Traité de Lisbonne : le Parlement dit Oui !
par Alain Lipietz

samedi 23 février 2008

Grand moment d’émotion cette semaine : les représentants des citoyens européens adoptent le traité de Lisbonne ! L’autre affaire de la semaine à Strasbourg, c’est l’adoption d’une position sur l’indépendance du Kosovo.

Pour nous, c’est hélas aussi le début de la nouvelle chimio de Francine. La semaine dernière et ce lundi, mis à part un bref passage par Bruxelles, nous avons passé notre temps entre hôpitaux, pharmacies, massages… Cela m’a laissé le temps de faire le récit de notre mission de la semaine précédente en Colombie, et de mettre en commun avec les responsables de la diplomatie française les éléments dont je dispose depuis quelques années, et plus récemment en tant que président de la délégation du Parlement européen pour la Communauté andine, sur le problème des otages.

Mais mon travail commence aussi à être envahi par les municipales en France…

Lisbonne adopté

L’adoption par le Parlement européen du rapport Méndez de Vigo/Corbett approuvant le traité de Lisbonne n’est évidemment pas une surprise : c’est la stricte prolongation du vote de juillet dernier sur les orientations données par le Conseil européen de juin 2007 à la Conférence intergouvernementale du Portugal. C’est la reprise de notre vote de janvier 2005 pour le Traité constitutionnel européen.

En dépouillant avec soin les listes de vote, on constate que les dernières oppositions du style « peut mieux faire » sont tombées (tout le monde est maintenant convaincu que le mieux est l’ennemi du bien…) L’opposition au traité se réduit maintenant strictement à l’extrême droite nationaliste, y compris les conservateurs britanniques, à la plupart des communistes européens (Luisa Morgantini ayant rejoint Silvia-Yvonne Kaufman dans le Oui), et aux 2 habituels anti-européens verts (une Anglaise, un Suédois). Seul Henri Weber parmi les fabiusiens semble avoir voté Non (je dis « semble » car la liste des 5 « Non » socialistes contient des ouiouistes notoires : erreur de bouton ?)

Cette opposition anti-européenne s’exprime, comme lors de l’adoption solennelle de la Charte des droits fondamentaux, par de petites manifestations en T-shirts marqués « Référendum ». Mais contrairement au jour du vote sur la Charte, l’extrême droite et la gauche nationaliste ont pris soin de porter des couleurs distinctes. Les premiers sont en jaune « tour de France », les seconds (trois seulement) en rouge. Quand on passe au vote final, qui s’inscrit sur le grand tableau électronique, petit moment d’amusement : ceux qui portent les T-shirt « Référendum », et qui ont sorti des banderoles pour l’occasion, ne se privent pas de voter à la place du peuple. Devinez quoi ?

Les jaunes...
... et les rouges

Le résultat, OUI, est cependant écrasant. Même si Lisbonne c’est moins bien que le Traité constitutionnel, même si c’est beaucoup moins bien que ce que la plupart d’entre nous souhaitons pour l’avenir, le pas en avant est assez considérable pour que le Parlement presque unanime se lève en une ovation de joie.

Mais il ne suffit pas d’avoir une constitution plus démocratique, encore faut-il avoir une chambre progressiste et écologiste ! Le texte sur « les lignes directrices intégrées pour la croissance et l’emploi », adopté avec le soutien des socialistes est exécrable et nous votons contre. Curieusement le texte sur la stratégie de Lisbonne est meilleur et nous le votons.

Si, comme je l’espère, le traité de Lisbonne, qui donne beaucoup plus de pouvoir aux Parlement européen, est ratifié par tous les pays , le vote des électeurs en 2009 sera décisif !

++++Kosovo

Bien que la politique étrangère échappe encore totalement au Parlement européen, il a coutume de se mêler de ce qui ne le regarde pas, c’est-à-dire de ce que fait le Conseil en la matière. Plusieurs eurodéputés (dont des Verts) étaient le week-end dernier à Pristina lorsque le Kosovo a déclaré son indépendance dans le cadre du plan onusien Ahtisaari Un débat sans vote est prévu en plénière et nous en discutons dans le groupe. Une petite partie d’entre nous n’est pas pour l’indépendance (souvent les mêmes qui étaient contre l’intervention militaire de 1998). Évidemment, tous reprochent au Conseil européen ses propres divisions.

