Blog sur le blog
par Alain Lipietz

dimanche 9 juillet 2006

Et si on parlait un peu de mon blog lui-même ? Beaucoup, sur le forum, discutent de son contenu, mais j’aimerais bien qu’on parle un peu de la forme. Et pour cela, je vous suggère de partir d’un petit commentaire indiqué par Politis : le blog de Daniel Glazman, un jeune « cher camarade », aujourd’hui spécialiste en logiciels « open ». Il nous livre une passionnante « évaluation de quelques blogs de Politiques français ». Et, ô surprise, il décerne la meilleure note à mon blog, ex-aequo avec Raffarin et devant Alain Juppé ! La consécration…

Ses commentaires louangeurs sont tout à fait délicieux, mais il apporte quelques critiques qui peuvent servir de point de départ à notre discussion. Un mot d’abord sur les compliments. Je dois en partager le plaisir avec mes deux assistantes à temps partiel : Perline, qui assure la totalité de l’aspect technique de la chose, et Natalie, qui m’aide à réaliser le contenu. La fée Perline est une des pionnières et des meilleures spécialistes de SPIP, surtout dans ses applications militantes, elle a même, je crois, mis au point le premier blog sous SPIP. Quant à Natalie : je lui dicte mes blogs sur mon palm, du palm je les lui envoie par email, elle remet en forme les phrases bancales, propose des améliorations et les premiers liens hypertexte. Evidemment, elle non plus n’a pas que ça à faire : elle est maire adjointe de sa ville, et présidente de R.e.s.p.e.c.t (une association de collectivités qui inventent les outils d’évaluation des politiques environnementales), et donc, je conserve tout de même l’essentiel du travail du blog, y compris le choix des photos, et surtout les réponses au forum.

Alors, les critiques.

D’abord, la question de l’URL. Je croyais difficile de trouver plus simple que http://lipietz.net. Ce qui pose problème, en fait, c’est que ça envoie sur une page d’accueil où, on le comprend assez vite, sont fusionnés trois sites et un blog. Le plus ancien site, en bas sur la colonne de gauche, c’est mon vieux site professionnel ouvert par Perline il y a plus de dix ans. C’est là que les étudiants et les chercheurs peuvent espérer retrouver petit à petit la totalité de mes articles et même de mes livres épuisés. Mon travail d’archivage avance à une vitesse d’escargot : on constate, au bas de la colonne de droite (« nouveau sur le site »), l’entrée de vieux articles, mais on est encore très loin d’avoir tout archivé. Cette partie du site reste encore très fréquentée.

Ensuite, il y a la partie « vie publique », qui s’est adjointe à la première au fur et à mesure que, l’usage de l’internet se généralisant, j’ai commencé à utiliser le houèbe pour mon activité politique.

Et enfin, il y a mon site de député européen proprement dit, qui fonctionnait déjà partiellement comme un blog pendant mon premier mandat.

À l’occasion de la campagne des européennes de 2004, j’ai fait, grâce aux Humains Associés, la découverte du principe du blog qui, à mon sens, n’est véritablement un blog que lorsqu’il prend la forme d’un journal de bord et qu’il est doté d’un forum de débats. Et j’ai continué une fois réélu (attention ! le blog de la campagne, comme tout site de campagne, doit être, pour des raisons légales, totalement distinct du site permanent. On retrouvera mes sites de campagne par mes archives et mon blog de 2004 par le site de campagne de 2004).

Ce qui fait l’originalité de mon blog, c’est qu’il se présente comme fortement intégré à un site. Pour aller directement sur le blog, dont les derniers articles occupent, en Une du site, le haut de la colonne de droite (sous la moustache…), je croyais que les djeuns d’aujourd’hui taperaient spontanément http://lipietz.net/blog, ou http://bloglipietz.net et, s’ils le font, ils tombent directement sur le dernier blog, flanqué d’une colonne où ils retrouvent directement les blogs plus anciens. J’ai personnellement du mal à imaginer plus simple et plus mnémotechnique. Quand j’indique mon blog à quelqu’un, je lui dis « L’adresse de mon site, c’est mon nom : lipietz.net (et ça marche aussi avec .info ou .org ou .com ou .eu), et tu trouves le blog à droite « Lipietz raconte », ou tu rajoutes /blog à l’URL, ou tu fais bloglipietz… » La seule vraie difficulté, c’est de ne pas se tromper sur l’orthographe de mon nom…

Mais j’admets qu’on puisse avoir une autre logique. Des suggestions ?

