"Une récupération verte et solidaire"
par Alain Lipietz

samedi 11 avril 2009

Cette semaine, assemblée générale du Parlement euro-latino-américain à Madrid. Puis diverses interventions écologistes et européennes en France. C’est l’occasion pour moi d’exploiter à fond le communiqué du G-20 de la semaine précédente, qui indique comme feuille de route pour sortir de la crise une “ inclusive, green, and sustainable recovery”. C’est-à-dire « une récupération verte , soutenable et solidaire ».

G-20

La semaine dernière, dans le train pour Vannes avec Yannick Jadot, on avait un peu discuté des réactions divergentes des Verts et des associations écologistes (et du Canard enchaîné !) à propos du G-20.

Pour les premiers : « pas mal », pour les seconds : « du pipeau ». En fait, ça dépend de quel point de vue on se place, et de ce qu’on attendait de ce G-20.

En réalité, le G-20 a essentiellement cherché à solder la crise financière de l’été 2008, dont le symbole est la faillite de Lehman Brothers. À l’époque, je n’avais pas trop détaillé (c’était le début de l’agonie de Francine), mais j’y étais revenu dans des articles et j’y reviens plus longuement dans mon livre à paraître incessamment (Face à la crise, l’urgence écologiste, aux éditions Textuel).

Schématiquement : la crise écologique et sociale qui s’ouvre en 2007 débouche à l’été 2008 sur une crise financière. Les pauvres ne peuvent plus payer, leurs usuriers font faillite, entrainant avec eux banques et compagnies d’assurance. En septembre 2008, les Etats, des deux côtés de l’Atlantique, étendent massivement leurs garanties sur les banques, mais sont parfois entrainés dans leurs débâcles. C’est le cas successivement de l’Islande (hors de l’Union européenne), de la Hongrie (dans l’Union européenne mais hors de l’euro), et bientôt de l’Irlande (à l’intérieur de l’euro). Qui va donc garantir les Etats ?

L’Union européenne est réticente à assumer seule la garantie de la totalité des Etats européens, d’autant que ceux-ci cotisent par ailleurs au Fond monétaire international (FMI). D’où le principal résultat du G-20, et le seul opérationnel : le triplement des réserves du FMI, et l’extension de son droit à émettre sa monnaie internationale, les « droits de tirage spéciaux (DTS) ».

Au-delà de cette décision (à la fois sage, nécessaire, et, on le verra, dessinant un avenir possible), il n’y a pratiquement rien d’autre dans les décisions du G-20 que des déclarations d’intentions, mais elles sont également intéressantes :

a) Sur la moralisation du capitalisme financier, et notamment la lutte conte les paradis fiscaux, on a beaucoup ironisé, avec raison. Sont inscrits sur une liste noire les rares pays (Uruguay) qui avaient oublié de promettre qu’ils coopéreraient ! Et sont inscrits sur une liste blanche des pays dont on sait très bien qu’ils ont des paradis fiscaux, comme les Etats-Unis (certains petits Etats) ou la Grande-Bretagne (la City, Jersey et Guernesey). C’est donc le triomphe de l’hypocrisie.

Cela dit, l’hypocrisie est l’hommage du vice à la vertu, et il est important que la totalité des puissances traditionnelles ou émergentes proclament la nouvelle vertu, la chasse aux paradis fiscaux. Ce n’est pas seulement une question de morale. Tous les pays savent que d’ici deux ou trois ans il faudra commencer à rembourser ce qu’ils ont emprunté pour soutenir leurs banques, et à ce moment-là, ils auront besoin de recettes fiscales…

b) Quand il s’agira de rembourser, quelle serra la monnaie universellement acceptée ? Le plus gros prêteur du monde est actuellement la Chine. Elle est gavée de dollars, mais elle sait que le dollar vaudra de moins en moins, du fait de l’abyssal déficit du trésor et du commerce extérieur des Etats-Unis. La Chine cherche donc à remplacer le dollar par autre chose : une monnaie internationale. Elle a lancé, à l’occasion du G-20, sa première offensive, qui a été évidemment contenue sans difficulté par les Etats-Unis d’Obama. Pourtant, la monnaie internationale refait son apparition, avec le droit pour le FMI d’augmenter l’émission de DTS. C’est la solution que j’avais proposée dès 1983, lors de la grande crise précédente , pour effacer la dette du tiers monde sans mettre les prêteurs en faillite… Mais aujourd’hui, il va falloir surtout effacer la dette des Etats-Unis !

