Clara Rojas libérée !
par Alain Lipietz

vendredi 11 janvier 2008

La nouvelle est tombée jeudi soir entre deux réunions. Clara Rojas, candidate des Verts colombiens à la vice-présidence de la République en compagnie d’Ingrid Bétancourt, et enlevée avec elle en 2002, vient d’être libérée, ainsi que la sénatrice Consuelo Gonzalez ! On n’en sait pas plus, on ne sait pas ce qui a permis de dépasser la guerre des egos entre le Président Uribe et le chef des Farc Marulanda.

Bravo en tout cas au Président Chavez, bravo à la Croix rouge internationale, bravo surtout aux dizaines de milliers de femmes et d’hommes (hélas, plus en Europe qu’en Colombie) qui, depuis 5 ans, n’ont jamais baissé les bras, qui n’ont jamais laissé les chefs d’État oublier les otages, qui ont fait de leur cause une cause municipale, régionale, nationale, internationale et finalement… colombienne.

Mais hélas pour elles et pour eux, hélas pour nous toutes et tous, hélas pour Yolanda, pour Juan Carlos et pour Fabrice, hélas pour Mélanie et Lorenzo, hélas pour tous les proches de tous les séquestrés : Ingrid et tous les autres sont encore prisonniers… Toutefois la preuve est faite que la mobilisation finit par payer.

À l’été 2001, Ingrid et moi avions mis au point un plan d’événements communs à nos campagnes présidentielles (j’étais alors candidat des Verts). Depuis son enlèvement, je dois dire qu’il ne s’est pas passé une semaine sans que j’aie « tenté quelque chose », y compris comme président de la délégation du Parlement européen pour la Communauté andine, joignant mon petit ruisseau à cet immense fleuve de solidarité.

Clara et Consuelo Gonzales ont l’air en bonne santé. En bonnes Colombiennes, elles se sont visiblement maquillées dans l’hélico. Ce qui confirme mon impression de la photo d’Ingrid : Ingrid ne souffre pas que de dépression, elle est malade, physiquement malade. Sa libération, je l’ai écrit aux responsables de son martyre, est une urgence absolue.

Sinon, la reprise à Bruxelles est plutôt tranquille.

Lundi matin, « Grand débat » sur radio BFM avec deux nonistes du PS.

Mercredi, réunion du bureau de l’intergroupe développement soutenable du Parlement (je préside le sous-groupe « développement soutenable et commerce international »). L’année 2008 s’annonce en effet très dense pour l’écologie internationale. C’est la première année d’application obligatoire de l’accord de Kyoto, la première année de vraie négociation de l’accord post-Kyoto, la dixième conférence des parties de la Convention pour la biodiversité, le Congrès quadriennal de l’Union internationale pour la conservation de la nature, etc.

Jeudi matin, petit-déjeuner avec une délégation bolivienne. Ca va mieux..

Jeudi soir, vœux de la municipalité de Villejuif. Madame la maire (communiste) m’a cette fois invité à monter à la tribune (au bout de 9 ans, il est en effet temps de s’apercevoir qu’il ya un député européen à Villejuif). Les autres années, seuls les conseillers municipaux y avaient droit. Il est vrai que les Verts et Villejuif-Autrement, un peu las de 12 ans d’opposition si constructive soit-elle, viennent d’écrire au PCF et au PS en leur proposant une liste unitaire sur la base du rapport de force de l’élection précédente : 2/3 pour eux, un tiers pour nous.

Et toute la semaine, le travail fiévreux de traduction du colloque « Amnistie… Impunité… justice transitionnelle ». Vous avez désormais tout le son, le texte écrit en VO, et toutes les traductions en français.

Mais, mise à part la nouvelle de la libération de Clara, le choc fut quand même ces photos en début de semaine : un petit garçon qui se cache le visage sur les épaules de Sarkozy, et les fesses de Simone de Beauvoir en couverture du Nouvel Obs.

TME

Lundi matin sur BFM, je dialogue avec deux socialistes, Jacques Généreux et mon collègue eurodéputé Benoît Hamon. Le thème : « Quelle gauche pour le 21e siècle ? » La première demi heure est relativement consensuelle : eux tapent sur Sarkozy et clament leur révolte contre le libéralisme, moi j’essaie de définir quelques axes de projet : l’écologie, la construction d’espaces démocratiques pouvant dominer le marché (comme l’Europe), la nécessité de rendre leur fierté aux producteurs par un travail qualifié et riche de sens, etc.

