Colombie. Autos. Ultra-gauche. PS
par Alain Lipietz

dimanche 23 novembre 2008

Du point de vue législatif, je suis moins impliqué dans la seconde partie de la session à Strasbourg. Je suis plutôt bouffé par mon travail à la présidence de la délégation pour la Communauté andine, que l’attitude de la Commission européenne en en train de mettre en crise. J’accepte aussi 4 interviews ou débats télé (essentiellement pour France 24 et la BBC) sur des sujets divers.

CAN

Comme je l’ai anticipé depuis longtemps, l’alliance de la Direction Générale du Commerce international de la Commission européenne et de la Colombie et du Pérou pour faire sauter la négociation d’un accord de bloc à bloc et sur trois piliers entre l’Union européenne et la Communauté andine (CAN) a marqué de nouveaux points ce mois-ci. Même la Direction générale des Relations extérieures n’a pas pu éviter que sa propre Commissaire, Madame Ferrero-Waldner, semble-t-il à l’instigation du Président de la Commission, JM Barroso, accepte d’en passer par là.

En effet, suite aux pressions répétées de la Colombie et du Pérou sur Barroso et Ferrero-Waldner, celle-ci vient de demander au Conseil européen de changer son mandat de négociation : elle pourrait négocier le volet commercial de l’accord d’association avec les seuls Colombie et Pérou. Ce qui revient à fracasser le peu qui subsistait de la Communauté andine, tout cela dans l’intérêt de… de qui au juste ?

Car, outre que ce serait une pure trahison de tout ce que l’Union européenne a jusqu’ici proclamé à l’égard de l’Amérique du Sud, j’avoue que je ne vois absolument pas l’intérêt d’une telle manoeuvre.

Coté exportateurs, cela n’intéresse en Europe que les gros producteurs de service public de l’eau comme Suez ou Veolia. Or les luttes qui ont lieu en Bolivie contre les services de l’eau fournis par Suez ou Betchel ont été menées par la population sous des gouvernements ultra-libéraux ! Les gouvernements peuvent toujours signer des accords de libre-échange sur les services : si la population n’en veut pas, les monopoles de l’eau doivent replier leurs bagages. Il en sera de même en Colombie et au Pérou.

Coté importations, la situation est encore plus bouffonne. Tout le monde sait que le seul problème important entre la Communauté européenne et la Communauté andine, c’est la question des bananes. Or, les bananes-dollar (c’est à dire produites ni dans les régions ultra-périphériques de l’Europe, ni dans les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique), viennent pour moitié de Colombie et pour moitié de l’Équateur, lesquels font front commun à l’OMC pour élargir leur accès à l’Europe (et viennent encore de gagner, contre les « privilèges » des pays ACP, bien plus pauvres qu’eux). À quoi cela rime-t-il de négocier avec la Colombie et pas avec l’Équateur ? Et qu’accepteront « d’ouvrir » l’Espagne et la France aux bananes colombiennes, qu’ils n’ouvriraient pas aux équatoriennes ? Et pourquoi plutôt les bananes colombiennes, puant les crimes des narco-paramilitaires, plutot que les équatoriennes, puant « seulement » la surexploitation des enfants ?

Car évidemment, le plus scandaleux, c’est que l’Europe s’apprêterait à signer un accord commercial avec la Colombie en ignorant les problèmes de Droits de l’Homme, alors que justement les États-unis remettent en question l’accord de libre-échange signé avec la Colombie... à cause des ces problèmes de Doits de l’Homme ! L’Europe, qui jusqu’ici pouvait se targuer à bon compte d’être la « gentille » face aux gros méchants Américains dirigés par les Bush, doit quand même se rendre compte qu’elle a maintenant affaire à un pays gouverné par des démocrates et présidé par un métis d’origine kenyane, adulé par les Noirs du monde entier ! Elle doit désormais faire la preuve, et concrètement, qu’elle est « plus gentille » que les États-unis. J’écris dans ce sens une lettre respectueuse mais argumentée au président Barroso.

Mais je n’en ai pas fini avec la CAN. Le vice-président colombien, Francisco Santos, débarque à Strasbourg pour présenter à la commission des Affaires extérieures et à ma délégation son programme sur la « responsabilité partagée dans la lutte face à la drogue ». Il nous inflige d’abord un cours en diapositives d’où il résulte que les méchants cultivateurs de coca soutenus par les guérilleros détruisent la forêt et empêchent les oiseaux de vivre.

Il se heurte très vite aux critiques de la totalité des députés, toutes tendances confondues, qui connaissent beaucoup mieux la situation colombienne que ce conte à l’eau de rose.

Pour ma part, je commence par lui rappeler que l’Union européenne est tout à fait prête à reconnaître la responsabilité des consommateurs dans le développement des trafics de drogues internationaux, et qu’il peut être utile, en effet, de convaincre de jeunes lycéens fortunés des ravages dans l’environnement planétaire que provoque la culture de la coca comme ingrédient (parmi d’autres) de la cocaïne (la « drogue-champagne ») .

