1er Mai. Verts mondiaux. Arrêt Laval.
par Alain Lipietz

lundi 5 mai 2008

La semaine dernière, vacances du Parlement, et aussi de chimio. Normalement, je devais être à Lima pour l’assemblée euro-latino-américaine, mais j’ai préfère rester avec Francine. Et pourtant, je ne peux échapper à un saut à Sao Paulo pour le congrès des Verts mondiaux.

1er Mai

Il n’y a pas foule à Paris : notre zone est en vacances. C’est pourtant un beau premier Mai.

Première « nouveauté », la très large unité syndicale. CGT (Thibault), CFDT (Chérèque) et UNSA sont en tête de cortège. Ce n’était pas arrivé depuis très longtemps, peut-être depuis le « recentrage » de la fin des années 70. Je me souviens qu’au début des années 70, quand s’était signée une plate-forme syndicale CGT-CFDT, l’extrême gauche (j’en étais !) avait dénoncé un virage à droite de la CFDT, alors très « soixante-huitarde ». Je suis sûr qu’aujourd’hui, beaucoup diront qu’en manifestant avec la CFDT, la direction Thibault de la Cgt manifeste son « recentrage » !

J’ai pourtant l’impression que, dans chaque pays européen, moins il y a de confédérations syndicales, plus il y a de syndiqués. La division syndicale explique le passage plus rapide en France que dans l’Europe continentale du « fordisme » au « néo-libéralisme ». Les grandes manoeuvres de regroupement syndical en cours, pour faire face à un changement des règles de représentativité qui seraient dorénavant basées sur les résultats aux élections professionnelles, me paraissent une excellente chose. Cela n’empêche absolument pas qu’il y ait des nuances politiques à l’intérieur de la même confédération.

Français, immigrés, Cgt-Cfdt-Unsa !

Deuxième surprise de ce défilé, l’énorme cortège « CGT-Droits devant !! » pour la régularisation du séjour des sans-papiers travaillant régulièrement (c’est-à-dire avec bulletin de paie, cotisations, impôts etc). Le mouvement de grève en cours sur ce thème, qui complète magnifiquement l’argumentation de type Réseau Enseignement Sans Frontière pour le droit de vivre en famille, est la grande bonne nouvelle de ce printemps.

Salariés sans-papiers
Pour les scolarisés sans-papiers

Que le patronat de l’hôtellerie, du nettoyage ou du bâtiment soutienne plus ou moins ne me fera pas changer d’avis. Ca montre le ridicule d’une stratégie de « l’immigration choisie » qui prendrait la forme d’un « brain-drain », d’un écrémage des cerveaux du Tiers-monde : les immigrés occupent potentiellement toute l’échelle des qualifications en France, et prioritairement les postes peu qualifiés « dont les Français ne veulent pas ». La régularisation des sans-papiers dans ces postes ne peut qu’améliorer à terme leur capacité de lutte et donc les conditions sociales pour tous, dans ces métiers… absolument pas exposés aux risques de délocalisation !.

++++Verts mondiaux

Les Verts tiennent leur congrès mondial à Sao Paulo. La dernière fois, c’était à Canberra, et Ingrid Bétancourt avait prononcé le discours de clôture ! Elle sera d’ailleurs proclamée présidente d’honneur des Verts mondiaux.

Comme je l’ai dit, je n’avait pas l’intention d’y aller compte tenu de la santé de Francine, mais les organisateurs ont absolument tenu à ma présence à la tribune d’une des plénières. Je fais donc un saut de 36 heures qui, décalage horaire aidant, me permet de passer une demi-journée au congrès.

La plénière à laquelle je participe porte sur la biodiversité. Elle est très colorée, met bien en relief d’une part l’unité entre la lutte pour la biodiversité et la lutte contre le changement climatique, d’autre part la similitude mondiale des luttes pour l’environnement. Ainsi, un Vert de Mongolie Extérieure nous fait un exposé très intéressant sur la façon dont le développement extractiviste fondé sur l’or est en train de détruire la nature en Mongolie... Un problème que je connais bien en Amérique du sud, de la Guyane au Pérou en passant par le Brésil.

