définitivement l’Europe dans le Traité de Nice, soit à une renégociation vers un accord qui serait lui-même entre Nice et le TME, c’est à dire encore moins bon. Bref : un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, d’autant que le TME offre des possibilités d’amendement du Traité que n’offre pas Nice, et ma motion, telle qu’amendée par le CNIR indique la feuille de route, en cas de ratification, pour aller plus loin. Si Nice gravait l’ultralibéralisme dans le marbre, le TME grave le social libéralisme dans la craie...

Ont donc été désavoués ceux qui ne voulaient pas modifier même d’un seul article positif l’actuel traité de Maastricht-Nice (cela sur un discours trrrrès à gauche : Maastricht -Nice leur garantit une rente protestataire perpétuelle). Mais aussi ceux qui se cachaient derrière le petit doigt de la forme de ratification prônée par Sarkozy pour empêcher que les Verts prennent parti sur le fond, imitant en cela la tactique du PS. Mais, contrairement à Ségolène Royal, je ne dis pas "pardonnez leur, ils ne savent pas ce qu’ils font". Je garde la liste.

Cette volonté de prendre des décisions politiques claires marque un sursaut des Verts, qui se traduit aussi par l’adoption très largement majoritaire des amendements préparés depuis l’été autour de Mireille Ferri, pour rendre les statuts des Verts moins "auto-bloquants". Rien que des bonnes nouvelles.... Si ce n’est l’obligation de se séparer d’une partie de nos salariés. La décision du 13 mai de ne pas faire d’alliance à des législatives décisives pour contrer Sarkozy a eu aussi des effets financiers. Il faut ramener la voile. Merci à eux, merci à des années de travail en commun.

Jonas

Dimanche, malgré ma fatigue et celle de Francine qui sort difficilement de sa dernière chimiothérapie, nous faisons quand même un saut à la fête pour le cinquantenaire de la librairie Jonas. Jonas, c’est la grande librairie progressiste du XIIIe arrondissement où Francine et moi avons longtemps milité, au PSU, à la GOP et dans de multiples comités populaires.

J’y ai présenté presque tous mes livres, mais surtout, c’est là que de jeunes chanteurs et chanteuses engagé-e-s se sont produit-e-s au début de leur carrière. Fidèles, Francesca Solleville et Anne Sylvestre viennent nous chanter quelques unes de leurs dernières chansons. Anne Sylvestre, toujours aussi caustique et drôle, mais j’ai un faible pour la chanson qu’elle a composée et que nous chante Francesca Solleville, Je chante, excuse moi, de son album Grand frère, petit frère.

Une chanson qui résonne très fort non seulement avec les déceptions de ma longue vie militante et celles de toute une génération, mais aussi avec mes actuels travaux sur Mallarmé, ce poète qui "chantait en désespéré".

Contrairement à mon voyage en Argentine de 1995, où j’étais parti pendant la grève et revenu pendant la grève, je dois bien constater que cette fois, la grève s’est terminée sur une sorte de match nul où finalement les travailleurs acceptent de négocier sur une base qui, moyennant quelques ajustements, les aligne quand même à peu près sur le régime général de la fonction publique. En face, Sarkozy a échoué dans son projet de casser le syndicalisme en une seule bataille, comme Mme Thatcher avait réussi à le faire lors de la grève des mineurs.
Cela me paraissait d’emblée inévitable, quelles que soient les spécificités des contraintes de service public particulières pesant sur les cheminots. Elles justifient en effet un bonus sur leur retraite, mais par rapport à une base dont il me paraît bon qu’elle soit la même que celle de la fonction publique. Du point de vue stratégique, dans le syndicalisme comme dans la CAN, il vaut mieux se battre en bloc que par catégories séparées. C’est ce que semble avoir très bien compris les directions syndicales, et en particulier le leader de 95, Bernard Thibault. En 1995, les "roulants" se battaient pour défendre les retraites de l’ensemble des salariés, et tous les salariés soutenaient cette "grève par procuration". 12 ans après, l’allongement de la durée des cotisations pour la retraite a été imposé à tous les salariés... sauf aux régimes spéciaux, qui ne pouvaient donc plus se présenter comme se battant pour les autres.

Sur le fond, il est clair pour les écologistes que la bataille pour la réduction du temps de travail, meilleure façon de réduire le chômage et de basculer vers une société du temps libéré, passe aussi par la réduction relative du temps de cotisation par rapport au temps de retraite. Cela, à un niveau de pension garantissant une vie digne, ce qui impliquerait seulement une croissance modérée du taux de cotisation sociale (avec un accès possible à des retraites "surcomplémentaires" mutualistes, comme pour la santé)

Mais ça, cela implique un rapport de force global, établi au niveau de toute la société. Tout ce qui divise le front des salariés l’affaiblit face aux tenants du "travailler pour gagner plus". Un syndicalisme salarié unifié sera en meilleure posture contre ceux qui dès 2008 prétendent allonger la durée des cotisations à 41 ans, etc.

Sur la forme, quelque chose me chiffonne. Le problème, pour les salariés des services publics, de trouver des formes de grève qui font mal à l’employeur mais pas à l’usager, se pose depuis 1968. Or, visiblement, aucun progrès n’a été fait dans cette direction, même depuis 1995, et ce sont les syndicalistes de Sud, autrefois membres de la CFDT, et à cette époque parmi les plus préoccupés de la question de l’unité populaire autour des grévistes, qui semblent s’être le moins préoccupés de cette question à l’occasion de cette grève.

C’est pourtant bien là la question essentielle pour la stratégie syndicale. Espérons qu’un débat va enfin s’ouvrir sur ce sujet, car il est très probable que, dès les municipales passées, le gouvernement repartira à l’assaut contre les retraites et la sécurité sociale.



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