Interruption pour les infos. Laurent Fabius annonce qu’il votera Non en congrès à la réforme de la Constitution pour l’adapter au Traité modificatif européen. À la reprise, je dis « Eh bien ça, c’est une position de droite car si on ne modifie pas la Constitution, la France ne peut pas ratifier le TME qui tombe à nouveau ipso facto. Or, en rester à Maastricht-Nice, refuser une Europe plus fédérale, c’est empêcher la politique de dominer le marché, c’est le social-libéralisme et ça ne peut pas définir une ligne de gauche pour le 21e siècle ». Mes deux partenaires se récrient : « Mais non, il veut seulement bloquer la ratification parlementaire et obtenir une ratification par référendum. ». Je réponds : « Non, si la France ne modifie pas sa propre Constitution, elle n’a pas le droit de ratifier le TME. Donc ne pas modifier la Constitution, c’est voter Non au TME. Les Verts sont pour un référendum européen sur le TME, mais surtout, quasi-unanimement, ils sont pour voter Oui au TME. Et donc les élus doivent d’abord voter la modification de la Constitution, pour laisser ensuite les Français libres de voter oui ou non ». Ils me répondent cyniquement « En effet, c’est un chantage ».

À la sortie, la discussion devient plus orageuse. Jacques Généreux me rétorque : « On ne va quand même pas revoter un texte semblable à celui que les Français ont rejeté dans leur grande majorité. Je comprend que tu ais voté Oui, mais moi je continue à voter Non ». Je lui réponds que les Français peuvent changer d’avis, sinon Sarkozy est au pouvoir jusqu’à la fin de sa vie

« — Et comment, lui dis-je, peux-tu attaquer le libéralisme et vouloir conserver Maastricht-Nice ? Maastricht c’est le pouvoir du marché, Nice c’est le droit de veto de chacun des 27 gouvernements sur toute nouvelle régulation ?

Lui : Mais je ne veux pas en rester à Maastricht-Nice ! J’ai voté Maastricht et Nice avec des doutes, puis j’ai refusé de voter le TCE parce qu’il contenait encore trop de Maastricht- Nice !

Moi : Justement, on nous propose de ne voter cette fois-ci que les modifications, et elles vont toutes dans le bon sens !

Lui : D’accord, elles sont toutes positives.

Moi : Eh bien alors ?

Lui : Excuse moi, je dois téléphoner. »

Une gauche comme ça ne risque pas d’aller bien loin dans le 21e siècle…

++++Bolivie

Jeudi matin, petit déjeuner avec le ministre des Affaires étrangères de Bolivie, David Choquehuanca, le conseiller diplomatique d’Evo Morales Olivier Fontan, l’ambassadeur de Bolivie à Bruxelles, » Christian Inchausté, et le député italien de la GUE, Giusto Catania, spécialiste de la drogue, ainsi que nos conseiller-e-s Amérique du Sud , Gaby et Émile.

En Bolivie, ça va mieux. Les petites manœuvres de la droite, que j’évoquais début décembre, ont échoué. Finalement, la Constituante a pu voter un texte qui sera soumis à ratification par référendum. Seul point à régler (également par référendum), celui de la superficie maximale de la propriété privée : 5000 hectares, ou 10000 hectares ? Eh oui, c’est ce qui sépare en Amazonie un moyen propriétaire d’un très gros propriétaire !

Et alors, direz-vous, la querelle des autonomies ? Eh bien, elle a été réglée très facilement, comme le futur vice président Alvaro Garcia Linera nous l’avait expliqué il y a 2 ans et demi, l’unité de la « Demi-lune », c’est-à-dire de l’ensemble des provinces amazoniennes du pays autour du bastion de la droite, le centre-ville de Santa Cruz, n’est qu’un leurre. Ces provinces sont déchirées de jalousies entre elles et en leur sein. Il a suffi au parti d’Evo de soulever la question : « Attribuera-t-on les richesses du sous-sol aux municipalités, aux départements, aux provinces, aux territoires indigènes ou à la Nation ? » Evidemment, seule la Nation pouvait faire consensus !