Cela dit, je lui fait remarquer que son PowerPoint, il nous l’avait déjà projeté à Bogota, c’était alors un co-projet avec l’UNODC (l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime), et que le sigle de l’UNODC apparaît encore dans les brochures qu’il nous distribue... mais plus dans le Powerpoint qu’il vient de nous présenter ! C’est que l’UNODC, dans son dernier rapport, a démontré que, malgré les fumigations colombiennes au glyphosate, la culture de coca croissait en Colombie, que la déforestation qu’elle provoquait était un facteur relativement mineur (18% du mitage des parcs naturels), même par rapport à la déforestation provoquée par les défoliants anti-coca. Du coup, le gouvernement colombien a expulsé l’UNODC !

Enfin, j’ajoute que notre ennemi commun, ce sont les trafiquants, et que les trafiquants, ce sont pour la grande majorité, en Colombie, les paramilitaires, et secondairement les guérilleros des FARC. Or, expliqué-je, de beaucoup plus gros problèmes de Droits de l’Homme ne manqueront pas d’être soulevés en Europe, y compris par les lycéens. D’une part, la fausse démobilisation des paramilitaires, qui recrutent des adolescents afin qu’ils se « démobilisent » pour toucher des aides (y compris financées par l’Union européenne), qu’ils reversent aux paramilitaires. Et symétriquement, les forces armées, elles aussi pour toucher des primes, abattent des SDF dans les rues ou des paysans dans la campagne et les présentent ensuite au gouvernement comme des guérilleros tués au combat (ce qu’on appelle en Colombie le scandale des « faux positifs »).

Santos ne nie rien, présente les excuses de son gouvernement, souligne que le gouvernement a commencé à combattre ces excès. Il se rend bien compte que les positions de la Colombie dans la lutte conte la drogue ne sont guère partagées, y compris dans la droite du Parlement. Elles ne sont pas partagées non plus dans le reste de la CAN, y compris au Pérou.

++++Autos

La semaine est très agitée par le débat sur les aides au secteur automobile en crise. Je participe à un débat télévisé avec un représentant du lobby automobile et un expert. Le journaliste commence de façon très provocatrice : « Faut-il aider ces entreprises à cause de l’emploi qu’elles représentent ? Ou faut-il laisser mourir ces mastodontes qui n’ont pas su s’adapter ? »

Je réponds : « Surtout pas les laisser mourir, car si elles n’ont pas su s’adapter à des produits correspondant à un développement soutenable, le savoir-faire de leurs travailleurs est une chose irremplaçable. Regardez le documentaire américain The war à propos de l’entrée en guerre des USA en 41-42. En quelques semaines, les usines Ford n’ont plus produit que des avions, et travaillent 24h sur 24 et 7 jours sur 7 ! »

Mes interlocuteurs, très intéressés, ne font que des objections polies :

- Oui, mais alors Ford est devenu un simple sous-traitant de Boeing.

- C’est différent pour les firmes automobiles d’aujourd’hui, puisqu’elles produisent déjà des autobus. Avec une mobilisation générale de la demande publique pour les transports en commun, elles pourront se reconvertir entièrement dans les bus et les véhicules propres. Moi, je suis pour leur prêter de l’argent à ces deux conditions.

- D’accord pour les transports en commun, mais les collectivités locales sont elles aussi en crise financière !

- Justement, il faut que la Banque européenne d’investissement, en liaison avec la Banque centrale, émette pour les collectivités locales des crédits à taux-zéro pour monter très rapidement des réseaux de transports en commun. Ces crédits devraient pouvoir être remboursés par les gains faits sur les marchés de droits à polluer, mais pour cela, il faut que les quotas distribués dans les prochaines années soient fermement restreints, de façon à ce que leur prix soit suffisamment élevés pour garantir la possibilité de rembourser les emprunts...

Je sens que de l’autre coté de la caméra (je suis en duplex aveugle), on m’approuve plutôt avec un vif intérêt. En fait, la révolution verte prônée par les Verts est la seule solution durable à la crise économique, exactement comme la révolution rooseveltienne et le fordisme étaient la seule solution durable à la crise de 1930. Reste à faire passer le message dans un monde où Sarkozy s’assoit sur les conclusions du Grenelle et où le PS a bien d’autres choses à faire.

++++Ultra-gauche

Un des débats auxquels je suis invité porte sur l’extrême gauche française. En fait, il n’aura aucun intérêt puisque j’y serai confronté à… un trotskiste lambertiste ! Pourtant, je m’étais préparé à répondre plutôt sur les sabotages de la soi-disant « ultragauche ». Ce qui présente deux aspects disjoints : que penser de ces sabotages ? doit-on penser que le « groupe de Tarnac » en soit coupable ?

