Changer de gauche dans une élection
par Alain Lipietz

vendredi 21 mars 2008

Après une séquence épuisante, nous prenons enfin quelques vacances à Serre-Chevalier, où le bon air du Briançonnais aide Francine à récupérer de sa chimio. Les résultats du second tour des municipales confirment avec une ampleur inespérée le bilan que j’avais tiré du premier tour dans mon billet précédent : forte défaite de la droite, et renaissance des Verts. En même temps, elle pose des problèmes compliqués qu’il va bien falloir étudier.

Difficile de faire un bilan : tout le système informatique des Verts s’est écroulé à la veille du premier tour et n’est pas encore reconstruit. Ah ! si les Verts avaient une fée Perline !

On n’épiloguera pas sur la « branlée » (Sarkozy dixit) subie par la droite, sauf qu’il faut quand même explorer cette histoire : est-ce seulement la faute des vieux électeurs de droite qui n’ont pas supporté les manières bling-bling du Président ? Ou un rejet populaire, y compris chez les retraités de droite, vis-à-vis d’une politique d’érosion de leur pouvoir d’achat ? Dans l’état de désarroi programmatique de la gauche, la première interprétation serait un sérieux bémol pour la suite.

La seconde interprétation, sans doute plus juste, pose aux Verts de très sérieux problèmes. En effet, cette érosion du pouvoir d’achat a une dimension politique (la politique de « Robin des bois à l’envers » de Sarkozy pratiquée depuis l’été 2007 : prendre aux pauvres pour donner aux riches). Mais elle a surtout une dimension écologique. Car la baisse du pouvoir d’achat, c’est d’abord et avant tout l’augmentation du prix des produits de première nécessité : alimentation, énergie, logement. C’est en quelque sorte la traduction, dans les pays développés, du « Nous allons à la famine » de René Dumont : les ressources se font plus rares par rapport à un monde de plus en plus déchiré entre riches et pauvres, et seuls les plus riches peuvent suivre. Mais répondre à ce défi de manière non-productiviste n’est pas simple. Ça demande une réaffectation des politiques budgétaires et des politiques de crédit vers l’aide à la construction de logements écologiquement soutenables, les économies d’énergie, l’agriculture paysanne…

À l’intérieur de la gauche, la renaissance des Verts se confirme. Soit que les politiques d’union aient augmenté considérablement le nombre de nos élus, conseillers municipaux et maires adjoints, soit que l’autonomie menée jusqu’au bout nous ait permis des victoires historiques, comme Montreuil, première ville verte de plus de 100 000 habitants, conquise par Dominique Voynet, des associatifs, des dissidents du parti socialiste, contre une autre liste soutenue par tous les partis de gauche ! Elle amplifie ainsi le succès de 2001 de Michel Bourgain à l’Île-Saint-Denis (qui lui aussi garde sa mairie contre une liste PC-PS).

La preuve est faite, comme en 2001, en banlieue rouge, que le vote Vert n’est pas simplement un vote bobo !

Toutefois, cette victoire nous pose de nouveaux problèmes. D’abord, elle n’est pas complète. Comme nous avions gagné des villes et des bourgs depuis 1995, nous commençons à en perdre. C’est triste et c’est normal, mais cela montre qu’un bon bilan ne suffit pas, même pour les Verts !

Surtout, le succès de 2001 nous mettait souvent en position d’être sortants en 2008 avec le PS et le PC, donc posait, dans des conditions plus délicates, le problème de « comment changer de gauche au cours d’une élection ». Ce problème n’est pas tout à fait le même que le problème de fond « comment changer la gauche », c’est-à-dire comment la rendre globalement plus écologiste. Ce problème-là est le problème de la conquête de la majorité culturelle (quand la vieille classe politique elle-même commence, non seulement à imiter notre discours, mais imiter notre action). Mais je veux plus précisément parler ici de « comment donner plus de poids institutionnel » aux écologistes, dans les alliances de types majorité de gauche plurielle, ou « comment remplacer de vieilles unions de la gauche modèle 70 par des coalitions Verts + associatifs. »

