PMA, GPA, Cathos.
par Alain Lipietz

lundi 11 mars 2013

L’Église catholique, sous couvert de l’opération « La Marche pour Tous », tente d’opposer un ultime barrage au vote par le Sénat de la loi Taubira sur le mariage pour tous. De frais jeunes gens, bien mis et souriants, me distribuaient l’autre jour à Chatelet un tract appelant à leur baroud d’honneur du 24 mars, titré « Loi Taubira = PMA et GPA ». Or ni l’une ni l’autre n’est dans la loi Taubira, comme le savent toutes celles et ceux qui ont suivi les débats à l’Assemblée Nationale.

On pourrait dire à l’Église : « C’est pas beau de mentir ». On pourrait ironiser, en ce temps de démission de Ratzinger, sous la pression d’un « lobby gay du Vatican » (selon des journaux italiens apparemment bien informés par l’Opus Dei), ce Ratzinger qui a du moins courageusement refusé de couvrir désormais les scandales pédophiles dénoncés depuis plus d’un siècle par les bouffeurs de curés.

Pas moi. D’une part je ne me réjouis pas que l’Église soit retournée au XIXe siècle. J’ai travaillé politiquement toute ma vie avec des cathos, y compris des évêques ou des institutions de l’Église, comme le MRJC, le CCFD, le Secours Catholique, avec des personnalités comme l’Abbé Pierre et le mouvement Emmaüs, etc. La Croix n’est pas le pire journal d’opinion. Le rôle progressiste de ces morceaux du monde catholique est incontestable. J’ai souligné son importance dans l’organisation des Forum sociaux mondiaux. Récemment, j’ai plaidé pour faire nommer Gaël Giraud (jésuite) et Cécile Renouard (assomptionniste) au conseil scientifique de la Fondation de l’Ecologie Politique. Mais cette image progressiste de l’Église est aujourd’hui compromise par les positions et les pratiques réelles de l’Église sur les questions sexuelles.

D’autre part, je ne considère pas que la PMA et la GPA (la Procréation Médicalement Assistée, la Gestation Pour Autrui) soient questions sans importance (même si, on l’a vu, elles ne sont pas abordées dans la loi Taubira, dont les vrais enjeux étaient en fait l’homoparentalité et l’adoption).

J’étais de ceux qui pensaient que la loi sur le mariage pour tous n’aurait dû contenir qu’un seul article : « Le mariage et la parentalité sont ouverts aux couples homosexuels dans les mêmes conditions qu’aux couples hétérosexuels ». Et on aurait rouvert ensuite le débat sur l’adoption, la PMA, la GPA…

Mais les choses sont plus compliquées, car évidemment ce qui est exception chez les couples hétérosexuels (les difficultés de la procréation) est la norme pour les couples homosexuels. Et la PMA et la GPA, que les Verts (avant EELV) abordaient avec circonspection, sont une nécessité pour des homosexuels décidés à procréer sans repasser par la case hétéro. Donc, aussitôt acquis le mariage pour tous à l’Assemblée Nationale, un groupe de responsables EELV orientés « santé » s’est empressé de publier un article de rappel de nos positions traditionnelles sur la PMA et la GPA, largement partagée depuis des lustres par la plupart des féministes… tant qu’on ne parlait que des parents hétéros. Malheureusement : ils l’ont fait dans La Croix, et malheureusement, furent aussitôt soutenus par Christine Boutin ! D’où, shame and scandal in the family EELV.

Pour mémoire : si les Verts (avant EELV) étaient en général contre la GPA, pour les raisons classiques du risque de marchandisation du ventre des femmes (totalement indépendantes du débat sur l’homoparentalité), ils/elles n’avaient pas de position législative contre la PMA, sauf un appel en général à la prudence sur toute hyper-médicalisation (critiques lancées entre autres par Jacques Testart, précurseur de la Fécondation In Vitro et aujourd’hui beaucoup plus prudent vis-à-vis du recours à la technique). Je pense que c’est ce que reflète la signature de membres importants de la commission Santé de EELV.