Sur le premier point, soyons clairs, ces sabotages sont stupides mais ne sont pas du terrorisme. Détruire les caténaires des trains pour les empêcher de circuler, c’est empoisonner la vie de centaines de milliers d’usagers, c’est faire dépenser à la SNCF et Réseau Ferré de France de l’argent qu’il serait plus utile de dépenser pour de nouvelles lignes, c’est décourager les gens de prendre le train et valoriser l’avion et l’automobile, c’est à dire les moyens de transport les plus ani-écologistes, c’est donc un acte profondément anti-écologiste et stupide, mais ça n’a rien à voir avec le terrorisme. Le terrorisme tue des gens pour faire peur, par exemple à la gare d’Atocha en Espagne ou dans le RER parisien. Les « anti-caténaires » ne cherchent qu’à exaspérer les usagers. Leur attitude n’est pas différente de celle des syndicalistes qui déclarent une grève la veille des départs en vacances (et qui ont au moins l’excuse de la défense du droit de grève). Stupide, mais pas terroriste.

S’agissant du groupe de Tarnac, la question « coupable ou innocent » est un problème d’enquête judiciaire. Je sais bien que plusieurs membres du groupe interpellé sont des anciens de Chiche, une organisation de jeunesse autrefois associée aux Verts ; l’un d’eux a même été président de la fédération des Jeunes Verts Européens. On voit bien que leur activité à Tarnac était typiquement une activité de communauté au service du développement local, avec les moyens de l’économie sociale et solidaire que je ne peux qu’approuver à 100%. Mais je me refuse à employer des arguments de type « des gens comme eux ne peuvent pas avoir fait quelque chose comme ça ». D’abord, parce que je pense justement que « ça » n’était pas du terrorisme mais que, dans une logique devenue folle, la « révolution lente » chère à Chiche pouvait l’amener à lutter contre les trains allant trop vite ! Et parce que j’ai l’expérience de l’assassinat du préfet Érignac, où pendant des mois tous mes amis nationalistes ou autonomistes corses me juraient la main sur le coeur : « Un Corse n’aurait jamais pu tirer dans le dos d’un homme seul et désarmé, c’est un coup des services spéciaux français ! » La sottise est la chose du monde la mieux partagée, y compris en politique, y compris dans le mouvement écologiste.

Mais le problème est que jusqu’à présent l’enquête n’a donné aucune preuve convaincante d’un lien ente la communauté de Tarnac et les attentats contre les caténaires. Le groupe de Tarnac est présumé innocent, il doit être défendu comme tel.

++++PS

À part ça, comme tous les Verts, je ne peux retenir un sourire intérieur face au spectacle que donne le Parti socialiste. Sourire intérieur, hein ! En tant que Vert, tout ce qui ridiculise un parti allié, c’est pas bon contre Sarkozy, c’est pas bon pour nous. Mais sourire quand même ! Car que n’avait-on pas entendu lors de nos courtes victoires dans les référendums internes ! En 2001, je l’avais emporté sur Noël Mamère avec une parfaite netteté (à l’aune de la victoire de Martine Aubry), et sans les résultats de la Guadeloupe ! Et quand, 5 ans plus tard, l’écart entre Cochet et Voynet se retrouva dans l’épaisseur du trait, on revota tranquillement en faisant plus attention, sans que cela provoque chez nous des cris d’orfraie et menaces de procès.

De la même façon, ceux de nos votes où la majorité requise est de 60% avaient provoqué l’ironie du journal Le Monde, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive qu’il était lui-même, et comme la plupart des structures associatives, aussi régi par des majorités à 60%. Ce qui avait provoqué une crise du journal faute que Messieurs Colombani et Minc arrivent à franchir ce seuil !

D’une façon générale, quand il y a 100 raisons de voter pour l’un ou l’autre, ou plutôt contre l’un ou l’autre, la loi statistique de Poisson s’impose. On arrive à 50/50 et d’autant plus précisément que les électeurs sont nombreux. C’est la « loi des grands nombres », et c’est ce qui vient d’arriver au PS. Et la droite a tort de ricaner : le duel Sarkozy-de Villepin se poursuit encore à la Une des journaux, à coup de procès, d’accusations de coups tordus des RG ou des services secrets, on y parle de « pendre à un croc de boucher »…

Mais il ne faut pas se cacher que ce résultat marque tout de même une lourde défaite personnelle de Martine Aubry, dont les courants qui la soutenaient représentaient quelques jours auparavant 70% du PS. Quelles peuvent être les raisons de cet énorme recul ? D’abord probablement que, pas plus au PS que chez les Verts, les militants de base ne suivent les appareils de courant. Moi-même j’avais battu Noël Mamère en 2001 parce que je n’étais soutenu par aucun courant. Il y a à l’inverse un aspect populiste sud-américain (le rapport direct du leader aux masses) chez Ségolène, qui a pu effrayer ceux qui savent l’importance des structures intermédiaires.

Mais il y a peut-être une raison de fond, la seule qui oppose la coalition Martine à la coalition Ségolène. Non, ce ne sont pas les 35 heures, puisque le rapporteur des lois Aubry, Gaétan Gorce, soutient Ségolène. C’est tout simplement le Non au TCE et au traité de Lisbonne : Martine Aubry s’était alliée à tous les partisans d’en rester à Maastricht-Nice au moins pour un certain temps (de Laurent Fabius à Benoit Hamon,), alors que Ségolène affichait clairement son choix d’une Europe politique. Or, on sait que c’est la position de la majorité des socialistes, comme des Verts. Même chez les électeurs de Benoit Hamon, même chez des cadres de Fabius.


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