La véritable solution à ce problème serait la proportionnelle : à chaque élection, les électeurs choisissent « leur dosage ». Mais les municipales ne sont pas des élections à la proportionnelle, ce sont, dans les villes, des scrutins majoritaires avec une petite représentation pour les minorités (à Paris, Lyon, Marseille, ce sont des juxtapositions de scrutin majoritaires d’arrondissement, avec un résultat assez curieux sur Marseille). Donc, notre problème en 2008 était « comment partir au premier tour pour changer la proportion de Verts dans la coalition progressiste qui gagnerait le deuxième tour » ?

La réponse normale est de se présenter en autonome au premier tour et de fusionner à la proportionnelle au second tour. Mais on a vu les difficultés rencontrées par la liste des Verts à Paris. Cette manœuvre exige d’abord d’imposer l’idée que l’autonomie de premier tour est la façon « légitime » de mesurer l’évolution du poids des idées écologistes, et cela implique qu’elle soit pratiquée systématiquement, au moins déjà à toutes les élections à la proportionnelle (régionales et européennes). Cela implique aussi que nos partenaires soient d’accord avec cette règle démocratique - et il faut saluer le parti communiste de Vitry qui, sans doute par intelligence stratégique, a accepté une fusion "équitable" avec les socialistes et nous au second tour… alors qu’il n’avait plus de droite en face de lui ! Mais ce ne fut malheureusement pas le cas partout : à Montpellier, Grenoble… ou Villejuif, nous avons eu affaire à une gauche répudiant la proportionnelle dont elle se réclame.

Un deuxième impératif, autrement plus important pour les électeurs, est que le sens de la rupture provisoire de l’unité (le temps d’un premier tour) soit bien compréhensible : c’est un choix clair qui doit leur être proposé. J’ai dit pourquoi ce n’avait pas tout à fait été le cas à Paris.

Enfin, il ne faut pas que des listes centristes viennent perturber le jeu, favorisant le pouvoir en place (comme à Villejuif, où le deuxième tour a reproduit à peu près le premier, ou à Chevilly, où faute de pouvoir faire confiance aux Modem, la liste Rioual a dû laisser gagner la « gauche conservatrice). Ou pire, que la droite puisse profiter de l’incapacité des deux listes de gauche à fusionner à la proportionnelle (Saint-Michel-sur-Orge).

Quand le jeu se concentre entre vieille gauche et nouvelle gauche, plusieurs conditions doivent être réunies. J’ai beaucoup discuté dans les billets précédents des cas des mairies « dinosaures » de l’ex-banlieue rouge. L’expérience 2008 confirme que la nouvelle gauche peut remplacer l’ancienne lorsqu’elle apporte une forte composante écologique démocratique dans son contenu, et quand le PS local joue le jeu. Ses deux grands succès en Seine-Saint-Denis, Montreuil et Aubervilliers, montrent qu’il est inutile que les instances supérieures du PS soient d’accord ou non. À Aubervilliers, Ségolène Royal et moi avions soutenu Salvator ; à Montreuil, Dominique Voynet s’était battue malgré tous les appareils de la vieille gauche qui soutenaient Brard, mais, dans les deux cas, le PS (issu du nouveau milieu associatif) et les Verts locaux y croyaient, se sont accrochés, ont gagné. Montreuil est une grande victoire pour les Verts, mais Aubervilliers, avec sa charge poétique (le Paris que j’aime de Reggiani, le souvenir de Jack Ralite) est encore plus significatif politiquement.

Attention ! Je parle du cas des « bastions PC dinosaures » parce que j’habite justement dans cette vieille banlieue rouge. Il y a des maires socialistes tout aussi hégémonistes, clientélistes et autocratiques que certains vieux maires communistes (fussent-ils eux-mêmes « distanciés » par rapport à leur parti)….

Photo Perline.



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