Bananes, Equateur, Roms, Droits de l’homme…
par Alain Lipietz

dimanche 1er mai 2005

Cette fois ci, je ne parlerai pas des débats sur le referendum ! Enfin si, j’en dirai quelques mots, pour l’ambiance. Mais je vais de plus en plus m’orienter vers la rédaction de notes thématiques que je mettrai sur mon site, rubrique « Articles et débats ». Je n’arrive plus moi-même à savoir à quelle date de mon blog, et encore moins à quelle date du forum correspondant, j’ai placé tel ou tel argument. Hier, par exemple, j’ai encore rédigé une longue réponse sur le problème des OGM et de la comitologie... Qui ira retrouver ça sur le forum ? Mieux vaut en faire des articles séparés, comme je l’ai fait dans ma « Réponse à Natalie sur le problème « Non=Nice ».

Donc, un petit mot d’ambiance. Dans mes débats de cette semaine, comme lors des distributions de tracts sur le marché de Villejuif hier et ce matin, comme dans les sondages, le courant est net : le Oui remonte.

Première raison : avec les sondages qui donnent le Non vainqueur, le vote “fun” a disparu. Ceux qui voulaient « envoyer un signal de mécontentement », en comptant sur les autres pour voter Oui, repassent vers le Oui. C’est le grand intérêt des sondages, on ne vote plus tout à fait à l’aveuglette quant aux « effet pervers de composition ».

Deuxième raison : les gens commencent à lire le traité, et n’y retrouvent pas les contre-vérités assénées depuis des mois par des partisans du non. Par exemple : “Le marché et la concurrence sont placés au coeur des valeurs de l’Union...” Même en n’étant pas très calé en droit, le lecteur de base arrive à l’article 2 appelé “Valeurs” et n’y retrouve pas cette affirmation. La concurrence apparaît bien à l’article 3, mais elle n’en est visiblement pas le cœur. Etc…

Troisième raison, avec un Non en pôle-position, la question du plan B arrive en premier plan. Or, il est maintenant clair que « Non = Nice », que Non = rejet des parties 2, 3, 4, et de la « grande rhétorique » de la partie 1, rejet de la Charte des droits fondamentaux, rejet de la croissance des pouvoirs du parlement et maintien de la plupart des votes à l’unanimité des gouvernements, avec un petit bricolage à la rigueur pour améliorer l’efficacité du Conseil. C’est le plan des libéraux britanniques, mais même Nikonoff, président d’Attac, revendique cette issue sur le site de l’association.

On n’est pas encore convaincu que le Oui mène à une autre Europe, mais il est clair que voter Non, c’est garder la même Europe, au moins un certain temps.

Bon, fini sur le referendum.

Cette semaine, c’était Bruxelles, et mini-session. Une mini session est une session plénière de deux jours, le mercredi et le jeudi, qui, contrairement aux grandes sessions, a lieu à Bruxelles et pas à Strasbourg. Ces semaines-là sont particulièrement intenses. Comme la plupart des députés sont présents, et que Bruxelles c’est moins galère que Strasbourg, les visiteurs et les lobbies privilégient ces semaines. Il y a par ailleurs l’agitation habituelle dans la mise au point des derniers amendements. Et en plus, certaines commissions se réunissent en début de semaine.

Je reçois ainsi successivement :


* Le directeur général de l’Union internationale pour la conservation de la nature, Hachim Steiner.

J’avais rencontré Hachim au Sommet de Johannesburg et au Congrès de Bangkok. Il vient nous expliquer que la Convention sur la biodiversité (CBD) est assez mal en point car elle n’intéresse pas grand monde. Il cherche du soutien auprès du Parlement européen. Je lui explique que, d’une part, contrairement à la Convention contre le changement climatique, la convention biodiversité oppose très largement les élites du nord (Union européenne comprise) aux revendications du sud. Par ailleurs, les gens confondent cette convention avec la CITES, Convention internationale contre le commerce des espèces en danger (baleines, éléphants, bébés phoques etc). Ils y voient une affaire plutôt esthétique et sentimentale, sans comprendre qu’elle est aussi inextricablement liée au destin de l’humanité et à leur propre santé que ne l’est la Convention contre le changement climatique. Il faudrait donc parvenir à mettre en place des médiations psychologiques entre le sentiment de son propre intérêt bien compris, celui de sa famille, et celui de la biosphère globale. On y est arrivé pour le climat (grâce à la canicule etc), il faut trouver des équivalents pour la biodiversité.

