La crise d’Europe Écologie
par Alain Lipietz

mardi 1er octobre 2013

La crise qui secoue Europe Écologie m’oblige à reprendre mon blog. Je l’avais laissé avant les vacances, c’est-à-dire avant les Journées d’été. Et depuis, il y a eu la crise de la rentrée, le départ de Pascal Durand, de Noël Mamère...

Journées d’été

Comme d’habitude, elles sont le « dessert » de la vie chez les Verts.

Énorme participation, dizaines et dizaines de forums, ateliers, etc…

J’interviens par exemple un débat de la Fondation de l’Écologie Politique sur la crise financière et comment en sortir (ici, la video de ce débat), dans un autre organisé par Natalie Gandais et le groupe alimentation d’Europe Écologie, dans un débat du café écolo-philosophique marseillais sur le thème « Comment inscrire les principes du développement soutenable dans la 6ème République »...

Et bien sûr, il y a le « relationnel » : tous les stands de nourriture sont bios et (c’est nouveau) ils sont tous bons. La cuisine bio fait des progrès ! Quant aux copains et copines de Marseille, ils ont abattu un boulot extraordinaire avec un dévouement infini : on ne pourra même pas danser avec elles…

Pourtant, certains détails sonnent faux. Par exemple, la plénière sur les retraites : un seul syndicaliste, Force Ouvrière ! Il n’y en a pas non plus dans le forum correspondant (mais il y a des économistes de qualité !) Interpellé, le secrétaire national, Pascal Durand, explique que les autres syndicats ont refusé au nom de la charte d’Amiens (cette charte de 1906 interdisait, paraît-il, aux syndicats, de discuter avec les socialistes « politiques »). Cet argument est peu crédible, ou alors il dénote un formidable retour en arrière dans la CGT et dans la CFDT, sans compter le syndicat Sud-Solidaire, qui s’est plaint à un ancien dirigeant EELV de ne pas avoir invité ! Où est le temps où Natalie Gandais, alors responsable des rapports avec les mouvements sociaux à la direction des Verts, dans un « 3 heures pour l’écologie » sur les retraites, pouvait inviter en même temps Aubin (de la CGT) et tous les autres….

Mais le problème principal, c’est la suppression de la « conférence du bilan » où nous devions discuter, textes d’analyses en main, du bilan de notre participation au gouvernement. Cette conférence est remplacée par deux grandes plénières en plein air, la première avec les ministres ; la seconde avec des tables-rondes avec des représentants des mouvements sociaux. La plénière des ministres, le premier soir, obéit à un rituel quasiment inévitable. Le gouvernement a envoyé deux ministres séducteurs : Philippe Martin qui multiplie les promesses (dont on apprendra quelques jours plus tard qu’il n’était pas mandaté pour les tenir et ne les tiendra pas) et Christiane Taubira, celle-ci est applaudie à tout rompre : le nom de Valls est le seul qu’il soit autorisé de siffler.

Quant à nos deux propres ministres, assez curieusement, ils ne présentent pas leurs bilans mais une « leçon » contre ceux qui voudraient les voir quitter le gouvernement, assimilés à ceux qui seraient contre toute entrée dans les institutions ! C’est particulièrement flagrant dans l’intervention de Pascal Canfin, que j’estime et dont j’attendais beaucoup. Il est en charge du problème n°1 aux yeux d’un écologiste depuis René Dumont : la faim dans le Monde. Il n’en dit pas un mot alors que les derniers chiffres pour 2012 sont terribles (quoiqu’ « en progrès » par rapport à 2008 : 5 millions d’enfants de moins de 10 ans morts de faim dans l’année.)

Au fond, seuls Martin et Taubira parlent du contenu de la politique. Pour nos ministres à nous, elle n’est plus qu’un jeu algébrique à propos du pouvoir : doit-on en être ou ne pas en être ?

Or, les militants dans la foule sont très largement convaincus d’une chose : mieux vaut en être pour y faire quelque chose, plutôt que s’égosiller comme Mélenchon à ne rien faire du tout. Tout le problème est donc : que fait-on au gouvernement, et c’est là que le bas blesse. Tout le monde a des critiques à faire à nos ministres ( pas seulement sur le budget, les écotaxe ou le financement de l’hébergement, mais sur la densification métropolitaine et l’abandon du polycentrisme, etc). Mais il n’est pas possible dans un tel contexte de ne pas applaudir nos ministres devant les journalistes… pour montrer le soutien des militants à leurs supposées exigences ! Exigences que malheureusement ils ne prononcent pas. Ni d’ailleurs le secrétaire national, Pascal Durand, qui joue (c’est le cas de le dire) le Monsieur Loyal, gentil animateur, alors que son rôle aurait été de prononcer un discours s’adressant directement aux ministres socialistes pour leur dire « Il faut changer de cap ». Ce qui est son mandat.