Pourquoi avoir maintenu la coexistence d’un site avec le blog ? Tout simplement parce que ce que j’écris dans le blog fait constamment référence à des articles ou documents qui sont sur le site, et que la logique des articles d’un site n’est pas du tout la même que celle des feuillets des blogs. Un article traite d’un sujet défini. Il y a des articles qui sont écrits pour la presse, et on les retrouve directement sur le site en Une, puis, quand il deviennent anciens, ils glissent quelque part dans le site et on les retrouve assez facilement avec le google interne (en haut à droite) ou selon les rubriques ou selon les mot-clés, les "thèmes" (encore que là, il y ait des progrès à faire : ce sera fait).

Un feuillet de blog, lui, ne doit pas être trop long (et c’est là à mon avis le principal défaut des miens !), et traiter un peu au jour le jour de ce qui arrive à l’auteur. Comment se souvenir alors que tel développement sur telle question précise se trouve au blog de telle date, ou pire, dans une réponse sur le forum d’une page de blog particulière ?

Cette distinction s’est très vite imposée à moi, d’une part quand je n’avais que le site (et alors, certains articles ne faisaient que rendre compte d’un événement du jour, par exemple, d’un débat et d’un vote), puis quand j’ai fait le blog, et je me suis aperçu que certains développements méritaient un article à eux tout seuls. C’est en particulier ce qui s’est passé au moment du débat sur le Traité constitutionnel. Las d’écrire de longues réponses sur le forum (dont je n’arrivais même plus moi-même à retrouver où elles étaient…), j’ai commencé à rédiger des articles spéciaux et bien spécifiés pour répondre à des questions fréquemment posées. Encore tout récemment, après avoir répondu longuement sur le forum à Isabelle Agier-Cabannes (à propos de la difficulté à faire comprendre ce qu’est la responsabilité civile d’une personne morale comme la Sncf), je me suis rendu compte qu’en fait je rédigeais un article et j’ai transformé ma réponse en article spécial, sur le site.

Bref, ce site, avec ses ramifications, n’est pas uniquement un outil de communication, c’est aussi mon outil de travail personnel, un appendice de ma propre mémoire. Et il est clair que les liens hypertexte dont il est riche, ainsi que les connexions (un millier par jour) et liens qui pointent vers lui, signifient que la mémoire d’un chercheur comme d’un militant ou d’un élu est aussi un nœud du réseau de la mémoire collective.

La seconde critique de Daniel Glazman me paraît assez relative : « peu d’interventions de l’auteur sur les forums ». Bof. La fréquence des réponses dépend à la fois du temps dont je dispose (quand je ne me livre pas à mes autres tâches de député, et que je ne suis pas en train… d’écrire un nouveau blog, ou de travailler sur Mallarmé — tiens ben oui, Mallarmé, c’est pas de l’actualité, c’est pas du blog, mais déjà 1850 connexions), et d’autre part de l’intensité des interventions de lecteurs sur le forum . Si je prends par exemple le forum du blog du 26 juin, Le non de droite à l’offensive, c’est vrai qu’il se présente comme un déluge d’interventions extérieures des lecteurs, sans que j’aie le temps de répondre à chacun ! J’explique dans le blog même pourquoi : entre l’opération de ma compagne, les suites du procès de mon père contre l’Etat et la Sncf, et les batailles au Parlement européen (« commentées » sur la Toile par une calomnie « rouge et brune »), je n’ai plus le temps de dire ouf, je valide à la chaîne les messages qui arrivent, et qui d’ailleurs s’inscrivent quelquefois sur des forums vieux de plusieurs mois ! Mais on constatera facilement qu’il y a d’autres forums qui se présentent comme un dialogue avec des lecteurs auxquels je réponds systématiquement.