J’interviens pour souligner que les divisions des Verts n’ont rien à envier à celles du Conseil et qu’elles reposent sur deux problèmes de fond. D’abord, un problème de principe. La plupart des Verts d’un certain âge viennent de l’expérience du 20e siècle, du militantisme pour la décolonisation. Nous sommes pour « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Et donc nous sommes pour l’indépendance du Kosovo, comme nous avions été pour l’indépendance de l’Algérie etc. De ce point de vue, les Verts s’inscrivent dans la tradition du mouvement socialiste du 20e siècle : la Section Serbe de la IIe Internationale Ouvrière avait en 1913 condamné l’absorption du Kosovo par la Serbie.

Mais ce principe se heurte de plus en plus à un autre principe, d’abord identifié comme « respect des droits des minorités » et qu’on pourrait aujourd’hui appeler « devoir des peuples de se supporter les uns les autres ». Je rappelle que, tout en ayant soutenu la lutte d’indépendance de l’Algérie, les plus anciens d’entre nous avions assisté avec consternation au départ des « Pieds noirs ». Et, depuis, les Verts se sont plutôt battus pour encourager les ensembles déjà constitués à ne pas se désagréger (nous avons toujours eu un train de retard dans chacune des guerres de Yougoslavie, en demandant l’autonomie, puis la cantonisation alors qu’il était déjà trop tard). Aujourd’hui, l’indépendance du Kosovo pose la question des « Pieds noirs » serbes, installés non seulement dans le nord-est de Mitrovica, mais encore dans un tas de villages isolés du Kosovo.

Le second problème de fond est celui de « l’arbitrage ». Quand deux parties ne sont pas d’accord, la solution pacifique est d’accepter un arbitrage. L’ONU a rendu, par la voix d’Ahtissari, un arbitrage, comme elle l’avait fait à Chypre par la voix de Kofi Annan. Cet arbitrage est contesté au sein du Conseil de sécurité (par le veto russe) ? Cette objection n’est pas valable : un arbitre ne peut lui-même être paralysable par un droit de veto, car alors il faudrait un « arbitre de l’arbitre ». Ou l’on prend pour arbitre une personne, ou alors un arbitre collectif mais décidant à la majorité (comme l’Assemblée générale de l’ONU).

De ce point de vue, l’acceptation par les Kosovars, dans leur déclaration d’indépendance, du plan Ahtisaari tel quel, c’est-à-dire d’une indépendance « internationalement surveillée », notamment du point de vue des droits de la minorité serbe, me paraît peut-être une fenêtre fragile pour le 21e siècle, conciliant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et leur devoir de respecter leurs minorités.

À part ça , de bons votes sur la politique étrangère et la politique sociale, mercredi et jeudi.

++++L’affiche

J’avais demandé, pour notre liste municipale Verts-Villejuif Autrement, à mon gendre Sasha Vidakovic, graphiste qui commence à se faire une renommée internationale (il est l’auteur du petit panda et de la nouvelle ligne graphique du WWF !), de dessiner l’affiche officielle de la campagne. Sasha devait envoyer des propositions pour mardi soir à Villejuif, où la liste devait se réunir et choisir parmi ses différents projets, faire des demandes plus précises, et Sasha devait finaliser dans les jours suivants.

À 14 heures mardi, catastrophe : Francine me téléphone que l’affiche doit être rendue à l’imprimeur dès le lendemain. Or mercredi nous ne pouvons la retravailler. Il faut donc qu’elle soit quasiment prête pour la réunion de la liste le soir même.

Dilemme. Pour travailler avec Sasha, il me faudrait annuler tous mes engagements de l’après-midi. Or, de mes discussions des jours précédents avec les responsables de la diplomatie française, il était ressorti que je devais avoir un contact direct pour une mise au point précise avec Bernard Kouchner qui s’envole le lendemain pour Caracas et Bogota. Heureusement, le ministre des affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, est de passage ce soir à Bruxelles, ce qui me fait une « roue de secours ». Je laisse donc tomber Kouchner pour me consacrer à l’affiche.