c) Obama voulait également que soit organisé un plan de relance mondiale. Il n’a pas obtenu gain de cause, mais il en a au moins fait définir les axes : « a green and inclusive recovery », une récupération (et pas forcément une relance et encore moins une croissance) verte et solidaire. C’est-à-dire ce que aussi bien les Verts que mes livres, depuis un quart de siècle, n’ont pas arrêté de répéter…

Qui aurait pu penser, il y a seulement 1 an, que toutes les puissances du monde feraient leur le programme économique des Verts ? Il y a quelques semaines, mon éditrice (celle de mon prochain livre) m’avait proposé comme titre « Le triomphe de l’écologie politique », et j’avais refusé car d’une part je n’en étais pas sûr, et deuxièmement j’avais peur d’être à nouveau accusé d’arrogance… Aujourd’hui, à tous ceux qui ironisent sur la compétence des Verts à la veille des élections européennes, il suffit de répondre en citant le G-20 !

++++Eurolat

De lundi à mercredi, assemblée plénière de l’Assemblée euro-latino-américaine, Eurolat, à Madrid.

Je présente le rapport sur Commerce et changement climatique rédigé avec mon collègue ALDE Gianluca Susta (de la « Marguerite » italienne, le parti de Romano Prodi, c’est-à-dire nettement à gauche du Modem français). Il reprend largement mon rapport de même titre au Parlement européen. Nous avions pris soin d’accepter tous les amendements (plutôt de détail) des autres députés. Du coup, il est adopté sans coup férir à l’unanimité. Anecdotique ? pas complètement. Ce rapport rappelle en effet que, selon le GIEC (le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat), les pays développés doivent diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre de 25 à 40% d’ici 2020. Or, la capitulation de Sarkozy-Merkel devant les lobbies en décembre dernier a abaissé l’objectif européen à 20%... Et les députés UMP, socialistes et libéraux-démocrates avaient approuvé ! Aujourd’hui, ils reviennent, verbalement, à un objectif beaucoup plus ambitieux et réaliste.

Deuxième bataille intéressante : sur l’eau. Le rapport de mon amie Irena Belohorska, députée indépendante de Slovaquie, est approuvé après une bataille incroyablement compliquée à propos du mot « universel », auquel les socialistes semblaient tenir. Or, les Sud-américains ne veulent absolument pas d’un « droit universel de l’accès à l’eau » ! Après m’être demandé s’il s’agissait d’un problème entre le français, l’espagnol et le portugais, je finis par me rendre compte que le mot universel n’a pas le même sens en droit interne et en droit international. Quand on dit « le droit de vote est universel », cela veut dire que tous les Français votent en France, mais pas que les Allemands votent pour les affaires des Français. En revanche, quand on parle de la « compétence universelle » d’un tribunal en matière de crime contre l’Humanité, cela veut bien dire que les Anglais ou les Belges ont le droit d’arrêter et de juger Pinochet. Si l’on ne précise pas le sens des mots, le droit universel à l’eau signifie que tout pays a des droits sur l’Amazone ! Je propose donc de remplacer les mots par leur définition, ce qui débloque la situation. On remplace « droit universel à l’eau » par « droit fondamental pour la vie humaine à l’accès à l’eau ».

Troisième bataille intéressante : la motion d’urgence sur la crise mondiale de Manuel Antonio Dos Santos. Elles est déjà plutôt bonne, mais très orientée « finance » et pas très radicale. Cette fois, nous construisons en 24 heures une alliance avec les communistes et les députés progressistes d’Amérique du sud. Pas mal de nos amendements passent. Et notamment la prohibition des paradis fiscaux.

En marge de ces batailles, je me mets d’accord avec les présidents ou présidentes des Parlements latino-américains et Mercosur, et avec le représentant spécial de Correa (président de l’Équateur et actuellement président de la Communauté andine), pour écrire une lettre collective à Barroso à propos de la crise des négociations de l’Europe avec les sous-régions d’Amérique latine, due à la ligne ultra dure des négociateurs commerciaux européens.

