Le 14 juillet de Eva Joly sera-t-il la Corse d’Alain Lipietz ?
par Alain Lipietz

vendredi 15 juillet 2011

Le 14 juillet de Eva Joly sera-t-il la Corse d’Alain Lipietz ?

Ça n’a pas raté. Eva Joly à peine élue candidate des écologistes pour la présidentielle, les mécanismes hostiles que j’ai connus en 2001 se déclenchent, à peu près selon le même timing, les mêmes arguments, les mêmes phobies. Mais il y a des différences et, malgré les « alertes google » qui m’informent que l’on ne parle de Eva que pour lui annoncer le même sort qu’à moi, je ne pense pas, je n’ai jamais pensé qu’on puisse refaire à Joly 2011 le coup de Lipietz 2001, je l’avais clamé dès la réunion de Eva le 13 mai à Paris.

Un mot d’abord sur sa victoire au second tour, le mardi 12 juillet. Son succès était acquis au premier tour, le second tour confirme simplement ce succès, à tel point que dans Libération de mercredi, 3 éminents spécialistes de l’institut Paul-Lazarsfeld et autre ne trouvent rien d’autre à écrire qu’une paraphrase de mon analyse de premier tour. Pourtant, quelques éléments nouveaux sont apparus à la fête du mardi.

D’abord les reports. Les deux candidats éliminés, Henri Stohl et Stéphane Lhomme, n’avaient pas exprimé leurs préférences. Le premier rassemblait les votes verts « identitaires » pour qui Eva Joly était encore trop « ouverture Europe Ecologie », le second ne mobilisait que contre Nicolas, et au second tour cela revenait à choisir Eva qui n’est pas sa tasse de thé. Si tous les électeurs de ces deux candidats s’étaient abstenues, Eva aurait obtenu 55%, si tous avaient voté pour elle, elle aurait obtenu 60%. Elle en obtient 58%, ce qui prouve sa haute capacité de rassemblement. Plus qu’une défait de Nicolas (dont le score est fort honorable), c’est une victoire d’Eva.

Ensuite , petite « révélation » : Dany a voté pour elle. On l’aurait deviné au flot de conseils qu’il lui a prodigué dans Libération au lendemain du premier tour, mais ça va mieux en le disant. Eva incarne l’esprit de 2009, la magnifique campagne des européennes.

Enfin, la joie. À la Bellevilloise, Eva fut acclamée par un rassemblement hétéroclite de « nouveaux » , d’un Stéphane Hessel hilare à la « jeune et jolyste » Elise Aubry, en passant par le Jeudi Noir au grand complet. Pas de doute , Eva rassemble très large, par delà les générations et bien au-delà du cercle environnementaliste (amputé encore des anti-nucléaires et des anti-Borloo-les-gaz-de schistes), dont Nicolas, malgré la sincérité de sa conversion, n’a pu se détacher. Mais quand même, mardi, ce sont d’abord les « Indignés » qui font fête à Eva.

Eva récupère donc sa couronne de « reine de l’anti-finance » de l’été 2010, lorsqu’elle occupait les medias sur l’affaire Woerth. Elle frappe d’ailleurs très fort dès ce mardi soir sur TF1, annonçant sa volonté d’attaquer de front le capital financier mondialisé en frappant au cœur de l’irrresponsabilisation absolue de la finance : en interdisant les CDS. Ces Credit Default Swaps sont des sortes de contrat d’assurance qui promettent aux banques d’échapper au risque de faillite de leur débiteurs (par exemple les Etats), mais en cas de vrai pépin, ces assureurs fantômes n’ont aucune réserve, et risquent de faire s’écrouler tout le système. Or la crise , qui n’était que de liquidité en 2008, est devenue en 2010 une crise de solvabilité : d’énormes quantités de crédits sont probablement insolvables. Eva Joly, bien conseillée par les experts économiques verts du Parlement européen, a donc frappé juste.

Cette proposition (d’une actualité brûlante, même si elle ne vise pas le fond de la crise écologique, ce qui devra être corrigé dans sa communication) laissera pourtant de marbre la presse et les adversaires politiques. Il n’en ira pas de même avec la proposition d’Eva de remplacer le défilé militaire « à la soviétique » du 14 juillet par un défilé « civique », comme en connaissent les autres pays (à commencer par les USA) lors de leur propre fête nationale : pompiers, chorales, humanitaires, sportifs, majorettes, etc. Quand aux traditions françaises que « la Norvégienne » serait censée ignorer, voir ici l’excellent blog de EELV Fontenay sous Bois

Immédiatement le feu se déchaîne à droite et à gauche ( à l’exception de Mélenchon). Dans une ambiance chevènementiste, quasi chauvine (« dehors la Norvégienne ! »), je retrouve les accents du processus de lynchage médiatique qui a eu ma peau en 2001, alors que j’avais été désigné par les militants comme leur candidat pour la présidentielle de 2002. C’est d’ailleurs le destin que la presse promettait aux écologistes s’ils ne faisaient pas le bon choix, Nicolas : « Eva Joly finira comme Lipietz en 2001 ».

