Campagne Voynet
par Alain Lipietz

samedi 7 avril 2007

Cette semaine, vacances du Parlement. J’en profite pour faire un peu la campagne de Dominique. Mon travail au PE et la santé de Francine m’ont jusqu’ici cantonné à la rédaction d’articles présentant les positions des Verts, dans Alternatives internationales, Alternatives économiques, Libération, Politis, L’Economie politique, le Nouvel Obs et à nouveau Politis.

Mission : je dois parler 35 minutes à Strasbourg sur l’emploi et l’Europe, et 7 à 8 minutes à Paris sur l’international et les rapports Nord Sud.

Strasbourg

À Strasbourg, j’ai tout mon temps puisqu’on m’a demandé l’exposé programmatique principal. Insistant sur la différence entre "décroissance" et "décroissance de l’empreinte écologique", je détaille les diverses formes de création d’emplois écologistes : reconversion vers les industries moins polluantes qui sont en général plus intensives en travail, le partage du travail surtout du côté de la durée de vie active, et on m’a demandé d’insister surtout sur le tiers secteur, l’économie sociale et solidaire.

Je ne re-détaille pas ici, vous trouverez mon discours, y compris sa traduction en langage des signes, sur le site de Dominique. Comme cette improvisation sur des sujets que je connais par cœur ne me demande pas beaucoup d’effort, je glisse quelques considérations personnelles sur la difficulté de la campagne. Le fameux problème du « vote utile » rejoint finalement le problème fondamental de l’écologie : la valeur de responsabilité est plus dure à assumer que les valeurs de liberté ou d’égalité. Car elle suppose qu’on n’attende pas que le voisin commence. Or c’est le même problème pour les votes : si les gens ont peur de voter Vert, c’est qu’ils ont peur que, les autres n’en faisant pas autant, leur voix soient perdues…

Le discours de Dominique, extrêmement combatif et même, sur la fin, émouvant, développe d’une autre façon le même thème : la panique qui se propage à gauche devant la perspective Sarkozy amène des électeurs socialistes à voter Bayrou et des électeurs Verts à voter Ségolène !

Je dois dire que j’admire le courage et la ténacité de Dominique face à l’adversité. À la sortie je vais boire un coup avec son équipe. On évoque ma campagne de l’été 2001. « Ca devait être encore plus dur », me disent-ils. « Certes, mais ce n’est pas celui ou celle qui est dans l’épicentre de la bataille, comme Arjuna au début de la Bagavat Gita, qui souffre le plus. Ce sont ses proches. Je suppose que c’est elle qui vous remonte le moral ? – En effet ! »

Paris

Le meeting de Paris remplit à peu près la Mutualité, soit plus que nos rendez-vous précédents au Cirque d’hiver. Ici, l’enthousiasme de la foule des militants est déchaînée, surtout celui des jeunes : on se croirait presque dans un meeting de la gauche ou de l’extrême gauche classique ! Sauf que c’est en Vert…

Dans mon intervention, (vous pouvez suivre chacune des interventions qui suivent en allant à la page « Toute la mutu en video » sur le site de Dominique), beaucoup plus courte qu’à Strasbourg, je ne peux pas cette fois me permettre de développer le fond, alors je développe encore plus fortement cette idée de responsabilité, reprenant le mot de Dostoïevski qu’aime à citer Emmanuel Lévinas : « Nous sommes tous responsable de tout et devant tous, et moi particulièrement » ! Alors moi, particulièrement, je vote Voynet en faisant confiance que beaucoup en feront autant, que beaucoup s’engageront concrètement dans le combat pour sauver la planète.

Le discours de Voynet est un perfectionnement de celui de Strasbourg, mais le plus intéressant est l’intervention des grands témoins. C’est-à-dire Juan Carlos Lecomte, mari d’Ingrid Bétancourt, et les trois syndicalistes ou associatifs. L’intervention de Juan Carlos, que je traduis au fur et à mesure, est très sympa : petit point sur la Colombie mais surtout : « Dominique, ne te soucie pas des sondages ! Quand Ingrid s’est présentée aux sénatoriales de 1998, elle n’était même pas cotée pour les sondeurs et elle a fait le meilleur résultat de tous les sénateurs ! »

Plus délicate est la situation des trois autres grands témoins : l’ancienne secrétaire générale de la FSU, Monique Vuaillat, Sébastien Genest, président de France Nature Environnement, et Régis Hochard, porte-parole national de la Confédération paysanne. Plus difficile puisque il n’est évidemment pas question qu’ils soutiennent explicitement Dominique Voynet (ce serait comme si le secrétaire général de la CGT appelait à voter pour la candidate du parti communiste !) mais en même temps, s’ils sont là, ils indiquent, de fait, leur préférence. Je suis cureux de voir comment ils vont s’y prendre.

Pour Monique Vuaillat, pas de problème. D’abord, elle n’est plus secrétaire générale de la FSU et du SNES, et d’autre part, cela fait plusieurs années que l’on sait qu’elle vote Vert, qu’elle a voté Oui pour la Constitution européenne etc. Elle est là en amie, presque en militante, exposant un programme écologiste pour l’éducation.