Là, je me heurte à une difficulté que je ne sais absolument pas résoudre, et mes assistantes non plus. Que faire de ces débats qui se prolongent sur des forums correspondant à des blogs vieux de plusieurs mois, et que probablement plus personne ne lit (sauf moi, puisqu’en tant qu’administrateur du site, je vois arriver tous les messages) ? On peut, comme semble le faire Jean-Pierre Raffarin, mettre une syndication particulière pour la poursuite de chaque vieux débat (sur mon site, il existe simplement une syndication RSS pour mes blogs et une autre pour l’ensemble des débats en forum : voir en bas de la colonne de droite du blog). On peut aussi carrément déclarer une date de « clôture » des vieux forums. On peut inviter les lecteurs à relancer eux-mêmes le débat sur des forums plus récents (faudra alors leur expliquer comment on indique, sous spip, le lien avec un vieux forum). Toutes ces solutions ont des inconvénients, mais le souci principal, pour moi, c’est que répondre à un vieux forum, c’est comme répondre à un mail en particulier. Seul lira (peut-être) ma réponse celui ou celle qui m’a interpellé.

Ce qui, au delà de ces variations saisonnières, me conduit à deux questions de fond sur lesquelles j’aimerais avoir d’autres avis (et conseils) des lectrices et lecteurs, surtout s’ils bloguent eux-mêmes.

D’abord, comme je l’ai dit ailleurs, pour moi, un forum est réussi quand les lecteurs commencent à dialoguer entre eux et que l’auteur du blog n’a même plus besoin d’intervenir. C’est ça, un « forum ». Or, j’ai constaté que, s’il existe sur mon forum des trolls désagréables, il existe aussi de fidèles lecteurs qui se chargent de répondre aussi bien, voire beaucoup mieux que moi ! Merci à jmfayard, merci à Philippe Delvalée, merci à bien d’autres… Mais peut-être est-il choquant de laisser des lecteurs répondre pour moi, vu que c’est mon blog et que je suis un élu ?

Ensuite, phénomène curieux, il faut compter au moins deux réponses en direct (par mail à mes adresses perso ou député) pour une intervention de lecteur sur le forum. Et, compte tenu du caractère pas toujours avouable des réactions antisémites suscitées par le procès de mon père, la proportion des interventions par mails en privé s’est brutalement accrue ces dernières semaines… Bien entendu, je réponds aussi à ces mails privés (et cela me prend un temps démesuré), mais leur existence même montre que la psychologie correspondant à la prise de parole sur un forum n’est pas tout à fait « universelle », beaucoup de lecteurs préférant s’adresser en privé au blogueur. Est-il besoin de préciser que ces lecteurs « discrets » sont d’abord des lectrices, alors que sur le forum les hommes prédominent de façon écrasante ? Comment faire pour renverser les proportions, que même les femmes débattent « publiquement » sur le forum ?

Troisième critique de Daniel Glazman : la modération a priori des commentaires. Eh bien, je n’ai jusqu’à présent encore jamais bloqué qu’un seul commentaire (d’un troll, et après avertissement). En revanche, j’ai déjà répondu deux fois (et pour le moment cela a suffi) que je ne laisserai plus passer de message antisémite ni de message insultant d’autres personnes que moi.

En fait, ma décision de modérer a priori vient de l’expérience du blog de la campagne des européennes qui, lui, n’était pas modéré, et où, bouleversé, j’ai dû voir se publier, sur mon blog, des messages laissant entendre que les actes de racisme anti-musulmans étaient moins graves que les actes de racisme anti-juifs (il s’agissait des mosquées brûlées à Lyon et de cimetières juifs maculés), ou un insupportable message homophobe. Je m’en explique dans le texte inaugural « Usage du blog », en haut à droite de la fenêtre Blog. Ni mon éthique, ni d’ailleurs la loi, ne me permettent de laisser mon site se transformer en véhicule des messages de haine. Et dans certains cas "limites" je ne valide une intervention que quand j’ai eu le temps de rédiger ma réponse. Problème : il y a des moments où les messages restent en carafe tout simplement parce que je suis en voyage.

Et ces arbitrages… arbitraires sont-ils satisfaisants pour les usager-e-s de ce mini-service public qu’est mon site ?



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