Pour ma part, j’interviens sur les agrocarburants.

J’interviens sur les agrocarburants

Je raconte comment la petit phrase des députés Verts, cherchant à mettre un bémol à l’objectif européen de « 10% de biocarburants en 2020 », qui avait été rejetée par tous les autres partis en 2006, a fini par être presque unanimement adoptée dans le cadre de mon rapport sur « Commerce extérieur et développement soutenable, exactement un an plus tard. Cette phrase se retrouvera d’ailleurs dans la résolution finale du Congrès des Verts mondiaux...

Après la plénière, interminables embrassades et photos avec tou-te-s mes ami-e-s de par le monde (Maghreb, Amérique latine etc), et je cours à l’atelier « francophonie ». L’idée est de faciliter la coopération entre les Verts du monde utilisant le français comme langue internationale (et ne maîtrisant pas l’anglais...), de la Polynésie à l’Afrique et la Guyanne (mais aussi des Québequois, des Brésiliennes...)

Francophonie

Les délégué-e-s africaines insistent sur le besoin de matériel pédagogique sous forme audiovisuelle car leur base ne sait pas lire. Un problème que nous avions déjà rencontré au Forum social mondial de Mumbay. Il va falloir développer des podcast, des cassettes vidéo, des CD etc. Comme les islamistes, quoi...

++++Arrêt Laval

PS Excellente tribune de Jean Quatremer dans Libération de ce jour contre les âneries qui s’écrivent sur les arrêts de la Cour de justice de Luxembourg (Laval, Viking, etc) sur le droit social applicable aux travailleurs « détachés » d’un pays à l’autre de l’Union. Ce qui me stupéfait, c’est qu’à l’heure d’internet, où tout peut facilement se vérifier (les arrêts sont en ligne ici, vous n’avez qu’à taper le nom de l’arret, par exemple Cassis de Dijon ;-)), on peut continuer à écrire n’importe quoi. Il faudrait que les sociologues s’interrogent un peu sur l’application de l’adage « trop d’info tue l’info » à l’internet. La campagne anti-européenne des nonistes, qui continue sous cette forme, en est un excellent exemple.

Tout syndicaliste confronté à ce type de problème (le travail transfrontière) devrait par exemple inscrire en lettre d’or ces articles de l’arrêt Laval (sur la boite estonienne qui travaillait en Suède et s’est fait bloquée par les syndicalistes suédois) :

« 103. À cet égard, il y a lieu de relever que le droit de mener une action collective [y compris le « blocus » , selon un autre article] ayant pour but la protection des travailleurs de l’État d’accueil contre une éventuelle pratique de dumping social peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général, au sens de la jurisprudence de la Cour, de nature à justifier, en principe, une restriction à l’une des libertés fondamentales garanties par le traité.

104. Il convient d’ajouter que, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous c) et j), CE, l’action de la Communauté comporte non seulement un « marché intérieur caractérisé par l’abolition, entre États membres, des obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux », mais également « une politique dans le domaine social ». L’article 2 CE énonce, en effet, que la Communauté a pour mission, notamment, de promouvoir « un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques » et « un niveau d’emploi et de protection sociale élevé ».

105. La Communauté ayant dès lors non seulement une finalité économique mais également une finalité sociale, les droits résultant des dispositions du traité relatives à libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux doivent être mis en balance avec les objectifs poursuivis par la politique sociale, parmi lesquels figurent, ainsi qu’il ressort de l’article 136 CE, notamment, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate et le dialogue social. »

C’est ce qu’on appelle en droit administratif français « l’autorité de la chose jugée et interprétée ».

PPS. En octobre 2008 le PE est revenu sur a question. Voir ici



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