Et c’est assez fascinant de voir évoluer pendant quatre heures de suite le travail d’un graphiste ! Il y a 7 ans, j’avais fait le même travail avec le peintre Hervé Bourdin, mais à l’époque nous étions assis côte à côte devant l’écran de son ordinateur. Sasha habite avec ma fille Barbara (laquelle attend un petit garçon pour dans quelques jours…) en Angleterre. Nous travaillons donc pas à pas, par téléphone, en échangeant des pdf par internet. C’est ça, la globalisation informatique du tertiaire !

Je choisis d’abord avec Francine parmi les différentes ébauches qu’il nous avait envoyées. Le matériau est simple :

* À Villejuif, une autre gauche est possible (le nom de notre liste cette année)

* Écologie, démocratie, solidarité (le sous-titre traditionnel de Villejuif-Autrement depuis 1995)

* Et un morceau d’une très belle photo de la liste que nous avions prise un week-end précédent dans le parc des Hautes Bruyères à Villejuif.

J’avais donné à Sasha comme indication : « Il faut suggérer qu’une nouvelle gauche plus moderne et plus verte doit succéder à la gauche communiste qui est là quasiment depuis le congrès de Tours de 1920 ». Une de ses propositions est très astucieuse : une première bannière, reprise du graphisme constructiviste du début de la révolution soviétique pour la première phrase, qui semble chassée par une deuxième bannière reprenant le slogan Écologie, démocratie, solidarité, en dessous une troisième bannière avec notre belle photo, et enfin les logos des Verts et de Villejuif-Autrement. C’est bien sûr celle-là que nous choisissons.

Mais je m’aperçois en travaillant avec lui toute l’après midi qu’entre l’idée d’un graphiste et la réalisation, il y a un énorme travail de mise au point, d’équilibrage des volumes, de réglages de problèmes imprévus. Par exemple, Sasha me demande si je veux des accents sur les majuscules. Oui, bien sûr, ça va très bien pour les É, mais ça va moins bien pour le À de « À Villejuif ». On décide de les supprimer tous. Il faut faire également attention de rendre la photo aussi grande que possible sans qu’elle soit floutée, etc. Bref, une belle leçon de travail professionnel.

A 18h 30, j’envoie l’affiche presque terminée à Villejuif pour me rendre au pot qu’offrent… Fillon, Jouyet, Barnier et Bockel à tous les députés français. Après le speech de Fillon, Jouyet se précipite vers moi pour fixer avec précision ce qu’a à faire la diplomatie française en Europe par rapport à la question des otages de Colombie.

de gauche à droite : Michel Barnier, François Fillon, Jean-Pierre Jouyet et Jean-Marie Bockel

Pendant ce temps-là, les députés de droite posent les uns après les autres pour une photo avec François Fillon, leur véritable bouée de sauvetage après l’effondrement de popularité de Sarkozy. Nous comptons avec amusement ceux du Modem qui vont poser, et ceux qui n’y vont pas…

Et je retourne à mon bureau pour attendre près du téléphone et de l’ordinateur les commentaires de la liste Verts-VA qui se réunit à Villejuif. Ne voyant rien venir, j’appelle à 21h 30 : ils n’ont pas commencé à en discuter ! Je vais dîner, je rappelle à 23h, même jeu…

La barbe, vais me coucher.

++++Municipales

Mais la campagne est bien lancée ailleurs. Mercredi soir, saut à Mulhouse en soutien à la liste des Verts, conduite par Djamila Sonzogni. J’aime beaucoup Djamila. Nous avions écrit ensemble, avec Noel Mamère, un article dans Libération sur les solutions vertes aux problèmes des cités. Les Verts avaient quitté la majorité Bockel il y a un an… six mois avant qu’il ne rallie Sarkozy ! Ce qui s’appelle la pertinence dans l’analyse politique.

À Mulhouse : Djamila Sonzogni

Djamila n’en manque pas , et encore moins d’audace. Elle a organisé la réunion dans la cité la plus marginalisée de Mulhouse, et il y a quand même du monde ! Je viens bien sûr y parler d’économie sociale et solidaire.