Et par ailleurs, il y a les débats lancés, entre autres, par Irène Théry sur la pluriparentalité, la distinction entre parentalité et procréation, et le droit pour l’enfant de connaitre ses origines biologiques, quand elles sont distinctes de sa parentalité. Débats sur lesquels il me semble que ceux que ça intéressait chez les Verts étaient plutôt d’accord avec Irène Théry (il y a d’ailleurs chez les féministes, pour l’adoption, un débat connexe et encore un peu différent à propos des "sous-X")

En tous cas, on est là dans l’espace du débat, pas de défendre "les positions du mouvement". La loi sur le mariage étant pratiquement passée, je ne vois donc pas ce qui empêche de faire état dans la presse que ce débat existe chez EELV, et que notamment il mobilise ceux qui dans EELV s’intéressent plus particulièrement aux questions de santé. Que la sensibilité des "santé" ne soit pas la même que celle des "LGBT" au sein de EELV est normal. On a vu dans le débat sur le Traitement Bio-Mécanique des déchets que la sensibilité de la commission Énergie n’est pas la même que celle de la commission Déchets ("ceux qui préfèrent éviter les déchets nous volent notre méthane !"). C’est pas un drame.

Alors, SVP, discutons du fond.

Sur le fond, je pense que la difficulté vient d’une dissymétrie introduite par l’ordre du juridique dans une question qui relève du biologique, et de la lutte des citoyen-ne-s pour s’émanciper du "destin" biologique. Nous sommes pour l’égalité juridique des parentalités, homo et hétéro. Or la loi actuelle ouvre la PMA aux couples stériles. Donc, chez les hétéros, aux couples dont un membre est stérile. Mais chez les homos, tous les couples sont par définition stériles, même si aucun des deux membres ne l’est !! D’où l’impression que « l’égalité » donne un droit général aux homos que les hétéros n’ont pas... Ben c’est comme ça : la loi n’égalisera jamais ce que la biologie rend différent (même entre hétéro d’ailleurs). Autant voter une loi pour l’égalité de taille...

En réalité les vrais débats sont :

1. " Faut-il interdire quelque chose de physiquement ou psychologiquement dangereux pour soi-même ? ". La réponse est en général : non (je rentre de vacances sportives...). Mais c’est la responsabilité des pouvoirs publics (et pas seulement d’eux) de "mettre en garde", et d’organiser la sécurité maximale pour celles/ceux qui veulent avoir recours "quand même" au don de sperme avec excitation ovarienne, à la FIVET etc. En sachant que la souffrance de certains couples devant l’absence d’enfant peut aussi les amener, « rationnellement », à prendre des risques pour leur santé, et qu’on ne voit pas au nom de quoi les en empêcher.

2. " Faut-il changer la loi sur la PMA" ? Oui, probablement, en distinguant explicitement parentalité et engendrement (accès de l’enfant à la connaissance de ses origines), et cette réforme est indépendante de l’orientation sexuelle des parents.

3. " Faut-il rembourser – par la Sécu — toutes les aspirations des individus ?" La question du remboursement par la sécu est une vraie question, mais attention que si l’on commence, par les temps qui courent, à poser les actes médicaux en termes de droits - à l’enfant, à la beauté, etc – et à leur opposer l’équilibre de la sécu, on va dévider une sacré pelote ! Faut-il soigner les cancers au dessus de l’âge de l’espérance de vie moyenne ? Faut il réparer les becs de lièvre ? etc. Il n’y a pas que les risques d’eugénisme !

Je pense que la société doit admettre qu’elle proportionne les droits "à" (c’est à dire ceux que la collectivité garantit à ses membres, en les remboursant ou en les subventionnant, comme le logement ou l’éducation) à ses moyens, et donc doit ouvrir sur ces sujets des débats publics et évolutifs. Je ne serais pas choqué que la société reconnaisse un jour le "droit à l’enfant", mais je ne suis pas sûr que le recours à l’hypermédicalisation soit la bonne méthode, ni que nous en ayons actuellement les moyens.

