Cantonales de Villejuif, 1er tour
par Alain Lipietz

lundi 21 mars 2011

Apres les municipales de 2008, les cantonales de Villejuif étaient un nouveau test du difficile problème de la « conversion verte de la banlieue rouge » (voir ici mes analyses de 2008 sur « changer de gauche dans une élection »

Situation de départ :

Villejuif est tenue par le PCF (marchaisien ) depuis la nuit des temps, avec 2 cantons PCF (Garnier à l’Ouest et Delbos à l’Est). Le PS reste localement dans l’ombre du PCF jusqu’à l’an dernier, avec une autonomie croissante depuis sa conquête de la circonscription par le maire de Cachan, Le Bouillonnec, en 2002.

Les Verts représentent l’opposition de gauche et du centre à la gestion Pcf de la ville. Le FN n’a aucune équipe militante ni visage individuel à Villejuif, mais bénéficie d’un vote d’opinion stable vers 10 % (plutôt dans les cités). L’élection municipale de 2002 montrait un équilibre en l’absence de FN : 50% PCF (+PS), 26% droite, 24 % Verts (déjà en configuration « coopérative EéV » avec un groupe local, Villejuif Autrement). L’épisode Modem de 2007-2008 prive les Verts de « l’opposition centriste » : PCF (+PS) 47,5 %, droite 27,5, Verts 12,5, Modem 12 %.

Après des mois de négociations « à 3 » à l’échelle du Val de Marne pour obtenir le rééquilibrage du Conseil général (dominé par PCF), c’est l’échec, le PCF voulant jouer les derniers avantages qu’il tire localement du scrutin majoritaire. Pour la première fois, le PS accepte une alliance avec Europe-Ecologie-Les Verts (EéV) pour tenter un rééquilibrage des cantons, et à terme de la gouvernance municipale de Villejuif. Le PS se réserve le canton Est où sont la plupart des militants des deux partis (Sophie Taillié-Pollian). EéV se présente sur l’Ouest (François Labat). Chaque parti soutient son partenaire, mais le PS choisit un MRC comme suppléant, alors que EéV choisit par loyauté une socialiste comme suppléante. Le PCF, comme d’habitude, téléguide une fausse écolo sur chaque canton afin de nous priver de quelques %.

La campagne, commune aux deux cantons, s’est très bien passée, avec séances de travail hebdomadaires des deux partis ouvertes aux associatifs et professionnels (tiers secteur, environnement, petite enfance, dépendants et handicappés…), meeting d’ouverture avec C. Duflot et P. Hamon, meeting de clôture avec E. Joly et H. Désir), dizaines de milliers de tracts distribués, porte à porte… Voyez le très riche site de François Labat.

François Labat, S. Taillé-Polian, H. Désir, E. Joly, D. Girard, N. Gandais, C. Casel

Résultats :

1. Le Pcf, qui a jeté dans la bataille toutes ses forces militantes et sa capacité de contrôle clientéliste sur les grandes cités du canton ouest, l’emporte comme prévu (Garnier : 37 %) mais aussi dans l’Est (Delbos 35 %), contrairement aux sondages. Ce qui est moins prévu, c’est l’ampleur de l’abstention (65 %) et la percée du Front national ( 18 et 20 % : scores dignes du 93 des années terribles, mais jamais vu à Villejuif), qui écrase la droite UMP (Harrel 12% à l’Ouest, Beurtheret à l’Est 9%) et le centre Modem ( 6 et 7 %).

La profondeur de l’abstention doit d’ailleurs relativiser le succès du FN, qui chute par exemple de 1082 voix en 2004 à 942 voix sur le canton Ouest (6,4 % des inscrits). En fait, seul Garnier (Pcf-Ouest) dépasse le seuil de 12,5 % des inscrits (de peu : 12,86 ), et personne dans le canton est. Ce sont donc les deux premiers qui sont autorisés à se maintenir : le Pcf, et EéV dans le canton Ouest, le Pcf et le Ps dans le canton Est.

Comme il n’y a plus de droite, EéV se maintient au second tour, mais pas le Ps, ce qui ne va pas manquer de poser des problèmes aux électeurs socialistes, écologistes ou centristes.