* Des indigènes colombiens en proie à la double guérilla des Farc et des paramilitaires.

J’insiste auprès d’eux : nous avons besoin, très vite, des témoignages que les paramilitaires continuent leurs crimes de guerre malgré l’accord de désarmement conclu à grand son de trompe par le président Uribe avec les « Autodéfenses Unies de Colombie » (AUC).

* Des militants de Greenpeace, sur le trafic de bois.

Il s’agit d’obtenir que l’Union se dote d’une législation pénale contre l’importation des bois dont la coupe est déjà illégale dans le pays d’origine. Il ne s’agit donc pas encore de développer la protection des espèces rares dans les pays d’origine ! Mais il est scandaleux qu’alors que les douaniers européens peuvent saisir de faux sacs Vuitton, ils n’ont pas le droit de saisir des bois de contrebande, en grumes ou transformés en meubles.

* Le président de Augura, la Chambre des bananiers colombiens, Roberto de Jesus Hoyos Ruiz.

Accompagné de deux conseillères de l’ambassade colombienne, il vient se plaindre du “pic douanier” que l’Union européenne met en place sur les bananes d’origine hors-ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), suite à la condamnation par l’OMC du régime antérieur, fondé sur des contingents. Je les reçois en compagnie de mon vice-président de la délégation du parlement pour la CAN (Communauté andine des nations), Fernando Fernandez.

Le président des bananiers consacre un quart d’heure, sur la demi-heure de son intervention initiale, à expliquer la qualité des rapports sociaux et des contrats syndicaux dans les bananeraies de l’Urabà et de du Magdalena (la vaste plaine du nord-ouest de la Colombie, royaume de la banane, et aujourd’hui des AUC). Il se plaint ensuite que le tarif extérieur commun proposé par l’Union (de l’ordre de 230%) va tuer la banane colombienne dont les exportations sont orientées à 60% vers l’Europe. Il demande qu’un régime de transition assez long soit mis en place.

Fernando lui répond avec rondeur, mais fermeté : “Mais pourquoi demandez-vous un régime transitoire ? C’est vous, les pays exportateurs du continent latino-américain, qui avez demandé et obtenu de l’OMC de casser le système de contingents qui vous garantissait un certain volume de vente en Europe. C’est l’OMC qui nous oblige à remplacer ce système de contingent par un pic tarifaire. Ce pic tarifaire doit protéger les exportations des pays ACP, et ceux-ci trouvent le pic insuffisant.”

Je reprends la parole et j’explique : “Quand la France a établi le RMI, ce RMI assurait un revenu plus élevé dans nos départements des Antilles que la culture de la banane. La France a donc obtenu l’intégration de la banane dans la Politique agricole commune, avec des prix garantis, ce qui impliquait du protectionnisme. Les pays ACP, étant en libre-échange avec l’Europe, ont pu bénéficier de cette zone protégée, mais nous ne pouvions pas accueillir toute les bananes du monde ! Il a donc fallu protéger notre marché contre les exportations non ACP. À cette époque, j’ai été appelé à collaborer avec l’ambassade de France en Colombie. J’ai rencontré les syndicalistes de l’Urabà. Ils m’ont dit : “ Les paramilitaires des patrons de la banane ont tué 200 syndicalistes en trois ans. Nous ne pouvons plus tenir. C’est à vous, Europe, de vous protéger contre la banane colombienne”. J’ai alors proposé de laisser à la Colombie et aux autres exportateurs du continent un contingent de bananes à exporter vers l’Europe, et se protéger contre le reste. Ce fut le compromis de 1994. C’est vous qui l’avez détruit, en portant plainte à l’OMC. Et maintenant, vous nous demandez d’en prolonger la survie ! Vous n’avez qu’à demander à vos propres Etats de revenir au régime antérieur, afin qu’eux mêmes demandent à l’OMC de revenir sur la plainte qu’ils avaient eux-mêmes déposée.”

