Amnistie et impunité : Un colloque mémorable.
par Alain Lipietz

dimanche 9 décembre 2007

Toute la semaine a été super mobilisée par la préparation, le déroulement et le début du dépouillement du colloque Amnistie… Amnésie… Impunité… Les problèmes de la Justice transitionnelle.

Heureusement, c’était « semaine de groupe », c’est-à-dire pas trop chargée au Parlement européen. A Bruxelles, j’ai passé une soirée avec la délégation bolivienne venue négocier l’accord Communauté andine – Union européenne, et participé à un débat avec les représentants du groupe des Grünen au Bundestag.

Et vendredi soir, débat très sympa avec les Verts de Créteil sur les suites locales du Grenelle de l’environnement, avec leurs dimensions locales.

Grünen

La rencontre entre le groupe Vert au Parlement européen et une délégation de Verts du Bundestag (l’assemblée fédérale allemande), Fritz Kühn et Gherard Schick, était attendue. Au début de cette année 2007, nous étions inquiets des brouillons de prises de position sur les problèmes économiques émis par les Grünen du Bundestag. Même les eurodéputé-e-s Vert-e-s allemand-e-s s’en inquiétaient… Un groupe de travail avait été mis en place dans le cadre du Parti vert européen. Nos amis Verts belges avaient traduit tous les textes intermédiaires en anglais. Plusieurs fois pendant l’année, j’avais pu discuter avec l’un de leurs plus brillants (et jeune) économiste, Gerhard Schick, encore à Vienne il y a une semaine.
Et tout compte fait, la position finale des député-e-s Grünen, qu’ils ont eux-mêmes traduite en anglais : « Green market economy » se révèle beaucoup plus proche de la « moyenne » du mouvement Vert européen qu’on avait pu le craindre.

Pendant le débat, et surtout au cours du déjeuner, un certain nombre de malentendus se dissipent. D’autant que la position adoptée par le parti Vert allemand il y a quelques jours au congrès de Nuremberg est encore plus sociale.

En fait, les députés Grünen étaient un peu passés « de l’autre côté du cheval », dans leur volonté d’être compris par les petites et moyennes entreprises qui sont la base du modèle allemand. D’où une ode à l’économie de marché régulée par des lois vertes, qui nous avait un peu perturbés. Il apparaît assez vite qu’en réalité ils ne reculent pas d’un pouce sur le volet social : au contraire, ils demandent la mise en place d’un Smic en Allemagne (alors que jusqu’à présent toute la régulation salariale était confiée aux conventions collectives).

Autre malentendu plus surprenant : leur discours fortement « antiprotectionniste » visait… le protectionnisme à l’intérieur de l’Union européenne ! On leur explique que ça n’existe pratiquement plus, mais que la question se pose de plus en plus fortement entre l’Union européenne et le reste du monde, surtout si l’UE, après la conférence de Bali, se retrouve isolée dans une position en pointe dans la défense du climat. Ils conviennent qu’il faut « se protéger », mais visiblement le mot protectionnisme leur fait peur…

Un point sans doute plus ennuyeux : ils sont pour une taxation assez basse du bénéfice des entreprises (30%), ce qui est la limite basse de ce que le rapport Ruding (commandé par la Commission européenne) avait proposé pour l’UE : entre 30 et 40%. Surtout, ils semblent obsédés par la chasse aux subventions et ne les considèrent que temporaires. Je leur fais observer qu’à partir du moment où on est pour les écotaxes, c’est à dire la sanction des « effets externes » (non voulus et non contractuels) négatifs sur l’environnement, on doit être symétriquement pour subventionner les effets positifs non marchands, par exemple dans le cas du tiers secteur.

De même, sur la question des privatisations, ils sont manifestement pour un Etat fort et fortement régulateur, mais pas forcément propriétaire. Cette question de la propriété juridique, qui a été largement minorée dans le débat de la gauche allemande et européenne depuis une cinquantaine d’années face au désastre du soviétisme, doit en effet être creusé. Mais comme on le leur fait observer pendant le débat, tous les Etats forts et régulateurs que l’on voudra ne pourront rien obtenir des entreprises privées s’il n’existe pas des corps intermédiaires (syndicats, inspecteurs du travail, associations de consommateurs etc) pour contrôler la mise en oeuvre des « bonnes » prescriptions.