Il me semble plus important d’insister sur la possibilité pour les hommes et les femmes de se "réaliser" (y compris dans son besoin d’affection) même sans enfant biologique. (Sans compter que pour le moment, dans un couple homo, la science ne peut offrir la descendance biologique qu’à un seul parent à la fois... Mais qui sait, demain, on saura peut être FIVeter entre deux femmes...) Dans la réalité, et de tout temps, les « arrangements » entre amis et parents relevant de la gestation (ou de la de la fécondation) pour autrui ont toujours existé : arrangements « à l’avance » allant jusqu’au maquillage d’accouchement, ou arrangement « après coup » relevant au fond de l’adoption. Ici, nous parlons d’institutions, avec ce que cela implique de marché, de contrôles, de droits explicites, etc.

Bref, des débats réels, avivés pratiquement par l’homoparentalité, mais dépassant largement ce cas particulier, portés depuis longtemps par les féministes et les écologistes, et qui ne disparaissent pas par l’opération du Saint Esprit dans le cas des couples homosexuels. Que des homophobes comme Boutin s’incrustent dans le débat comme à leur ultime ligne de défense (après avoir été enfoncés dès le débat sur le PACS), c’est un fait, mais qui ne doit pas dispenser les écologistes du débat que nous avions déjà, et de toute façon, à propos de l’hétéro-parentalité.

Au fait, un détail : que l’on légalise ou pas une pratique, je suis totalement contre le fait de faire retomber la "faute légale" sur l’enfant, comme on l’a longtemps fait pour les "fruits de l’adultère" ou les "fruits du viol". De ce point de vue, la circulaire Taubira, qui enjoint aux préfectures de délivrer leurs pièces d’identité aux enfants de la GPA est le minimum minimorum, puisqu’elle ne fait rien d’autre que reconnaitre la nationalité du père qui reconnaît l’enfant, et donc de l’enfant (même si la mère, aux yeux de la loi actuelle, reste la mère porteuse.)

Revenons enfin à l’attitude de l’Église, organisatrice des marches contre le mariage pour tous, mais qui se gargarise de ne plus être homophobe. Bizarre, n’est-ce pas, pour une Église qui en restée à l’idée (encyclique Humanae Vitae, 1968) selon laquelle « Est exclue toute action qui, soit en prévision de l’acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation ».

Le précieux site des « anti-mariage pour tous » aiguille vers l’explication de l’Église elle-même : « S’il appartient au pouvoir politique d’entendre la demande d’un certain nombre de personnes homosexuelles de bénéficier d’un cadre juridique solennel pour inscrire une relation affective dans le temps, c’est en fonction du bien commun dont il est garant qu’il doit chercher à y répondre. L’Église catholique appelle les fidèles à vivre une telle relation dans la chasteté. »

Bref : il faut respecter les homosexuels, et l’État (mais pas nous, l’Église) est autorisé à leur concéder une institution qui reconnaît leurs affections (mais pas le mariage, qui est un bien commun), à condition… qu’ils/elles s’y interdisent de faire l’amour !

Mais reconnaissons du moins que, contrairement à l’époque d’Humanae Vitae où l’Église luttait contre la contraception en voulant l’interdire par la loi (« Aux gouvernants, qui sont les principaux responsables du bien commun, et qui peuvent tant pour la sauvegarde des valeurs morales, Nous disons : ne laissez pas se dégrader la moralité de vos peuples ; n’acceptez pas que s’introduisent, par voie légale, dans cette cellule fondamentale de la société qu’est la famille, des pratiques contraires à la loi naturelle et divine. »), elle n’adresse plus ses chastes conseils qu’à ses propres fidèles.

La laïcité progresse…



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