Avant de revenir sur cette douteuse comparaison, un mot du fond. En critiquant cette coutume malsaine de célébrer la Prise de la Bastille par un défilé militaire, Eva visait bien sûr une tendance des chefs de l’Etat français à jouer à la guéguerre, jeu dont nos « petits gars » paient aujourd’hui le prix quotidien en Afghanistan, engagés dans une guerre pour le panache de Sarko, une guerre qui les éloigne des populations qu’ils sont censés protéger, une guerre en défense d’un régime archi-corrompu, qui pousse les Afghans dans les bras des Talibans. On ne pouvait rien attendre de moins de la candidate EELV. Mais cette position n’est pas encore très partagée au delà de notre zone d’influence, elle viole un consensus implicite (non vérifié) : à l’assaut !

De fait, en 2001, alors lancé dans le début du procès de mon père contre l’Etat et la Sncf pour participation à la Shoah, et suivant de prés la commission « Vérité et réconciliation » de Desmond Tutu en Afrique du Sud, j’avais tenté maladroitement, sur l’affaire corse, de lancer le débat « pas d’amnistie-amnésie », qui s’était retourné contre moi par d’assez faciles manipulations médiatiques, appuyées par un petit groupe, interne aux Verts, de revanchards de la primaire, ce qu’on avait appelé « le complot de Guyancourt ». Cela avait finalement très mal tourné pour moi quand en septembre Le Monde m’avait carrément accusé (parfaitement à tort ) d’avoir écrit le programme économique du FLNC…

J’ai jadis essayé de montrer que derrière ce lynchage il y avait plusieurs étages : solidarité de corps des journalistes (hier en faveur de Noël Mamère, aujourd’hui de Nicolas Hulot, contre un chercheur puis une juge), craintes du PS devant un concurrent – allié exigeant, mais surtout mobilisation des lobbies anti-écologistes propriétaires de la presse, et rôle destructeur du « complot de Guyancourt » .

Une telle conjoncture peut-elle se reproduire ? Oui et non.

Oui, car les journalistes sont encore plus dépités de la défaite très nette de leur poulain, le PS a encre plus peur de EELV, et surtout, face à la crise économique et après Fukushima, les lobbies du « vieux modèle financier et industriel » ont beaucoup plus peur de EELV et d’Eva Joly, incarnant la conversion verte, qu’ils n’avaient peur des Verts et de moi en 2001. Significativement, les financiers qui contrôlent Libération viennent d’imposer Anne Lauvergeon, fondatrice d’AREVA et membre de la Commission de la croissance française de Jacques Attali, à la tête du Conseil de surveillance du journal. Ça rigole plus.

Logiquement on doit donc s’attendre à une séquence de type 2001 : en août, « redécouverte » de la tribune d’Eva cosignée avec Noël Mamère et Esther Benbassa en faveur de la « laïcité ouverte », de ses visites à Gaza en tant que présidente de la commission du développement du Parlement européen, bref de ses « sympathies islamistes », et début septembre une bonne grasse Une du Monde : « Quand Eva Joly rédigeait le programme des Talibans »…

Et non, car on ne voit pas très bien qui serait d’un « complot de Guyancourt » 2011. Les meilleurs spécialistes de la « manipulation des medias » (on lance une critique en interne, on la fait fuiter via Facebook, la presse la reprend, et on reprend la presse en interne, cf l’attaque contre Cohn-Bendit « qui ne paierait pas ses cotisations »), ceux là sont du coté d’Eva. Ça rassure. On entrevoit qui pourrait faire aussi bien, mais ils savent que le jeu n’en vaudrait sans doute pas la chandelle : l’écologie politique ne peut se ridiculiser deux fois de la même manière. Il faudrait d’autre part que Nicolas se prête au jeu, viole son engagement de soutenir la sélectionnée de la primaire, ce qu’il a les moyens de faire (« je retrouve mon indépendance ») mais qui détruirait totalement l’affection que les écologistes ont fini par lui porter. Qui veut voyager loin ménage sa monture…

Je suis revenu de la manifestation contre le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes avec le directeur de campagne de Nicolas, Pascal Durand, et il était résolument pour un soutien loyal à Eva. Le lendemain, j’étais à… Guyancourt, pour soutenir la lutte des écologistes pour la sauvegarde du plateau de Saclay, « garde manger » potentiel de l’Ile de France en « bio de proximité », contre les désastreux et ringards projets d’un Sarkoland. On s’y réjouissait aussi du probable succès d’Eva. Et le plus illustre hulotiste, José Bové, a volé au secours de Eva Joly sur l’affaire du 14 juillet…

Bref , le front intérieur est peu dangereux pour Eva. Reste, pour les Erurope-Ecologistes à la soutenir de toute leur amitié, et à apprendre le sang-froid et la vigilance à l’égard des manipulations. Le Canard enchaîné, vous pensez par exemple que c’est un hebdo ami ? Oui mais, amis écologistes, ne soyez pas surpris de certains… écarts. Dans le numéro de cette semaine, un « reportage » sur la manif de NDD des Landes. Un demi-paragraphe contre son défenseur, le socialiste Jean-Marc Ayrault, et une pleine colonne contre EELV, très majoritaire dans le rassemblement. L’article souligne que cette lutte n’est pas NIMBYste (« pas dans mon jardin de derrière »), mais met en exergue une banderole « Joly-Hulot-Bové, votre combat n’est pas le notre : dégage ». C’est-à-dire ? quels combats ne sont pas ceux de NDD des Landes ? les paradis fiscaux ? la taxe carbone ? les OGM et gaz de schistes ?

J’y étais, et je déments formellement. NDD des Landes, Joly, Hulot, Bové, Saclay (et les jardins ouvriers de l’Epi d’Or ) : même combat !



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