++++Climat

Mercredi soir, en rentrant de Madrid, débat avec Jacques Toubon à la Maison de l’Europe, à Paris, dans un bel hôtel du Marais.

Evidemment, nos avis divergent totalement sur le compromis de décembre, où les gouvernements européens ont décidé de ne plus viser -30% de gaz à effet de serre d’ici 2020, comme ils l’avaient promis, mais seulement -20%. Pour lui, c’est un grand pas en avant, décidé sagement par Sarkozy, qui a voulu sagement "associer tout le monde" en choisissant la règle de l’unanimité des gouvernements (ce qui n’empêche pas Toubon, comme un jeune homme du public le lui fera remarquer ironiquement, d’être pour le traité de Lisbonne, qui veut généraliser le vote à la majorité en co-décision avec le parlement).

Pour moi, ce compromis basé sur la dictature de l’unanimité et donc sur le droit de veto du gouvernement le plus anti-écolo, en l’occurrence la Pologne, ne pouvait aboutir qu’à cette véritable trahison des engagements européens, et en fait au choix (selon les estimations du GIEC), d’une dérive climatique d’au moins 3 ou 4 degrés centigrades, avec ses conséquences apocalyptiques. Mais comme je ne veux pas désespérer l’assistance, je souligne que les dés roulent encore et leur signale qu’à Madrid, les mêmes députés UMP, socialistes et autres viennent de revoter sans état d’âme pour une réduction des gaz à effet de serre entre - 25 % et -40% d’ici 2020.

La réponse de Jacques Toubon se veut d’une realpolitik imparable : « Je suis en général pour le vote à la majorité, mais là, il fallait l’unanimité pour que chaque gouvernement se sente engagé. Et tu peux, cher Alain, te réjouir de ce que les députés, y compris UMP, votent maintenant à l’Assemblée parlementaire Eurolat pour « -25 à -40% », mais tu sais bien que s’il fallait revoter pour de vrai une directive, ils revoteraient pour -20% ».

Le mérite de Jacques Toubon, c’est qu’il exprime en termes parfaitement clairs les enjeux de la prochaine élection européenne. Car il a tout à fait raison. D’abord, l’Europe actuelle (celle de Nice) ne prend d’autres décisions que celle qui mettent les gouvernements "dans le coup" dans l’état où ils sont. Ce n’est pas une Europe capable de décider collectivement en prenant des mesures compensatrice pour les pays qui auraient le plus de mal à suivre la décision majoritaire commune. Et par ailleurs, il est parfaitement exact que les députés PS, UMP et Modem ne votent de bonnes intentions écologistes que lorsqu’elles ne les engagent à rien. C’est ce que j’ai fait remarquer à de nombreuses reprises sur ce blog : « Le Parlement a bon cœur, sauf quand il prend une décision législative ».

Autrement dit, chers amis lecteurs, il ne sert rigoureusement à rien de voter pour l’UMP, le PS ou le Modem : ce sont des partis que feront de belles déclarations quand elles n’auront aucun poids , mais qui vous claqueront dans les doigts quand il faudra prendre des décisions conformes à ce que chacun reconnaît aujourd’hui comme l’intérêt absolu de la planète.

++++WWF

Jeudi après midi, conférence de presse du WWF sur le rapport de notre collègue Verte britannique Caroline Lucas, à propos d’un projet de directive visant à rendre obligatoire le respect par l’Europe de la légalité chez les exportateurs de bois tropicaux.

Sur le fond, c’est un problème dont j’ai parlé plusieurs fois sur ce blog, celui du programme FLEGT (Forest Law Enforcement, Governance and Trade) qui veut dire « mise en oeuvre des lois sur les forêts dans le commerce ». Il s’agissait jusqu’ici de propositions d’accords volontaires, de la part de l’Union européenne, avec les pays exportateurs de bois et les entreprises, pour qu’au moins soit respectée la légalité en matière d’exploitation forestière. La légalité, et pas forcément la "durabilité" : il ne s’agit pas d’imposer aux pays exportateurs d’adopter une législation conforme à une exploitation soutenable de leurs forêts ! Mais il ne s’agissait pas non plus, de la part de l’Europe, de rendre obligatoire le respect de cette légalité. Quand les douaniers savent qu’arrive dans un port un container de T-shirts marqués d’un faux petit crocodile d’une marque célèbre, ils ont le droit de les saisir ; quand ils apprennent l’arrivée d’un bateau entier chargé de billes de bois coupées illégalement dans un parc naturel de République démocratique du Congo, ils n’ont pas le droit de le saisir ! Vous trouverez plus de détails sur le site de WWF, et aussi dans l’excellent "brief" que m’avait rédigé Anne castelain, de Sinople, sur l’état de la question.

