Comme d’habitude, vacances à Serre-Chevalier, puis saut de l’autre côté du col de Montgenèvre, vers la Toscane et l’Ombrie. Vient un moment où il faut revisiter les fondamentaux....
À Serre-Chevalier, j’ai un peu délaissé mon site, quoique j’y aie déposé divers articles, un avec Francine sur Écologie et féminisme (à paraître dans Ecorev’), mon bilan d’eurodéputé pour l’année 2007-2008, la mise au net de ma conclusion du colloque « Sécurité collective et environnement », un article sur Pauvreté, crise du climat et agrocarburants avec Natalie (à paraître dans Multitudes), une réflexion sur la stratégie des Verts pour les journée d’été de Toulouse et... une réflexion « à propos de Booz endormi », morceau de mon étude en cours sur le Sonnet en Or-yx de Mallarmé, que j’avais besoin de mettre à la disposition d’une certaine catégorie de lecteurs-trices. C’est qu’en réalité, j’ai beaucoup plus travaillé sur le site littéraire In Libro Veritas !
La Toscane et l’Ombrie rassemblent la majorité du « Patrimoine de l’Humanité » de l’Unesco en Italie, laquelle rassemble la majorité des sites Unesco du monde (tiens, au fait, les fortifications de Vauban, dont celles de Briançon, viennent de décrocher elles aussi la médaille !). Et, Francine et moi, nous n’y étions pas revenus depuis 31 ans, alors « campeurs sauvages », sauf quelques visites-éclair pour des colloques. C’est toujours aussi beau, sans doute l’endroit le plus beau d’Europe.
Entre temps, j’avais découvert, grâce à Danièle Leborgne, la Troisième Italie : c’était là, ça y est toujours malgré la crise italienne, et en fait, ça y a toujours été.
La Troisième Italie se caractérise par des « districts industriels », réseaux de PME très spécialisées, fortement enracinés dans la campagne environnante. Vous sortez d’une ville médiévale couverte de tours remplies de tableaux de maîtres du Moyen age ou de la Renaissance, à quelques kilomètres vous traversez une zone industrielle de petites entreprises dynamiques, et sur la route, dans cette campagne où, depuis les Étrusques, pas un mètre carré qui n’ait été labouré, planté de vignes ou d’oliviers, vous avez des panneaux indicateurs « passage éventuel d’animaux sauvages »...
Bien sûr, la Troisième Italie n’a pas échappé à la berlusconnerie. Même à Sienne, la plus belle ville du monde, le plastique fluo fait son apparition, dans les ruelles les rumeurs de disco ont remplacé la musique classique. Pourtant une ville comme Lucques offre typiquement l’exemple de la compétitivité par le « Up-grading » (c’est-à-dire le maintien de la compétitivité face aux pays à bas salaires grâce au progrès continu du savoir-faire technique et du stylisme). Dans cette ville, capitale européenne de la soie depuis le Moyen-âge, on erre entre les boutiques de confection les plus distinguées (et les plus chères). A côté, le boulevard Saint Germain ou la Rue du Bac ont l’air de centres commerciaux de province chinoise. Inutile de dire qu’on ne s’y déplace qu’à pied ou à vélo (jeunes, vieux, élégantes comprises).
Autre curiosité : non seulement les musées sont devenus partout très chers (le rationnement par l’argent ?), mais -sauf dans la plupart des églises, où sont très légitimement interdits le flash et le trépied- il est interdit de photographier les oeuvres d’art. Et des armées de « femmes soviétiques » (au sens d’Alexandre Zinoviev) y veillent, parfois plus nombreuses que les visiteurs. Ca m’en bouche un coin. Toutes ces oeuvres de l’Antiquité, du Trecento, du Quatrocento, du Cinquecento, sont depuis longtemps dans le domaine public et proclamées patrimoine commun de l’Humanité. Au nom de quoi un musée national, comme par exemple la Pinacothèque de Sienne, peut-il s’en adjuger la propriété de l’image ?
