Accords de partenariat économique
par Alain Lipietz

mardi 23 janvier 2007

C’est un choc pour nous, parlementaires européens : les Accords de Partenariat Economique (APE) que l’Europe est en train de négocier avec l’Afrique sont ici rejetés avec une très grande violence. Ils jouent le rôle du méchant, un peu comme l’ALCA (le Traité de libre échange des Amériques) en Amérique latine.

Comment expliquer cette hostilité totale aux APE ? Probablement, les responsabilités sont partagées. Les APE doivent succéder aux accords de Lomé et Cotonou, qui régissaient jusqu’ici les rapports privilégiés entre l’Europe et ses anciennes colonies les plus pauvres. Sous la pression de l’OMC, qui trouvait que ces accords violaient ses dogmes concurrentiels, mais aussi en réponse à la crise–même de l’OMC, l’Union européenne cherche à construire des accords avec des entités continentales ou sous continentales : les APE.

C’est la différence politique officielle entre l’Europe et les États-Unis. Depuis 2003 les États-Unis, depuis 2006 l’Europe ont renoncé au multilatéralisme de l’OMC qui avait fini par se retourner contre eux, et notamment contre les États-Unis. Dans ce monde post-Doha, alors que les États-Unis recherchent des accords bilatéraux de libre échange, l’Europe ne veut discuter qu’avec des blocs continentaux ou régionaux, justement pour placer ces partenaires dans un rapport de force plus équilibré. Si le multilatéralisme est « plus progressiste » que le bilatéralisme (comme l’accord de libre-échange USA-Colombie ou Équateur…), alors, les APE, qui comportent un volet politique et un volet « aide au développement », et peuvent prévoir une « asymétrie » dans l’ouverture commerciale (libre échange du sud vers le nord, mais pas dans l’autre sens) sont potentiellement plus progressistes. C’est d’ailleurs ce qu’expliquent à leurs peuples les gouvernements africains qui tiennent un discours « de gauche », comme au Burkina-Faso, mais ils se heurtent à une opposition de plus en plus forte de leurs paysans.

Problème, en effet, (que je dénonce lors de la soirée de l’Association des Français de l’étranger, qui a organisé un très bon débat avec les délégués des ONGs françaises à Nairobi) : les APE « réellement négociés » ne semblent pas très favorables aux Africains, mais beaucoup plus orientés vers le libre échange. En bref, l’Afrique aura perdu les avantages de l’accord de Lomé, et elle se trouvera morcelée par des accords sous-régionaux qui ne correspondent pas vraiment à sa propre dynamique de regroupement (pour autant qu’il y en ait une), et visent à lui imposer un démantèlement de ses taxes douanières, indispensables protections de ses paysans et souvent ressource unique des États africains.

Face à cette situation, il y a au FSM de Nairobi des oppositions extrêmement radicales, négatives et « victimaires », encouragées par la terrible affiche de la campagne Stop, Think, Resist, qui montre une femme noire et musulmane au regard terrifié étranglée par la main d’un homme blanc.

L’affiche anti-APE (Accords de Partenariat Economique)

Et puis il y a la position plus constructiviste d’Oxfam France (ex Agir ici) et du réseau africain ACORD, qui cherchent à mobiliser la société civile avant que des APE ne soient conclus entre des États africains corrompus et la Commission européenne.

Le séminaire qu’ils organisent ensemble (il y en une demi-douzaine d’autres en même temps « contre les APE » !) est excellent. Interpellé sur « que font nos eurodéputés ? », je resitue le débat dans l’analyse du monde post-OMC, car il est essentiel que les altermondialistes rattrapent leur retard sur l’adversaire et se mobilisent sur les APE, pas seulement avec l’Afrique, mais avec l’Amérique du Sud, l’Inde, etc. Je glisse une pique au passage : « Le TCE accordait au Parlement européen un droit de contrôle sur ces négociations. Le Non a eu aussi pour conséquence de maintenir le « fast track » (la voie rapide) selon laquelle la Commission européenne (en l’occurrence Peter Mendelson) est seule à négocier. Si nous arrivons encore à peser sur la négociation avec le Mercosur ou la Communauté andine, c’est parce que la société civile y est très forte et a, en plusieurs endroits (Brésil, Argentine, Venezuela, Bolivie, Équateur), porté au pouvoir des gouvernements issus des partis qui s’étaient constitués en s’appuyant sur elle. »



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