Quant à l’ultime manœuvre de la droite consistant à proposer Sucre comme capitale de plein exercice, elle a été finalement réglée en accordant à Sucre, capitale constitutionnelle, qui détient déjà le siège du pouvoir judiciaire, le nouveau siège du Tribunal suprême électoral. Le gouvernement et le pouvoir législatif restent à La Paz… à portée de main des masses Aymara d’El Alto.

Cette question étant provisoirement réglée, on en vient au point délicat de la drogue. Il y a actuellement 20000 hectares de coca cultivés en Bolivie. Honnêtement, en développant les usages légaux, on ne peut pas dépasser un marché de 12000 hectares, il faut donc se débarrasser de la production de 8000 hectares. Or, la Bolivie ne peut pas les exporter car la feuille de coca (et même tout l’arbre !) est considérée par la convention de Vienne comme une drogue, ce qui est absurde. Catania et moi leur conseillons de tenter de faire définir un produit spécifique (par exemple la feuille de coca réduite en poudre à maté) et de négocier le droit de l’exporter vers l’Union européenne.

++++Photos

Un gosse sur les épaules d’un type aux lunettes Ray-Ban, à côté de lui, sa maman (lunettes marque non identifiée). Le gosse se cache le visage pour ne pas être photographié. La photo est pourtant dans le Journal du dimanche. Sur une autre photo, on le voit entre le monsieur et la maman, Nicolas Sarkozy et Carla Bruni. Il essaie de toutes ses forces de se cacher derrière eux.

Beaucoup d’enfants ont horreur d’être photographiés : mes petits-enfants détestent ça.

Beaucoup de petits garçons ont du mal avec l’homme qui est avec leur maman et qui n’est pas leur papa. Ce ne fut pas simple entre moi et un fils de Francine.

Beaucoup d’enfants, même grands, n’acceptent pas d’être photographiés avec leurs parents « en représentation publique ». Mes filles l’ont toujours refusé.

Carla Bruni, jusqu’il y a quelques mois, n’a peut-être pas dit beaucoup de bien de Sarkozy à ce petit garçon. Maintenant, elle doit lui donner l’impression qu’elle le livre à un ogre. Et cela devant une armée de photographes.

Ces photos me choquent très profondément. Peut-être suis-je trop sensible à ces problèmes. Je sais que de tous jeunes acteurs se sont bien tirés de rôles extrêmement difficiles qu’on leur a fait jouer : Ana Torrent dans L’esprit de la ruche et Cria Cuervos, ou Brigitte Fossey dans Jeux interdits… Mais dans la superbe mise en scène de Phèdre par Patrice Chéreau, un petit garçon accompagne Phèdre pour la scène des aveux, et assiste au jeu terrible qu’interprète magnifiquement Dominique Blanc ; je ne suis pas sûr que ç’ait été une bonne idée pour le petit garçon.

Bien sûr, le grand responsable de cette monstruosité est Nicolas Sarkozy. Avec ses voyages offerts par les patrons, ses montres voyantes, les bijoux de fiançailles présentés avec l’étiquette (la marque, le prix… Peut-être aussi donnés par les patrons ?), il est en train de tout pourrir, même l’image de Carla Bruni traitée en poule de luxe dans Charlie Hebdo.

Dans l’article que j’avais écrit dans Libération le jour de l’intronisation de Sarkozy, je l’avais comparé à l’Italien Berlusconi, à l’Argentin Menem. Mais il est encore pire. Il me fait maintenant penser à ce président imposé par les Russes en Tchétchénie, qui laisse sur ses meubles l’étiquette du magasin où il se les est procurés, avec le prix…

Cette vulgarisation galopante de la France, marque de la « renaissance civilisationelle » que prétend imposer Sarkozy, frappe jusqu’à la presse qui se voulait de gauche. Qui aurait cru, il y a encore 15 jours, que le Nouvel Observateur oserait montrer en page de couverture le derrière nu de Simone de Beauvoir ?

A part ça, mes articles sur Gorz commencent à paraître dans des dossiers passionnants : Ecorev’, Multitudes



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