Début du détricotage
par Alain Lipietz

jeudi 2 juin 2005

Raz de marée « Non » en Hollande. Le mal qui, depuis des années, taraudait ce pays autrefois le plus tolérant du monde, éclate au grand jour. La discussion n’a pas du tout porté sur le plombier polonais ou l’absence de l’avortement dans la constitution. Comme dans l’écrasante majorité du Non français, la motivation est claire : il y a trop d’étrangers aux Pays bas.

Beaucoup avaient complètement oublié que le problème numéro 1 de l’Europe n’est pas le caractère insuffisant des avancées du TCE par rapport à Nice, mais la montée épouvantable de deux types de populisme à travers l’Europe :

- le populisme type Le Pen, des ouvriers précarisés ou réduits au chômage, ceux qui se sentent aspirés vers le bas comme des grains de sable dans la « société en sablier ».

- le populisme de type autrichien, suisse, flamand, « panonien » (nord de l’Italie), celui des riches qui ne veulent pas partager avec plus pauvres qu’eux.

Le TCE représentait la timide contre-offensive des « solidaires », treize ans après le traité d’Union économique et monétaire de Maastricht, treize ans de triomphe du modèle libéral de construction de l’Europe (dix-neuf même si on compte l’Acte Unique). Le paradoxe, c’est que ces treize ans ont suffi à rendre extrêmement difficile une renégociation qui ne soit pas une aggravation (comme à Amsterdam ou à Nice) du traité de Maastricht, car Maastricht a créé les conditions d’une opposition populaire à l’idée même d’Europe. Je l’avais dit à l’époque de ma campagne contre Maastricht, et répété dans chacun de mes livres ultérieurs : Maastricht est un vaccin anti-Europe. La seule antidote aurait été une Europe digne d’être aimée. Le TCE en ouvrait la voie, mais ça ne se voyait pas au premier coup d’œil. Et l’alliance des souverainistes d’extrême droite, de droite ou de gauche, et des sociaux-libéraux, les pères justement de Maastricht et de Nice (comme Laurent Fabius), a réussi à barrer la route à cette alternative.

Je reçois un mail désolé de ma fille cadette. Son compagnon (Bosniaque de Sarajevo) lui glisse par dessus l’épaule : « Eux, au moins, ils ne se tuent pas entre eux ».

C’est vrai que si nous avons fait l’Europe, c’est parce que nous en avions marre de nous entretuer depuis deux mille ans. Mais les responsables de la désagrégation de la Yougoslavie, en 1988, savaient-ils où ils allaient ? Dans le débat franco-hollandais sur le TCE on a parlé des Polonais comme les Serbes parlaient alors des Bosniaques, on a parlé de l’Espagne comme les Slovènes parlaient alors de la Macédoine, on a parlé des Turcs comme tous parlaient des Kosovars.

Quant au groupe Vert au Parlement européen, nous avons décidé de transformer la réunion du 27 juin, qui devait travailler au premier amendement promis par le Parlement européen pour le lendemain de l’adoption du TCE, en réunion de brainstorming avec les acteurs sociaux (Confédération européenne des syndicats, Ligue européenne des droits de l’homme, grandes associations de protection de l’environnement etc) pour voir comment stopper le détricotage. L’Europe a un bas en échelle, va falloir remmailler.

Ah, oui, le gouvernement est formé. Et Chirac à 20%, 3 ans après avoir été élu à 80%. Quelque part, il y a longtemps, j’ai aussi parlé de « sud-américanisation de la France ».



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