2. Le PCF a creusé l’écart. Il a progressé en % par rapport à 2004 (de 27,5 à 35 à l’Est, de 30,5 à 37 à l’Ouest), tandis que l’alliance PS+EéV ne retrouve pas la somme de 2004 (Ouest : Labat EéV 25 %, contre 23+9 en 2004, Est : STP : 24,5 % contre 22+10+2 MRC). Certes le PCF a bénéficié de l’absence et du soutien discret de l’extrême gauche (qui pesait 4,5 % dans chaque canton en 2004). Mais il était clair dimanche que, dans les bureaux de votes déserts des cités, seuls les sympathisants PCF venaient voter, et les plus engagés de l’opposition populaire à la mairie et à Sarkozy… qui votaient deux fois plus pour le FN que pour EéV+PS !

Il faudra une analyse plus fine et en valeur absolue, mais il est semble bien que le succès relatif du PCF vient de ce qu’il a mieux mobilisé ses sympathisants, avec cependant de lourdes chutes : de 1790 à 1550 voix à l’Est, de 2450 à 1970 à l’Ouest. Mais la chute est bien plus forte pour PS+EéV, soit que nos électeurs de fichent encore plus des cantonales (quand, pour le PCF, il était vital de garder ces deux cantons) , soit que l’additivité des voix PS et EéV face au PCF ne soit pas parfaite.

3. C’est ce que fait d’ailleurs apparaître la légère asymétrie des cantons. Malgré l’extrême faiblesse militante de nos deux partis dans le canton Ouest (compensée par une campagne EéV d’un dynamisme effréné !), « Eelv soutenu par Ps » fait mieux que « Ps soutenu par Eelv » (25,02 % et 1336 voix, contre 24,45% et 1068 voix).

Cet écart, certes minime, de 2,5% par rapport à ce que les votes de 2004 laissaient attendre est partiellement expliqué par les votes « faux écolos », qui auront au moins servi à ça : 4,5% à l’Est (canton « PS » ), 1,4 % à l’Ouest (canton « EéV »). Il existe une réelle réticence d’une petite partie de l’électorat écologiste à se reporter sur le PS. D’une façon générale, comme l’ont montré les législatives partielles de Yvelines, l’écologie rassemble plus large que le Ps. Et de plus, à Villejuif le Ps apparaît trop marqué « gestion PCF ».

4. Le soir même, Eelv se maintient face PCF, puisqu’il n’y a pas d’ennemi à droite au second tour, donc pas de « front républicain ».
Surtout nous considérons que ce scrutin a posé le FN en représentant de l’opposition de droite, notamment populaire, à la gestion communiste de Villejuif. Se retirer serait donc une catastrophe à terme, quel que soit le confort que cela offre à court terme (dont : partir enfin en vacances !). Il faut ré-affirmer qu’une autre gauche est possible à Villejuif.

5. Cette recherche d’une autre gauche est manifeste dans ce fleuron historique du PCF qu’est cette circonscription, qui fut celle de Paul et Marie-Claude Vaillant-Couturier et où se réfugia Marchais (en virant M-C V-C).

- Sur Arceuil-Gentilly, le maire d’Arcueil, Daniel Breuiller, EéV ex-PCF, est en tête avec 45 % (Pcf : 25, Modem 13, FN 15)

- Sur Cachan, EéV est seul au second tour (20%) face au PS (34%)

Cette élection repose donc la question « qui sera la nouvelle gauche en banlieue rouge, après le Pcf », qui semblait tranchée en faveur du Ps. Mais c’est pour l’heure une question vraiment secondaire, car le principal candidat à la succession du PCF, comme représentant des classes populaires, à Villejuif comme partout, est dorénavant le FN… sauf fjustement à Arcueil. Ce qui est parfaitement normal par temps de crise (cf l’Allemagne en 1932…)

C’est pourquoi sans doute des camarades ex-NPA ou Parti de Gauche villejuifois nous encourageaient plutôt hier soir à nous maintenir au second tour… afin de ne pas laisser un boulevard au FN.



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