Pendant des années en tant que président de l’intergroupe Commerce et développement soutenable, je me suis battu pour durcir l’accord FLEGT. Le Parlement avait fini par user de son droit d’initiative législative en demandant à la Commission de faire une proposition de directive. La Commission a rendu sa copie en 2008 : au lieu de donner aux douaniers européens le droit de saisir les bois illégaux, elle se contente de demander aux entreprises qui importent du bois en Europe d’avoir "raisonnablement enquêté" sur la légalité de ce bois ! La rapporteuse Caroline Lucas a réussi à faire voter en commission Environnement un durcissement considérable du projet de directive, qui va effectivement jusqu’au droit de saisie des bois illégaux, et étend la responsabilité, non seulement aux importateurs, mais aux entreprises qui achètent aux importateurs (c’est à dire qu’elle introduit le délit de recel de contrebande de bois illégaux).

On voit comment fonctionne le droit d’initiative législative du Parlement : certes, c’est la Commission qui introduit un projet de texte à la demande du Parlement, mais le Parlement peut largement l’amender quand la Commission n’a pas fait ce qui était demandé.

Le Parlement doit voter le 23 avril, et c’est pourquoi le WWF a convoqué cette conférence de presse. Ce qui est extrêmement intéressant sur la forme, c’est qu’il m’ait invité à participer à cette conférence. On sent les premiers effets de l’initiative du rassemblement Europe-Écologie : alors même que le WWF n’a pas de tête de liste dans Europe-Écologie (contrairement à France Nature Environnement, Greenpeace, la Fondation Hulot et la Confédération paysanne), il trouve désormais tout à fait naturel d’inviter un eurodéputé Vert à la tribune de sa conférence de presse !

On trouvera une video de cette conférence de presse sur le serveur vidéo wat.tv et sur Le grigri international, réalisée par Pascal Quehen

++++Green formation

Après le WWF, je fonce vers Cergy-Pontoise pour un débat d’Europe-Écologie.

J’apprends, en écoutant la radio en route, que la loi Hadopi vient de tomber en deuxième lecture ! Les responsables de l’UMP se défendent comme des beaux diables en disant que c’est une ruse de la gauche qui avait caché ses députés... L’avenir dira si la droite est vraiment capable de se mobiliser pour faire voter une nouvelle version de la loi Hadopi, ou si la mobilisation impulsée notamment par La Quadrature du Net et Libre Accès va se développer. En tout cas, mon petit roman policier anti-Hadopi, Le Fantôme de l’Internet, peut encore servir !

A Cergy-Pontoise, la salle se laisse assez vite convaincre que seuls les Verts sont capables de mettre en œuvre la Green and inclusive recovery du G-20. Le débat bascule donc presque entièrement… sur la formation professionnelle ! Saurons-nous former assez vite la main d’œuvre pour le plein emploi que promet la révolution verte ?

Justement le lendemain, je suis invité à faire deux heures de conférence sur l’Europe devant les classes terminales du lycée Darius Milhaud (lycée commun à Villejuif et Kremlin-Bicêtre). La proviseure m’explique que ce lycée a eu tellement mauvaise réputation que les élèves y sont dévalorisés à leurs propres yeux, bien qu’elle s’acharne à construire des filières professionnalisantes… dont une pour laquelle se bat particulièrement l’écologie politique : le travail social d’aide à la personne ! Elle est très contente qu’un eurodéputé vienne faire une conférence dans le lycée, ce qui selon elle contribue à reconstruire l’auto-estime des élèves.

La discussion avec les élèves des trois classes de terminales est en effet chaleureuse et sympathique. Comme c’est souvent le cas avec des lycéens, beaucoup de questions portent sur leurs problèmes de jeunes issus de l’immigration. Par exemple : « Quand est-ce que la Turquie rentrera dans l’Europe ? »…



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