Réflexion qui nous introduit aux débats de la rentrée, tant au niveau du Parlement européen qu’à l’Assemblée nationale, sur « la propriété intellectuelle sur internet ».
A propos de la gratuité de la reproduction des oeuvres d’art... Je ne sais plus si je vous en ai déjà parlé ici, mais Francine qui, devant la succession des analyses pas très encourageantes, a enfin compris qu’elle n’était pas plus éternelle que vous et moi, et qui donnait, depuis près d’un demi siècle, à la demande, ses poèmes et nouvelles à des revues littéraires, s’est enfin décidée depuis un an, sur les vifs conseils de la fée Perline, à publier son oeuvre sur In Libro Veritas.
Qu’est ce qu’In Libro Veritas ? C’est un site de la famille du « libre » comme Wikipedia, mais en beaucoup plus petit et réservé à la production littéraire. Toutes les oeuvres déposées y sont en effet sous une forme quelconque de la licence Creative Commons, on y trouve en outre déjà plusieurs milliers d’oeuvres du domaine public. Le gourou du site, Mathieu Pasquini, s’est lancé dans 4 innovations en même temps :
– l’auto-publication sous licence libre,
– l’inter-activité de la création littéraire (puisque, suivant les commentaires que peuvent déposer les lecteurs, les auteur-es peuvent modifier leur oeuvre),
– la double publication (les oeuvres sont en même temps disponibles gratuitement sur écran, téléchargeables en .pdf, et payantes sous forme de livres),
– et la production de livres à flux tendu (c’est-à-dire que les livres ne sont imprimés qu’en toutes petites série au fur et à mesure des commandes. Si vous commandez un livre de Francine, soyez donc un peu patient, ça peut arriver le lendemain comme prendre quelques semaines, suivant l’état des commandes.)
Autant vous dire que pour tout ça on manque de bras bénévoles, n’hésitez pas à contacter le site même comme « petite main ».
Vous y trouverez également divers forums, portant aussi bien sur les problèmes de la rédaction ou de la critique, que sur la stratégie du « libre ». Car chez ILV, le gourou et certains des animateurs (je pense en particulier à Fredleborgne) sont extrêmement conscients de la nécessité de construire une large alliance du libre, y compris avec Wikipedia et les militants du logiciel libre. Comme je l’ai dit, on en reparlera à la rentrée : en France, c’est probablement Martine Billardqui mènera la bataille contre Albanel à l’Assemblée. Au Parlement européen, ce sera notre collaboratrice Laurence Van de Walle, « mère de la victoire » sur le brevet logiciel, qui devra déjouer les « cavaliers législatifs » que la droite essaie de faire passer dans le « paquet télécommunications », reprenant la mauvaise idée de la « riposte graduée »..
Bon, mais là, je voulais vous parler de l’oeuvre de Francine qui, en tant qu’auteur littéraire, signe Francine Ségeste. Simple : vous aller sur In Libro Veritas, vous tapez Ségeste dans le moteur de recherche, et vous avez tout. Ca comprend trois livres déjà publiés en version papier : un recueil de nouvelles Cité des solitudes, un récit autobiographique Mémoire de la mer, et un recueil de poèmes, Destin de sable, que vous trouverez découpé en 7 parties en accès libre sur le site. Vous y trouverez également les 5 premières nouvelles d’un prochain recueil Trames étranges. Les couvertures de Mémoire de la mer et de Destin de sable sont de Sasha Vidakovic, remarquable graphiste et auteur de relookage du petit panda de WWF et de sa nouvelle présentation graphique, la couverture de Cité des solitudes est d’un vert de Villejuif, lui même poète et photographe, Francis Valette.
