Les pépites du traité
par Alain Lipietz

dimanche 15 mai 2005

La campagne s’accélère.

Je suis maintenant trop épuisé par mes réunions-débats à travers toute la France et trop peu souvent devant un ordinateur pour tenir correctement ce blog. Je me concentre plutôt sur des articles de fond que je mets directement sur le site. Par exemple : sur l’Otan, sur la date d’entrée en vigueur du traité, sur le libéralisme, la concurrence et les services publics, sur ce qu’on va voter exactement (et donc sur le statut des « déclarations finales »), sur la taxe de Tobin et le TCE...

J’ai aussi rédigé une longue réponse à Bernard Dreano, le meilleur des Non pro-européens.

Et puis évidemment, je fais mon boulot de député. Par exemple, cette
semaine, ce fut le fameux vote sur la directive « temps de travail ».

On se souvient qu’aujourd’hui la directive régissant le temps de
travail en Europe arrête le principe « 48h maximales », mais avec la
possibilité laissée aux pays qui le souhaitent d’instituer un opt-out, c’est-à-dire que, sur simple signature, un salarié peut abandonner
tous les droits que lui garantit l’Union européenne. La Commission
proposait d’encadrer cet opt-out à 65 heures maximales et, en
contrepartie, d’annualiser le calcul de l’horaire hebdomadaire et
d’intégrer le temps de garde dans le temps de travail. C’est cette
proposition de directive qui a été formidablement améliorée par le
rapport Cercas
. Mais nous n’en sommes qu’à la première lecture du Parlement, affaire à suivre.

En tout cas, les partisans du Non qui ne savaient même pas que, dans le traité actuel, il y a déjà des éléments d’Europe sociale en co-décision, ont bonne mine.

L’interaction entre ce vote et le référendum est d’ailleurs assez drôle. Il fallait voir nos collègues de l’UDF et de l’UMP sauter de joie comme des cabris au fur et à mesure que tombaient les résultats des votes électroniques en faveur de la suppression de l’opt-out et de
l’annualisation, ou en faveur de l’inclusion du temps de garde dans le
temps de travail ! Symétriquement, les communistes votaient contre ce
notable progrès social, à l’exception de Francis Wurtz, qui s’est
prudemment abstenu et m’assura plus tard qu’en cas de risque sérieux de rejet du rapport Cercas, les communistes auraient pu voter différemment...

La nuit avait porté conseil : les socialistes français partisans du Non, qui s’apprêtaient eux aussi à voter Contre pour rendre l’Europe encore plus hideuse, se sont finalement ralliés au vote Oui ou à l’abstention, ne voulant pas pratiquer la politique du pire qu’illustrèrent jadis les trotskistes à propos de la taxe de Tobin.

Finalement, je ne remercierai jamais assez la campagne du Non (tout en
espérant évidemment qu’elle n’aboutisse pas à une victoire du Non !).
Elle nous oblige, nous les partisans du Oui, à un travail d’analyse fine du traité qui nous est proposé, mais aussi du traité actuel, ne serait-ce que pour répondre aux soi-disant trouvailles des Géo Trouvetout du Non. On déterre alors des pépites, dont on avait complètement oublié qu’elles figuraient dans le TCE.

Par exemple, Francine doit répondre à l’accusation absurde de certaines féministes du Non selon lesquelles l’égalité hommes femmes ne figurerait ni dans les valeurs ni dans les politiques de l’Union, telles que définies parle TCE. Grâce à Noriaweb, elle découvre vite la multiplicité des références à l’égalité hommes-femmes, et découvre même que la discrimination positive en faveur du genre dominé est prévue par le traité !

De même, je reçois une nuit un mail me demandant ce qu’il en est de la
prostitution dans le traité (j’avais en effet travaillé cette question au niveau européen). Toujours grâce à Noriaweb, je découvre le nouvel article III-271, ébauche d’un droit pénal européen (j’ignorais même qu’il y aurait un droit pénal harmonisé européen !) Comme je m’y attendais, les crimes transfrontières y sont énumérés. Mais à ma grande surprise, je découvre « l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants » portée au rang de crime européen ! Je vérifie dans l’édition du Sénat si une telle mention existe déjà dans le traité actuel : le Sénat confirme que cet article est entièrement nouveau ! Ainsi, la troisième partie du TCE ébauche un droit pénal européen et y met d’emblée la prostitution d’autrui au rang de crime, conformément à la convention "abolitionniste" de 1949 de l’ONU, et en dépit des pratiques de certains des Etats-membres...

Les débats sur le vif apportent aussi leurs surprises. A Annecy, je débats avec un militant d’Attac. La salle est largement acquise aux thèses du Non de la gauche de la gauche. Mais bien sûr, il y a quand même des « vrais gens » qui viennent à ces débats. Une dame demande : « Mais si on vote le TCE, la Turquie fera obligatoirement
partie de l’Europe, puisqu’il y a sa signature dans le texte qui nous est envoyé ! » Non de gauche et Oui de gauche, nous échangeons des regards affolés. Tous les deux, nous improvisons une réponse : cette
signature de la Turquie (comme de la Roumanie et de la Bulgarie) figure là parce qu’elle a été invitée à la conférence intergouvernementale finale de négociation du traité, mais cela n’implique en aucun cas qu’elle fasse partie de l’Union.

A tête reposée, je vérifie : c’est parfaitement exact. La Turquie est
bien signatrice de l’acte final de la conférence intergouvernementale (p.165 en bas dans l’édition envoyée aux électeurs-trices), et donc des « déclarations » attachées à cet acte final. Y compris donc la fameuse déclaration numéro 12 qui "prend acte des explications du Praesidium". Y compris la déclaration n°13 où les gouvernemnets, en vertu de l’article III-116, s’engagent à "lutter contre toutes les formes de violences domestiques contre les femmes, pour prévenir et réprimer ces actes criminels".

Cet incident va beaucoup me resservir : les Non de gauche qui persistent à faire référence à la déclaration n°12 en prétendant à tort qu’elle fait partie du TCE baissent aussitôt pavillon quand je leur signale qu’elle est signée par la Turquie. Il est vrai que le Non de gauche que je rencontre ne sont pas du tout de la tendance Fabius, qui est à la fois contre la Constitution et contre la Turquie ! (et même, si j’ai bien compris, contre la Pologne, comme le PCF qui avait déjà voté contre l’entrée de l’Espagne).



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