Beaucoup plus compliqué est le problème de Sébastien Genest. France Nature Environnement est l’épine dorsale de l’Alliance pour la Planète, réseau d’associations qui s’est trouvé un porte-parole spectaculaire avec Nicolas Hulot. Or, Nicolas, sous-estimant sans doute le cynisme des candidats productivistes, s’est enfermé dans le Pacte qu’il a fait signer à tous les candidats. Du coup, au lieu de politiser l’associationnisme environnementaliste, il a associativisé, dépolitisé le combat écologiste. Je l’ai dit, ce n’est pas le problème principal de cette campagne, mais cela joue dans le faible score que risque de faire Dominique Voynet. Les présidents des grandes associations sont en train de s’en rendre compte, et doivent donc soutenir la candidate de l’écologie sans avoir l’air de trop s’engager politiquement. Jusqu’au dernier moment, je ne douterai pas que Nicolas Hulot trouvera (au niveau de la profession de foi des candidats ?) le moyen d’en faire le maximum pour la candidate verte, mais il est peut-être un peu tard.

Voyons donc comment s’en tire Sébastien Genest. Eh bien tout simplement en soulignant les très larges convergences entre le programme des Verts et le sien… et surtout par une petite incidente qui n’a l’air de rien : « Sur le terrain, pour défendre l’écologie, on trouve les militants associatifs et les élus locaux Verts… ».

C’est très fort et très subtil , car d’abord c’est très juste, cela renvoie à la réalité de qui se bat vraiment pour l’écologie, et, au-delà d’un soutien à Dominique, c’est l’ensemble de notre militantisme, y compris le militantisme anonyme de tous les écologistes associatifs ou politiques, qui se trouve valorisé. Revenu s’asseoir à côté de moi, il me confiera : « Moi même, je suis totalement inconnu… comme toi tu as disparu en devenant député européen ».

Encore plus compliqué est le problème de Régis Hochard, qui n’en est pas à sa première apparition aux côtés de la candidate des Verts : il a déjà fait un voyage à Fribourg, à l’insu de son plein gré, à ses côtés en covoiturage. Le plus célèbre des anciens porte-parole de la Confédération paysanne, José Bové, est candidat, et donc est concurrent de Dominique. La Confédération paysanne a très fermement souligné qu’elle ne le soutenait pas. Il ne peut donc pas, lui, soutenir Dominique. Et pourtant, la Confédération paysanne sait très bien que dans la réalité, ce sont surtout des militants Verts qui les aident dans le combat contre les OGM. Par ailleurs, il est manifeste que, suite à la non-dynamique du Non, ou plutôt, à l’anti-dynamique qui a fait reculer d’un coup la Confédération paysanne 20 ans en arrière dans les résultats aux élections professionnelles, une réflexion a commencé sur l’intérêt qu’il y aurait eu, d’un point de vue syndical, à soutenir les Verts dans leur Oui de combat pour un TCE qui aurait placé enfin l’agriculture sous le contrôle des élus et leur donnait même un droit de veto sur les OGM. 

Tout ce que peut faire Régis, c’est donc affirmer avec force la convergence programmatique toute particulière entre la Confédération paysanne et les Verts, mais en même temps, il doit bien s’en distancer. Et il le fait de façon fort intéressante, sur la question de l’agriculture bio, indiquant qu’eux considèrent que c’est l’ensemble de la qualité de l’agriculture qui doit être améliorée, et qu’il ne suffit pas développer un secteur d’agriculture de très haute qualité environnementale destiné seulement à la consommation des riches. Il s’agit là vraisemblablement d’une allusion subliminale au débat des semaines précédentes sur l’abaissement du seuil de contamination accidentelle par les OGM de 0,9 à 0,1 %. Il croit, apparemment, que les Verts ont voté les amendements (proposés par Nature et progrès Belgique, mais repris de façon assez démagogique par le PS et l’UEN), visant à baisser le seuil de contamination accidentelle à 0,1% mais seulement pour le bio. On se souvient, et Dominique le rassurera sur ce point, que les Verts avaient voté l’abaissement à 0,1% pour tous, et s’étaient abstenus sur cet amendement dangereux.

Régis Hochard, au nom de la Confédération paysanne, conclut en souhaitant à Dominique « Bon courage et bonne chance pour les 15 derniers jours qui restent ». Réflexion faite, ce vœu n’est pas que de pure politesse. Bien sûr, elle ne « décolle » pas dans les sondages publiés ; mais nous savons que ces sondages sont fortement redressés à la baisse pour les intentions de voter Vert. Du coup, ces sondages ne reflètent absolument pas ce que je vois et entends autour de moi, où, Ségolène n’ayant pas véritablement convaincu, et Bayrou apparaissant comme à la fois un danger pour elle et une protection contre le quatrième larron, Le Pen, le temps du vote pour ses propres idées va peut-être arriver ! L’argument du vote utile a sans doute épuisé sa magie. Même en négatif : je rencontre des gens qui me disent : « Je ne sais plus pour qui voter, alors, je voterai Voynet ». Ce qui veut dire « Je ne sais plus ce que me dicte la tactique, alors je voterai stratégiquement, selon mes convictions. ».

Ce n’est pas un si mauvais argument…



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