Je ne suis évidemment pas objectif. Et en même temps, je suis super-élitiste, mes seuls travaux de critique littéraire portent sur la Phèdre de Racine, et sur un sonnet de Mallarmé. Très très très honnêtement, je place Francine, en tant que poétesse, à peu près au niveau de Paul Éluard. D’ailleurs, par le style en vers libres courts comme par la musicalité et la palette des images, le style Ségeste se place quelque part entre Éluard et Rimbaud.
Mémoire de la mer est en fait un récit sur le déclin intellectuel et l’agonie de sa propre mère. C’est une réflexion sur la mémoire, et en même temps une réflexion sur les rapports fille – mère. En ce siècle où le problème des rapports entre les adultes et leurs parents vieillissants va devenir primordial (j’y ai beaucoup pensé en écrivant mon rapport sur le Tiers-secteur), je pense que la lecture de ce livre est indispensable.
Les deux recueils de nouvelles sont, quant à eux, très différents l’un de l’autre. Celui qui est déjà sorti, Cité des solitudes, a pour unité de lieu nos villes crevant d’individualisme. Il commence par un petit conte presque pour enfants, et se termine par une sorte de poème en prose flamboyant « Viens te battre », qui se conclut par les mots terribles : « Il arrive que la voix manque ».
Le futur recueil Trames étranges est lui beaucoup plus complexe et j’ai mis beaucoup plus de temps à le comprendre. Mais lisez mes commentaires sur In Libro Veritas (mon « pseudo », évident, est Lancelot). Et rajoutez les vôtres, ces textes peuvent encore évoluer !
J’ai rencontré pendant les vacances une mienne parente, professeure de lettres dans le secondaire, qui projetait de faire travailler ses élèves sur Destin de sable. Cela me semble une excellente idée. Je crois que la poésie française traverse une véritable crise, au moins du point de vue de son audience, qui contraste avec l’âge d’or des années 1950-1960, et je crois que le système scolaire (et pas seulement le microsillon, Salut les copains, la musique yéyé !) porte une large part de responsabilité dans cet écroulement, qui n’a rien d’universel. À Medellin, capitale des paramilitaires colombiens, le festival de poésie rassemble chaque année 10 000 personnes sur un stade.
Quand j’étais jeune, on commençait avec Prévert. Yves Montand chantait Prévert, on récitait Prévert dans les patronages (communistes ou cathos), l’école primaire faisait apprendre du Prévert. Prévert, c’est du surréalisme soft, c’est assez facile à comprendre, ce n’est pas génial même si Démons et merveilles reste un des petits chef d’oeuvre du siècle passé. Et puis après, plus rien : dans le secondaire, on étudiait les auteurs jusqu’aux Symbolistes — et encore — même pas d’Apollinaire, et surtout pas d’Éluard. Alors, comme de grands poètes (Saint-John Perse, Édouard Glissant, et j’en vexe des dizaines en ne les citant pas) ont poursuivi sur la voie d’une poésie non métrique mais fortement prosodique, l’école ne nous y avait pas préparé du tout. La poésie moderne a donc rejoint le statut peu enviable de l’art plastique contemporain : un truc complètement élitiste (avec cet avantage toutefois qu’elle ne coûte rien).
Du point de vue de l’hermétisme (c’est-à-dire de la difficulté à comprendre), Ségeste se situe à mi-chemin entre Prévert et Éluard. Je suis sûr que des tas de profs pourront faire découvrir la poésie moderne à des élèves qui comprendront assez facilement ce que Ségeste « veut dire » pour avoir le temps d’étudier « comment elle le dit ».
Car comme disait le Maître (Mallarmé évidement), « on ne fait pas de la poésie avec des idées mais avec des mots ».
Au fait, les Jeux Olympiques ? Ben par solidarité avec les démocrates Chinois et Tibétains, je les boycotte, à mon grand regret. Je regarde quand même les résultats. En cet instant : Union Européenne, 62 médailles d’or, 190 médailles ; Chine, 43 ors, 76 médailles ; USA, 26 ors, 79 médailles. Bizarre, on ne trouve pas ces résultats dans les journaux français.