Les Colombiens piquent du nez, approuvent en hochant la tête, disent qu’ils se sont fait avoir par les grandes firmes américaines de la banane, et par les Equatoriens. J’imagine déjà ce que sera ma conversation avec les Equatoriens…

Je profite de cette réunion pour soumettre à Fernando Fernandez un petit problème : la reconnaissance du nouveau président équatorien !

On se souvient que la semaine dernière à Bruxelles, j’avais juste eu le temps d’expédier un fax au président Lucio Gutiérrez, l’adjurant de revenir à la légalité constitutionnelle, et de ne pas réprimer les immenses manifestations de Quito. Le temps que j’aille de Bruxelles à Oxford, Lucio Gutiérrez s’était enfui ! Dès lundi, le congrès équatorien avait nommé pour le remplacer le vice-président Alfredo Palacio.

Lundi, je trouve sur mon fax une lettre de l’ambassadeur d’Equateur à Bruxelles m’expliquant la légalité et la légitimité de cette substitution. Bien sûr, le mouvement de Quito m’est beaucoup plus sympathique que le Golpe qui avait renversé Chavez à Caracas. Mais j’ai gardé une dent, et je l’ai fait savoir, contre Aznar, alors président du Conseil européen, qui avait, en compagnie de Bush, reconnu aussitôt le coup d’état. Je ne veux pas qu’on puisse me reprocher d’avoir inconsidérément fait de même. Je prends contact avec mes amis à Quito : l’écologiste Maria Fernanda Espinosa et Marc Saint-Upery, tous deux proches du mouvement indigéniste Pachakutik. Ils m’envoient un compte-rendu des événements, et une dépêche d’agence équatorienne annonçant que Javier Solana reconnaît le nouveau président. Mais je n’arrive pas à retrouver cette prise de position de Solana (Monsieur “politique étrangère” de l’Union européenne) sur son site. J’essaie de joindre le directeur des relations extérieures de la Commission européenne, mais je n’y arrive pas.

Il faut se décider. Pour ma part je suis convaincu ! Je rédige une lettre à l’ambassadeur d’Equateur et au président Palacio. Ce sont les deux lettres que je montre à Fernando Fernandez. Il est d’accord. Et hop, j’expédie les lettres et apporte ainsi au nouveau pouvoir équatorien la reconnaissance du Parlement européen...

Ah, c’est du sérieux, la politique étrangère de l’Union !

Entre temps, débat sur la BBC avec un représentant socialiste, un libéral, un PPE. Le thème : la Grande-Bretagne doit-elle quitter l’Union européenne ? Je souligne que par ses multiples opting out (par rapport à Shengen, par rapport à l’euro, par rapport au traité constitutionnel et à la charte des droits fondamentaux, par rapport à la directive sur la durée maximale du travail), la Grande-Bretagne a réduit son entrée dans l’Europe au seul marché unique. Elle doit comprendre qu’être Européen, cela veut dire accepter des lois sociales, environnementales et fiscales communes. Mes collègues PPE et libéral, tout en reconnaissant que la moutarde leur monte un peu au nez, rappellent qu’à leurs yeux la Grande-Bretagne, en soutenant la directive Bolkestein, milite pour la modernisation de l’Europe…

Et puis enfin, les votes !

D’abord, une résolution d’initiative parlementaire sur la situation des Roms.Le résultat des votes est plutôt bon. La Commission nous communique d’ailleurs une déclaration approuvant notre travail.

Le vote est un peu moins bon quant au rapport annuel sur la situation des droits de l’homme. Contrairement à l’an dernier où la Verte Alima Boumedienne avait déposé un rapport sans concession, le rapport initial est cette fois assez ramollo. Nous arrivons à faire passer quelques articles un peu plus virulents.

Quant au rapport Ieke van den Burg sur la libéralisation des services financiers, le résultat n’est pas trop mauvais. Les socialistes et les communistes ont soutenu mes trois amendements. Seul celui qui a obtenu en plus le soutien des libéraux (selon lequel la libéralisation du secteur des services financiers ne doit pas aller contre la défense des droits des consommateurs) a pu être adopté.



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