Cantonales : un petit bilan politique.
par Alain Lipietz

dimanche 3 avril 2011

Fourbus par cette campagne cantonale menée comme une législative, nous sommes partis en vacances à Serre-Chevalier. Petit retour sur les résultats.

D’abord, bien sûr, la déculottée de la droite. Les faibles gains de la gauche en départements ne doivent pas faire illusion : à une élection, c’est l’ensemble des circonscriptions remportées qui exprime l’état de l’opinion, et non les « gains » par rapport à la fois précédente.

Malheureusement cette victoire s’inscrit dans une abstention record. Il ne suffit pas de parler de « désaffection pour la politique ». Coincées entre les incompréhensibles réformes Raffarin et leur disparition programmée par la réforme territoriale de Sarkozy, les élections cantonales ont perdu toute lisibilité.

Ensuite la poussée du FN. Elle exprime la « dédiabolisation » opérée à la fois par sa nouvelle leader, et par Sarkozy validant la « pensée-FN ». Mais il ne faut pas non plus ignorer un déterminant structurel : comme je l’avais rappelé dans mon livre sur la crise, il faut s’attendre d’abord à une poussée de l’extrême droite dans toute l’Europe, comme dans les années 30, avant qu’émerge une gauche apportant des réponses à la nature de la crise.

On en est loin, mais, signe encourageant : la poussée impressionnante des Verts-europe-écologistes. Avec 27 élus pour 11 sortants, ils doublent leur nombre total de conseillers généraux. Ce qui n’était que présence anecdotique, due le plus souvent à un accord avec le PS, entre maintenant dans le champ des possibles. Pas de beaucoup, évidemment : le système de scrutin majoritaire reste un couperet. Mais, engagés par exemple dans 30 duels avec le PS au second tour, les écologistes en ont gagné 10.

Le résultat est moins probant dans les 7 duels avec le PCF. D’abord parce que l’implantation PCF est très concentrée et donc plus difficile à faire évoluer, ensuite parce que la poussée des écologistes est accompagnée d‘une poussée de moindre ampleur du Front de Gauche. La seule victoire EELV/PCF (par forfait de celui-ci) est cependant intéressante : il s’agit de Daniel Breuiller, maire d’Arcueil, qui, venu du communisme, fut élu en tant que "Entente citoyenne" et se représentait en tant qu’écologiste : il obtient une réélection triomphale. Victoire personnelle, certes, mais qui montre que son électorat accompagne son évolution « du rouge au vert ».

Cette victoire doit avoir pour Daniel un goût un peu amer : le PCF prend prétexte de la décision d’EELV de se maintenir au second tour en cas d’absence de la droite… pour débarquer les deux conseillers généraux EELV de l’exécutif du Val de Marne. Prétexte dérisoire : dans 17 cas le Front de Gauche s’est lui aussi maintenu en 2e position, et a même battu ainsi une écologiste à Montreuil ! En réalité , il s’agit d’un crispation sectaire, « néo-marchaisienne », et d’une sanction contre deux conseillers généraux (Daniel et Jacques Perreux, ancien directeur de campagne de José Bové) passés du rouge e au vert. Précédent dangereux ? Voir à ce sujet ma discussion avec un maire adjoint communiste, S. Coloneaux, sur le forum d’un précédent billet, ainsi que les déclarations publiques de Daniel Breuiller et de Jacques Perreux

En somme, du point de vue du résultat final, la structure des gauches en France s’est légèrement déplacée au détriment du PS et au profit de ses alliés plus « radicaux » (y compris les radicaux de gauche J ) . Mais il faut relativiser : aujourd’hui, l’électeur de gauche moyen, celui qui vote PS par pragmatisme, ne se déplace plus pour une simple cantonale.

D’un autre côté, cette comptabilité en terme de « victoires » est trompeuse, toujours à cause du scrutin majoritaire. La poussée écologiste sous–jacente est bien plus considérable, mais vient mourir vers les 40% au second tour. Ce qui est extrêmement positif , c’est que partout des candidat-e-s écologistes, dans des cantons où l’on n’avait jamais mis les pieds, obtiennent un premier score à 10%, des cantons où l’on faisait 3% passent à 18 %, etc. Il y a eu un déclic, et une partie de l’opinion a compris que la conversion verte était urgente et que certains de ses leviers se trouvaient dans les Conseils généraux. C’est sur ce thème que j’ai fait campagne dans toute la France.

