Cantonales : Bilan d’étape
par Alain Lipietz

mardi 8 mars 2011

À 15 jours du premier tour, la campagne pour les cantonales livre déjà quelques enseignements. Bien sûr, l’enjeu principal sera sans doute le succès du Front national.

Le battage médiatique en faveur de Marine Le Pen, l’ouverture désormais sans limite et sans critique des grands médias envers les thèses racistes (Raspail, Zemmour...) et surtout l’incroyable campagne de Nicolas Sarkozy et l’UMP en faveur des thèses du Front national, ne suffisent pas à expliquer la poussée du FN dans les sondages. Désormais 1 personne sur 4 songe à voter Le Pen, y compris chez les fonctionnaires ! Les militants qui font du porte à porte découvrent avec épouvante que la montée de l’angoisse et du désespoir engendrée par la crise porte beaucoup facilement vers le FN que vers une Gauche qui, jusqu’à présent, n’a pas encore présenté d’alternative convaincante pour 2012.

Cela n’a rien d’étonnant. Si l’on considère que la crise actuelle présente bien des points communs avec celles des années 1930, alors nous sommes en 1932. Année où fascisme et communisme stalinien (« cours gauche de la troisième période ») se disputaient les voix populaires en tapant de concert sur les forces bourgeoises et sur les socio-démocrates, le parti communiste allemand poussant cette ligne jusqu’à la caricature (voir ici l’histoire du KPD). Résultat : cette année-là le parti nazi atteint la majorité relative… 37 %. On n’en est pas là, car Sarkozy et les siens n’ont validé jusqu’ici que l’idéologie du FN, mais, contrairement au centre droit allemand de l’époque, ils n’ont pas encore légitimé sa participation au pouvoir. Mais quand même…

Deuxième remarque : le succès, discret mais réel, d’Europe Ecologie, qui accompagne, comme en 2009, une incroyable campagne de terrain. Comme le disent les journalistes : "Vous jouez ces cantonales comme des législatives !", C’est vrai, et c’est d’autant plus étonnant que, jusqu’ici, les Verts ne s’étaient guère intéressés aux cantonales.

Il y avait une première raison : faisant de nécessité vertu, les Verts sous-estimaient ces élections pour les départements au scrutin majoritaire, où ils n’avaient pratiquement aucune chance de se faire élire tant qu’ils n’étaient que la 5ème ou la 6ème force du pays. Devenus, depuis 2009, la troisième force politique du pays (au coude à coude avec le FN...), les écologistes sont désormais en position d’être assez souvent au second tour, et là tout devient possible.

Mais il y a plus profond. Les Verts sont pour la simplification de la carte administrative et notamment la fusion région-département (avec sans doute le maintien du département comme subdivision de la Région, chargée de la proximité et du social). Leur opposition à la réforme récente (qui devrait intervenir en 2014) porte essentiellement sur le mode électoral, mais pas sur ce regroupement. Ils avaient donc tendance à glorifier la Région et bouder le département.

Sauf qu’on va aux élections et on mène une fois élu les politiques publiques dans le cadre tel qu’il est. Le département existe depuis la Révolution Française, il a encore été renforcé par Raffarin. Et on s’aperçoit que ses compétences englobent très largement les chantiers de la conversion verte, réponse écologiste à la grande crise ouverte en 2007/2008, que l’on parle des transports en commun, de l’isolation des bâtiments, de la conversion au bio, du logement social et surtout de l’économie sociale et solidaire. Autant de chantiers indispensables pour sauver la planète et recoudre une société déchirée, en créant une énorme quantité d’emplois de qualité et non-délocalisables : tout cela relève en totalité ou en compétence partagée du département.

C’est ce que j’explique dans ma tournée de réunions débats. Et comme je ne pouvais pas aller partout, j’ai mis ici un résumé de mes interventions avec un lien sur une vidéo du débat de Challans.

Et le public semble suivre. Une surprise depuis Bègles, début décembre dernier : je n’ai jamais vu moins de 60 personnes (contre jadis une poignée...), et parfois beaucoup plus aux réunions-débats des candidats. Évidemment, il y a les militants, mais aussi deux types de public.

D’abord les "vrais gens", vaguement politisés, et qui pour la première fois se posent la question de l’option Europe Écologie pour le département. Et puis, encore plus intéressant, beaucoup d’associatifs, de professionnels (surtout de l’habitat écologique), beaucoup d’animateurs de l’économie sociale et solidaire, qui viennent chercher un appui pour leur activité. En ce sens, la campagne elle-même fonctionne comme une coopérative. Des « activistes » recherchent dans le vote EÉV un débouché politique ponctuel pour leur préoccupation principale, de nature professionnelle ou associative. D’ailleurs près de la moitié des candidats cantonaux, là où je vais, sont eux-mêmes des "sabras" d’Europe Ecologie, qui n’avaient jusqu’à présent qu’une activité associative.

Typiquement, à la réunion de vendredi soir à Limoges, nous ne sommes « que » 70. Mais comme on annonce que le lendemain je donne une formation de 3 heures pour les candidats, nous nous retrouvons à 40 le lendemain matin !

De même, à la Rochelle : les activistes de l’économie sociale et solidaire sont là, le débat est très riche, on dérive vers la formation, « redonner du sens » au travail, en particulier au travail manuel qualifié...

C’est idée « redonner du sens » est très importante. Libération, dans un beau portrait du syndicaliste Laurent Berger (6 mars 2006), se gausse pourtant de cette expression : « pure rhétorique ». C’est vrai que « donner du sens » ou « avoir un projet » devient de la langue de bois si on ne dit pas « lesquels ». Europe-Écologie a ses valeurs (autonomie, solidarité, responsabilité…) et son projet, la conversion verte. Et ce qui rend le tout concret, c’est qu’en plus, nous apprenons à parler des moyens, du processus qui commence aujourd’hui, de la transition. Ce qui fait de EÉV le vrai antidote au FN. Mais le temps presse.

A Villejuif, où je tracte, diffe, porte à porte quand je ne suis pas dans une autre région, cas très particulier. Après des décennies de domination communiste pesante sur la ville et ses deux cantons, les socialistes et les écologistes, brimés, se sont associés. Chacun se présente sur un canton, soutenu par l’autre, plus les forces associatives (Villejuif autrement, Gauche citoyenne) et, du côté du PS, les radicaux de gauche et le MRC. Tous les mardis, réunions thématiques avec des professionnels : sur l’environnement, les handicapés, les personnes âgées dépendantes, la petite enfance... On apprend énormément.

Et jeudi 10 mars, le grand meeting avec Eva Joly...

Dans cette ville où la droite est faible et où ses voix se diviseront entre Front National, UMP et Modem, les candidats communistes et écologistes ou socialistes sont à peu près assurés d’être tous les deux au second tour. Et là ça se jouera sur la capacité de présenter un projet et de rassembler. D’où les tensions avec le PCF, qui avait refusé avec hauteur un rééquilibrage négocié de la gauche départementale (où il est hégémonique), et qui se voit menacé de perdre plusieurs cantons au profit des écologistes et des socialistes.

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Inutile de dire que cette campagne m’épuise. Là-dessus, catastrophe : un petit cambriolage. On me vole notamment mon Iphone. Occasion de faire l’expérience de la gestion par sous-traitance chez Orange, avec tout ce que cela entraîne de stress, et pour les salariés... et pour les clients désemparés. Une expérience instructive que je raconte ici.



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