++++Bolivie

Les Boliviens sont venus à Bruxelles une semaine avant les autres négociateurs de la Communauté andine pour faire valoir leur droit à une certaine « asymétrie » à l’intérieur de l’accord CAN – UE. Ils pensent en effet (et l’Union européenne le reconnaît) qu’étant particulièrement pauvres, ils ont droit à des traitements de faveur à l’intérieur de l’accord d’association. Ils nous racontent les discussions de la journée : les représentants de la Commission européenne sont tout à fait d’accord sur le principe mais dès qu’on rentre dans le détail, c’est : « Oui, oui, mais il faut que ce soit compatible avec les règles de l’OMC. »

La semaine prochaine aura lieu la vraie négociation, et une délégation des mouvements populaires boliviens accompagnera sa délégation, ce que je trouve vraiment bien. Du coup, lundi, alors que nous serons en session à Strasbourg, je les invite à déjeuner à Bruxelles pour discuter. Je rallierai Strasbourg dans la soirée.

On discute aussi de la situation en Bolivie. Les nouvelles ne sont pas bonnes. Même si Evo Morales et le MAS, au sein de la Constituante, sont largement majoritaires, la droite qui tient les provinces du bassin amazonien (où sont les richesses, les hydrocarbures…) leur mène la vie dure. Elle a eu le coup de génie de monter en épingle la question de « Sucre, capitale du pays ». Sucre est en effet, depuis toujours, la capitale constitutionnelle de la Bolivie. Mais en, réalité, c’est une charmante petite ville coloniale où siège seulement le pouvoir judiciaire. La proposition de la droite a évidemment un objectif stratégique : transférer le pouvoir très loin des mobilisations de La Paz et El Alto. Elle a aussi une dimension tactique : gagner la population de Sucre (qui n’est pas du tout un centre de gros propriétaires et de richissimes capitalistes comme Santa Cruz, et qui d’ailleurs a plutôt voté MAS), en lui faisant miroiter la possibilité de devenir une vraie et riche capitale. Bien entendu, ce serait un désastre pour cette minuscule petite ville insérée dans un coin de vallée…

Mais ça marche. La droite arrive à organiser des manifestations qui bloquent l’entrée de l’Assemblée constituante (réunie à Sucre). D’une façon générale, la droite parvient à provoquer partout de petites manifestations, violentes et provocatrices, des affrontements avec la police, des tirs et des morts. Ce n’est pas du tout comme au Venezuela où d’immenses manifestations s’affrontent à distance. Evo Morales et la direction du MAS n’en veulent d’ailleurs pas, car s’ils organisaient eux-mêmes des manifestations, elles seraient beaucoup plus clairement indigènes que celles de la droite et le conflit prendrait un tour inter-ethnique qu’ils souhaitent éviter.

Le résultat global, c’est quand même que la droite a réussi à quasiment bloquer le processus constituant sur lequel le peuple bolivien fondait tant d’espoirs de réconciliation.

++++Justice transitionnelle

Le colloque est une extraordinaire réussite. Toutes les interventions sont absolument passionnantes, depuis les « bilans d’une vie de juriste » de Louis Joinet ou de Federico Andreu jusqu’aux témoignages très émouvants de Nassera Dutour et de Clarisa Carrillo, en passant par la surprenante intervention du juge Carlos Jimenez Villarejo, racontant la lente émergence du passé espagnol, ou celle de Paz Rojas se désolant au contraire de la difficulté à épurer le passif de la dictature de Pinochet, avec les séquelles psychologiques que cela entraîne.

Nasséra Dutour,Patricia Valdez, Denis Sieffert, Paz Rojas, Carlos Jiménez Villarejo

Bon, je ne m’étends pas, vous pourrez consulter à partir du programme toutes les interventions qui seront mises en place au fur et à mesure qu’elles nous parviennent, avec naturellement (au fur et à mesure qu’elles seront faites…) leur traduction. Le tout devant être publié au printemps par la revue Mouvements.

Je tiens à remercier chaleureusement ici les personnes qui ont bien voulu ouvrir le colloque ou présider les différentes sessions, et ne ce sont pas contentées de quelques mots convenus mais ont véritablement apporté en introduction des contributions éclairées à nos débats : Noël Mamère, Marc Semo de Libération, Denis Sieffert de Politis, Michel Tubiana de la Ligue des droits de l’Homme, et bien sûr, Clarisa Carrillo…

Et merci aussi aux petites mains anonymes qui dans l’ombre ont permis que ça se fasse. Comme vous avez pu le deviner, ce colloque était pour moi une manière de « testament politique », une synthèse de toute une vie intimement liée à cette problématique, comme chercheur puis comme député, et à travers deux événements de ma vie qui ont été largement médiatisés : voir mon introduction et ma conclusion.

P.S. N’oubliez pas de suivre la Conférence de Bali sur le climat, sur le site des eurodéputés Verts.



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