Malheureusement, cette campagne n’a pas été orchestrée nationalement du point de vue thématique. Plus ennuyeux encore, la direction nationale, sans doute intimidée par les accusations d’opportunisme, a donné le 15 mars la consigne incompréhensible de ne pas mobiliser sur l’accident de Fukushima autrement que par des minutes de silence, et de découpler la campagne cantonale des enjeux de l’arrêt du nucléaire (« il n’est pour l’heure plus temps de parler des affaires intérieures françaises du tout. ») . Pendant ce temps, les Verts Allemands emportaient sur ce thème, et en organisant des manifestations, le land de Bade-Wurtenberg…

Il faut reconnaître que les journalistes eux-mêmes faisaient tout pour interdire de parler de Fukushima en liaison avec la conversion verte et les missions des conseils généraux. J’ai moi-même été interpellé de cette manière… par les étudiants en journalisme de Science-Po ! La France a encore beaucoup de chemin à faire pour lever le tabou du nucléaire.

Rare exception : Télérama a consacré un dossier au sujet, nous reprochant implicitement d’avoir renoncé à exiger de la part de nos partenaires une sortie du nucléaire. Pour avoir fait partie de l’équipe de négociateurs de 1997, je nuancerais. Oui, pour obtenir un accord, et compte tenu de l’état de l’opinion publique où nous étions alors minoritaires, nous avons renoncé à demander la sortie immédiate du nucléaire. Nous avons demandé, obtenu, et réalisé sous Jospin : d’une part l’arrêt de la construction de toute nouvelle centrale (dont une aux portes de Nantes !), d’autre part la fermeture de la plus dangereuse, Superphénix. Ce compromis m’a laissé une forte dose d’angoisse : certes en la matière il aurait été irresponsable de refuser ces avancées au nom du « tout ou rien », mais cela impliquait qu’en cas d’accident je serais parmi les responsables. Ambiguïté de la notion de « responsabilité » en politique ! Je pense que nous devrons négocier avec nos parteniares pour 2012 un accord de même structure, mais plus exigeant dans l’arrêt immédiat des centrales dangereuses, selon les enseignements de Fukushima.

Bref, nous avons progressé sans effet Fukushima… Mais il n’y avait pas grand chose à espérer. D’autant que nos propres sympathisants ne se déplaçaient même pas pour une élection au nom abscons pour une institution promise à l’extinction dans 3 ans.

A Villejuif-Ouest, après le « lâchage » par les socialistes, nous avons pourtant essayé de maintenir le débat sur les contenus du nouveau modèle de développement face à la crise, distribuant 11000 tracts en quatre jours. En face, l’union de la vieille gauche reconstituée s’en tenait à l’accusation de « violer la discipline républicaine » selon laquelle, en l’absence de candidat de droite, le parti progressiste arrivé second au premier tour devait se retirer !

Nous avons finalement obtenu, seuls, 38%. Ce n’était pas ce que nous voulions quand nous avons conclu un accord avec le PS, mais à l’échelle de l’histoire des écologistes à Villejuif, c’est un considérable succès, que j’analyse ici.

Quant à l’application de la « discipline républicaine en l’absence de droite », nous avons ete gâtés dans notre coin. Par une suite de pressions du PCF, du PS, et de la secrétaire nationale des Verts (que j’avais racontée ici), elle s’est appliquée dans les 3 autres cantons de la 11è circonscription du Val de Marne. Electrices et électeurs n’avaient donc plus qu’un seul bulletin à l’entrée du bureau de vote ! Résultat garanti : nouvelle progression de l’abstention, avec 25 % de nuls à Villejuif-Est et à Arcueil (où le PCF, après s’être retiré… appelait à l’abstention !), 28,24 % à Cachan… sans compter 2,8 % de malins qui ont déposé dans l’urne le bulletin du candidat EELV, bulletin considéré comme valable !

J’ai voté à Villejuif-Est où le retrait du PS laissait le PCF seul en lice. Devant moi, une dame d’un certain age prend le bulletin communiste et spontanément tend la main vers le tas de feuilles blanches des administratifs. « Non madame, c’est à nous ! ». Un monsieur s’insurge quand on lui tend l’enveloppe et le bulletin : « Mais je croyais qu’on n’avait pas le droit de ne prendre qu’un seul bulletin avant de rentrer dans l’isoloir ! ». Les administratifs, excédés, sont obligés d’expliquer comment voter nul : « Mais vous n’avez qu’à ne pas mettre le bulletin dans l’enveloppe ! »… Ce vote à bulletin unique est une insulte à la démocratie, dont les responsables ne mesurent peut-être pas à quel point il accélère le discrédit de la politique.

***

Bon, il n’y avait pas que les élections et Fukushima. Il y avait les révolutions démocratiques arabes (je précise que ce que je critique dans l’intervention onusienne en Libye, c’est son retard). Et puis la nuit, après la campagne, je travaillais au projet de EELV : un texte martyre sur la culture, un autre sur les rapports Nord-Suds, un autre sur la politique écologiste du travail

Mais le plus agréable fut la préparation du lancement de mon premier roman, Les fantômes de l’Internet. En librairie le 7 avril !



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