Le lendemain, le malaise s’épaissit. Les tables rondes des « grands témoins » sont très critiques. C’est mon vieux pote Benjamin Coriat qui, au nom des Économistes atterrés, présente de façon fracassante ce qui est en principe le programme des écologistes (et ça me fait plaisir que ça soit lui, car j’avais noté que parmi les économistes de « l’approche de la régulation » il était le seul qui dès le début de la crise en signalait la dimension écologique). Et bien sûr il est follement applaudi par l’assistance.

Ce sont alors les cadres du mouvement (présidents de groupes parlementaires et à nouveau Pascal Canfin…) qui montent à la tribune pour défendre le gouvernement contre la critique des mouvements sociaux ! Ainsi Pascal justifie la signature du Traité de la règle d’or (que le Conseil fédéral du mouvement a rejeté mais que les députés ont voté) avec l’argument classique que ça pouvait faire plaisir aux Allemands et aux Marchés mais que de toute façon il ne serait pas appliqué !

Je parviens à intervenir du milieu de l’assemblée (voir la video, c’est à 13 minutes 28 sec.) pour critiquer à fond l’idée même d’une politique déflationniste (à la Ramsay McDonald-Herbert Hoover-Pierre Laval) qui avait conduit dans les années 30 à la victoire du fascisme et conduit aujourd’hui les peuples européens vers le désespoir… et, au moins, vers le nationalisme.

Et puis, des journées d’été qui se déroulent à deux mois du Congrès, c’est aussi le début des grandes manœuvres. Je m’étais inscrit dans un appel intitulé « Indépendance chacha », j’avais livré ici mon bilan personnel. D’autres avaient fait de même. Toutes ces contributions se retrouvent dans une « Agora des contributions », qui décide de rédiger une motion commune. Cette motion n’arrivera pas à rassembler tous ceux qu’elle espérait, mais de Yves Cochet à Lucile Schmid ou moi-même et à Jacques Boutault, les positions traditionnellement opposées 2 à 2 au sein des Verts (plutôt institutionnel, plutôt mouvement social, plutôt écologie sociale, plutôt décroissance, plutôt eurovolontariste, plutot eurosceptique…) se retrouvent co-signataires dans une réelle synthèse : La Motion Participative.

On retrouvera dans la liste des signatures du texte à la fois des jeunes (c’est à dire plus jeunes que les actuels dirigeants) et des vieux (c’est à dire la génération des fondateurs, qui s’efface pour faire place aux jeunes...) Et évidemment ce sont les « vieux » que l’on identifie le mieux. C’est agaçant mais significatif : sur cette motion se retrouvent, toutes tendances confondues, les historiques de l’écologie politique. On commence à deviner qu’au-delà de la question gouvernementale (dont j’ai dit plus haut qu’elle ne se tranche pas par oui ou non mais par « comment et pour quoi faire ») se dessine déjà la vraie opposition : un parti de contenu ou un parti d’appareil…

++++La crise

Tandis que les oppositions cherchaient à se fédérer, le courant de l’actuelle majorité (« Maintenant ») se présentait aux participants des journées d’été sous la forme de 3 textes différents afin de ratisser plus large... et se répartir les postes entre sous-courants. Cela ne fait guère illusion, le principal texte, dit La Boussole, regroupant toutes les figures traditionnelles de la direction nationale : les fidèles de Jean-Vincent Placé et de Cécile Duflot… Nous apprenions dans les coulisses que Pascal Durand cherchait à unir non seulement ces trois textes mais bien au-delà. Il allait tomber de haut.

Dés la rentrée de septembre, les mauvaises nouvelles s’accumulent. Contrairement à tous les engagements électoraux, la taxe énergie-carbone sera réduite à une vert-pâle modulation des taxes existantes (ce qui n’est déjà pas un mal, d’ailleurs) alors que nous espérions un net transfert de la fiscalité du travail vers la fiscalité de la pollution. Plus grave, la suppression progressive de la prime au diesel, qui encourage les Français à utiliser un carburant aujourd’hui notoirement cancérigène est abandonnée. Enfin, une série de simplifications aboutissent, à bien les lire, à autoriser le développement des porcheries industrielles, l’urbanisation des espaces verts ou agricoles interstitiels… Bref, un abandon assez général de l’écologie humaine dans son sens environnemental : après avoir oublié le caractère keynésien de la crise, le gouvernement oublie la crise énergétique et la crise alimentaire. Pour couronner le tout, la conférence environnementale ne se conclura pas par une loi présentée cette année, mais éventuellement à la fin de l’année 2014.

Cette fois, la colère touche même les dirigeants. A l’Assemblée nationale, Denis Baupin, historique militant de la réduction du rôle de la voiture, s’emporte sur le maintien de la niche diesel. Le président du groupe, François de Rugy, annonce que le budget n’est pas votable en l’état. Et devant le conseil fédéral réunit mi-septembre, le secrétaire national Pascal Durand fait le discours qu’il aurait dû faire devant les ministres socialistes. Rappelant notre volonté de voir le gouvernement changer de cap, il fixe un délai pour enregistrer ce changement de cap : le discours de François Hollande à la conférence environnementale, 7 jours plus tard. Faute de quoi il en tirerait personnellement les conséquences.

