Ce matin nous avons accompagné Liliane avec sa famille pour son incinération au Père Lachaise.
Enormément de monde pour témoigner comme on l’aimait, comme elle va nous manquer. Première cérémonie, catholique (le cercueil est orné d’une croix), puis une seconde, plus large, dans l’étrange « chapelle laïque » du cimetière, qui me trouble chaque fois par sa symbolique chrétienne maquillée en humanisme gréco-latin (pourquoi pas ?). Maintenant ils ont rajouté une drôle de machine d’opéra qui entraîne le cercueil vers le haut, où il est comme avalé par l’incinérateur, aux pieds d’une acropole.
Dans l’assistance, beaucoup des collègues de ses derniers combats, au Conseil régional d’Ile de France (où elle s’est traînée jusqu’au début du mois dernier), dont le Président Huchon. Une vice-présidente socialiste prononce le premier témoignage , puis Cécile, notre porte-parole nationale, très émue (c’est Liliane qui l’avait fait adhérer). Puis les témoignages d’un militant marocain, qui rappelle le rôle de Liliane dans la mise à jour du système de répression d’Hassan II, des collègues de l’expérience scolaire de Vitruve. Bernard Ravenel évoque en elle l’incarnation de cette génération anti-colonialiste du PSU qui (comme Francine et moi) ont fini par retrouver l’espérance parmi les Verts, mais qui, avec les ATS et Trema dont elle était l’âme, était restée la mémoire de cette époque. Le cinéaste Jean-Michel Carré rappelle son amour de l’art, ses initiatives pour le faire partager par les plus démunis…
De ces témoignages perce à travers les larmes comme une joie profonde. Toutes les interventions se terminent par : « Liliane, on t’embrasse, à bientôt ». Est-ce parce que la plupart sont ici des chrétiens ou d’anciens chrétiens ? ou parce qu’ils reconnaissent dans cette militante qui a longuement côtoyé la mort sans cesser de militer, un maillon d’une chaîne humaine immortelle, sur la route du progrès humain ? Un des poèmes lus à la cérémonie religieuse résonne pour moi avec l’énigme sur la mort d’Homère qu’avait déchiffrée un soir un poète des Balkans et qui me sert de guide dans mon engagement écologiste. Cette cérémonie me rappelle la messe funèraire d’une autre militante de la même eau, Marianne Bourrigaud : nous étions sortis de l’église, enthousiastes, portant son cercueil en chantant « Nous irons jusqu’à Valparaiso ! »
Beaucoup a été dit ce matin, et très bien, sur Liliane, son courage, son militantisme, sa façon de mélanger intimement militantisme et amitié, son hospitalité, sa cuisine, sa couture. J’espère que ces témoignages seront très bientôt reproduits sur le site des Verts. Qu’ajouter ? je voudrais dire deux mots sur la Liliane artiste et la Liliane cancéreuse.
Quoique issu de la même matrice politique (la gauche chrétienne et juive du PSU), je ne l’ai connue que tardivement, en même temps comme militante et comme photographe. Dans ses photos du meeting où elle m’avait invité transparaissait non le tribun ou l’intellectuel, mais le bonhomme, mon côté Capitaine Haddock. Plus tard, dans le livre magnifique qu’elle illustra et produisit, Maroc : amnésie internationale, cette particularité de son art est encore plus frappante. Des images splendides d’un pays qui l’avait fasciné et dont elle a tant servi le peuple, des photos des opprimés et des exploités… mais très différentes de celles d’un Sebastiao Salgado par exemple. Salgado transforme ses sujets en icônes magnifiées d’une humanité souffrante et christique. Liliane faisait le contraire : derrière les symboles elle voyait des gens, des personnes particulières. Comme dans son militantisme.
Le mal qui devait l’emporter l’attaqua il y a un quart de siècle. Elle est morte à 64 ans, elle aura donc passé plus du tiers de sa vie comme cancéreuse, sans jamais dételer du combat politique mais sans cacher non plus son mal à ses camarades de lutte. Lorsque cette épreuve frappa Francine, Liliane m’apparut naturellement comme l’exemple ambigu d’une femme qui « ne s’en sortait pas » mais s’en tirait toujours. A tel point qu’on avait fini par ne plus croire qu’elle finirait. Elle a lutté jusqu’à ce que son corps ne soit plus qu’un squelette douloureux.
Daniel, son mari, m’a confié aujourd’hui le mot de Léon Schwartzenberg (le grand cancérologue et militant des droits de l’Homme, lui même emporté par un cancer) : « la forme psychologique n’a aucune influence sur l’issue d’un cancer ». Je pense que c’est contestable. Certes, c’est principalement la médecine qui a fait reculer le cancer. Apres tout, Liliane a vécu plus longtemps que l’espérance de vie moyenne des Français à l’époque où nous allions au lycée. Ce quart de siècle de survie, elle le doit donc aux succès et aux limites de la médecine. Mais l’amour des autres, celui qu’elle a donné, celui qu’elle a reçu, c’est cela qui l’a porté pour résister à la médecine !
On dit que le cancer est une maladie « injuste » parce qu’il frappe prioritairement un profil de gens très généreux et dévoués, qui « prennent sur eux ». Et Liliane, comme Francine, était à coup sûr une bonne candidate. Daniel m’a raconté un jour comment elle plaignait les infirmières inexpérimentées qui la martyrisaient par leurs maladresses. Mais son courage et sa générosité la portaient, comme la reconnaissance de ses proches la soutenait dans sa résistance.
Liliane, que le Dieu d’amour auquel je ne crois plus t’accueille dans sa joie.