Jeudi soir et vendredi, aventures en Val de Marne. D’abord jeudi soir à Vitry, grand meeting d’une liste PS-Verts (et des autres petits partis de la gauche plurielle) derrière Jean-Marc Bourjac… affrontant la longue domination hégémoniste du Parti communiste. C’est ce que, depuis 1995 nous proposons aux socialistes villejuifois, c’est ce qui se passe cette année, autour de Villejuif, non seulement à Vitry mais aussi à Gentilly, Chevilly-Larue… Il s’agit d’en finir avec le monolithisme imposé par le PC, pour arriver au second tour à des directions équilibrées de type Gauche plurielle, mais avec beaucoup plus de Verts dedans ! L’alliance PS-Verts s’est d’ailleurs réparti les candidatures sur les cantonales de Vitry avec soutien réciproque, et c’est notre amie Isabelle Agier-Cabanes qui a donc (enfin !) quelque chance d’accéder à l’assemblée départementale où la présence verte est rarissime.

Vitry : à gauche Jean Couthures

À Vitry, ça a l’air de prendre. Il y a environ 400 personnes dans la salle. Je fais un discours assez bref, insistant sur ce que peut apporter l’Europe, les communautés d’agglomération, l’économie sociale et solidaire. Pour le parti socialiste, Pierre Moscovici se lance dans un discours fleuve contre Sarkozy qui me semble un peu tirer sur une ambulance sans trop se préoccuper que le problème ici est d’abord… de passer devant le parti communiste.

Dans la salle, je retrouve de vieux amis de la GOP, dont « une amie de trente-sept ans », Annick Guinery, qui est sur la liste !

Avec Annick et Isabelle

Mais le dessert de la semaine, c’est une invitation de ma nièce Stéphanie, prof de français dans un collège d’Alfortville, à venir présenter l’Europe à deux classes de quatrième.

Stéphanie les a fait travailler l’Europe avec leur professeur d’histoire-géo. Pratiquement tous les enfants ont préparé leurs questions, les unes très naïves, d’autres un peu plus bizarres, comme celle-ci : « Mais pourquoi sommes nous passés du franc à l’euro sans qu’on nous demande notre avis ? » Je réponds que si, on a décidé le passage à l’euro en 1992, par référendum, j’avais d’ailleurs voté contre, non pas parce que j’étais contre une monnaie européenne mais parce que je n’étais pas d’accord avec la façon dont le traité de Maastricht prévoyait la gestion de cette monnaie.

J’adore faire ce genre de débat avec des lycéens, mais là, avec des collégiens, c’est beucoup plus difficile. Ces enfants de 13-14 ans, ils sont nés, c’était hier ! Cette grande fille n’était évidemment pas née au moment du référendum de 1992 sur Maastricht, et elle devait avoir 6 ans quand nous sommes passés du franc à l’euro. C’est vrai, « on ne lui a pas demandé son avis sur le traité de Maastricht », ni en 2005, quand les Français ont décidé qu’on en resterait à Maastricht–Nice.

De même, il y a beaucoup de questions sur la politique environnementale de l’Union européenne. Je leur parle de l’effet de serre, mais visiblement, les exemples que j’ai l’habitude d’utiliser (les tempêtes de 1999 – ils devaient avoir 4 ans – ou même la canicule de 2003) ne leur disent pas grand chose. En fait ils sont nés quand le changement climatique avait déjà commencé. Pareil pour les OGM, il faut d’abord leur expliquer ce que c’est, mais pour en expliquer les dangers on ne peut s’appuyer sur le veau aux hormones ou la vache folle : connaissent pas.

Il va falloir que je perfectionne ma pédagogie.

Pour me remercier, ils me déclament en groupe un beau discours de Victor Hugo sur les États-Unis d’Europe, que leur a fait étudier Stéphanie.

Pour la suite, comme Francine ne supporte pas très bien sa nouvelle chimio, je concentre mes soutiens à des listes Vertes ou Verts-PS en proche Ile-de-France (à part Tours prévu de longue date). J’ai déjà soutenu les Verts de Créteil, du Kremlin-Bicêtre. Et on continue : Chevilly-Larue, Saint Michel sur Orge (avec Laurent Fabius), Aubervilliers (avec Ségolène Royal), etc.


Photo Présidence de la république de Pologne, sous licence GNU.



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