Tollé dans la presse. A la base, les militants sont ravis. Mais les dirigeants de La Boussole sont furieux. Une réunion de tous les responsables de motions est convoquée par Pascal à la Chocolaterie (le siège d’EELV), le soir du Conseil fédéral. Et là, c’est l’halali. Une par un, tout-e-s les dirigeant-e-s de La Boussole le critique comme plâtre. On se serait crû dans une séance de Gardes rouges, lors de la Révolution culturelle ! Critiques sur la forme : « On ne fixe pas d’ultimatum sans prévenir les autres » (qui ? le parti a voté en avril la motion du changement de cap…), critiques sur le fond : « Les Français commencent à en avoir marre des revendications des écologistes ! » Pascal répond fermement sur le fond et sur la forme. Il est soutenu par tous les oppositionnels, et même par une partie de la coalition autour de La Boussole.

Mais dés le lendemain, tous les dirigeants se répandent dans la presse contre Pascal. Plus grave, c’est la suppression de la niche diesel qui est attaquée, à peu près dans les termes classiques du PCF ou de Ségolène Royal : on ne va pas augmenter les difficultés de l’automobile française, ni des ouvriers coincés en lointaine banlieue avec des véhicules diesel… Très très vieux arguments auxquels les écologistes avaient appris à répondre depuis une trentaine d’année. Depuis des mois, des livres, des articles étaient produits par les intellectuels du mouvement pour préparer cette échéance de la réforme fiscale (ici ma contribution à l’usage de mes « chers camarades » ingénieurs, une autre dirigée vers les économistes). C’est toute une génération de pédagogie militante qui est répudiée. Mais on a désormais l’impression que pour la direction de EÉLV, et en particulier pour La Boussole, « l’écologie, ça commence à bien faire ». Et aussitôt le front des vieux et des jeunes « écologistes de contenu » se reforme autour de Pascal... et des associatifs de la conférence environnementale, dans un article pour Le Monde.

La suite est connue. Le discours de François Hollande à l’entrée de la conférence environnementale se contente de rappeler que la moitié de l’effort pour réduire notre facture énergétique doit passer par les économies d’énergie (selon Négawatt, c’est deux tiers, mais bon...), il insiste sur les mesures fiscales en faveur des ménages qui ont les moyens d’entreprendre des travaux d’isolation de leurs logements (mais quid des autres ?)... Et il ne dit rien sur le diesel, ni sur la fermeture des 6 réacteurs nucléaires promis par l’accord électoral PS/EELV.

Très logiquement, Pascal Durand « tire les conséquences » en se retirant de la direction d’Europe Ecologie. Peu de jours après, Noël Mamère quitte le mouvement. Pendant ce temps, La Boussole clame sa satisfaction du discours de François Hollande… Le divorce est désormais consommé entre la logique des postes et la logique des contenus. Le plus navrant est que les partisans de la « logique des postes » n’étaient pas « né(e)s comme ça ». J’en ai connu(e)s certain(e)s qui furent bien différent(e)s. C’est le système qui les a rendu tel(le)s, comme dirait J-J Rousseau. Malheureusement, les partisans d’une logique des contenus, justement parce qu’ils se battent fiévreusement sur les contenus qui leur paraissent vitaux pour l’humanité et la planète, n’ont guère de patience dans la bataille du « système » et laissent toute la place… aux partisans d’un parti des postes.

Je comprends parfaitement cette logique. Mais je la regrette. Certes, un écologiste ou une écologiste n’a pas besoin d’un parti pour militer : les associations et fondations de défense de l’environnement, des droits de l’homme, du tiers-monde, voire les syndicats peuvent dévorer son temps. Mais, ce que nous avait appris l’expérience depuis notre entrée dans les institutions (vers 1990), c’est qu’un parti de l’écologie politique peut débloquer en quelques mois ou quelques années ce que les associations demandaient depuis des dizaines d’années.

Or, l’urgence de la crise écologique est là. Nous n’avons pas le droit de quitter le terrain institutionnel. Nous n’avons qu’un gouvernement et qu’un parti à notre disposition. Nous ne pouvons pas dire : eh bien, tant pis, on fera autre chose. Le problème c’est que EELV est désormais tellement discrédité aux yeux de ses sympathisants de 2009 qu’il sera difficile d’en convaincre les électeurs aux municipales et aux européennes.

A part ça, la vie de retraité-conférencier : articles sur les retraites (avec Karima Delli), sur la Syrie, débats à La Seyne sur les retraites (meeting unitaire PS-EELV-NPA-MRC-Parti occitan... mais sans le Front de Gauche !), au Québec sur la mobilisation des territoires...

Et surtout, déjà, la campagne municipale, à Villejuif !



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