Environnement : le Parlement en pointe.
par Alain Lipietz

vendredi 16 novembre 2007

Semaine faste à Strasbourg : on vote en première lecture une bonne directive sur l’intégration de l’aviation dans le système des quotas d’émission de gaz à effet de serre, une autre plus moyenne (mais c’est un début…) sur la protection des sols, et une résolution prenant spectaculairement ses distances avec le décret italien « anti-Roms ». Même le président Sarkozy, reçu en « séance solennelle », fait un bon discours ! Par ailleurs mon équipe s’active sur la préparation de notre initiative du 6 décembre à Paris sur « Amnistie, impunité, justice transitionnelle », qui prend tournure : inscrivez vous vite !

Sarkozy

Nicolas Sarkozy est venu présenter devant l’hémicycle ses projets pour la présidence française (2è semestre 2008). S’il est moins bon orateur que Tony Blair, dont le numéro avait bluffé ses auditeurs, et moins profond que Carlo Ciampi, il s’est trouvé cette fois une bonne plume, et, visiblement, il a beaucoup appris de ses six premiers mois d’expérience européenne. Il sait que son style « m’as-tu-vu ? » a indisposé tous ses partenaires et il en tient compte avec habileté. Mais… il se montre tout aussi menteur que Tony Blair !

Le discours commence très fort : « Nos peuples, horrifiés de ce qu’ils avaient fait, ont décidé de cesser de se haïr, et de s’aimer… Comme disait Paul-Henri Spaak, « il ne faut rien oublier car ce serait une profanation, mais il faut entamer la grande aventure de sauver ce que l’on peut sauver »… L’Europe sera un grand idéal ou ne sera plus… Quand les peuples disent Non, il faut se demander pourquoi (et j’ai voté Oui) [il a dit ça très vite, et je garde quelque doute car pendant toute la campagne du TCE il n’a desserré les dents que pour dire son hostilité à l’entrée de la Turquie !]. Le Non exprimait bien davantage que l’hostilité à un texte aussi important fût-il. Il trahissait une crise de confiance de deux peuples fondateurs. Pourquoi ce désespoir de l’Europe ? Parce qu’ils avaient le sentiment que l’Europe ne s’intéressait plus à leur sort. Que ce fût vrai ou non est une autre affaire. Ce Non fut un désastre, mais la politique, c’est, de l’autre côté, tenir compte des 18 pays qui avaient voté Oui et à qui on demandait la bonne volonté de revenir sur leur choix… Le traité « simplifié » [il est vraiment le tout dernier à l’appeler comme ça !] résout la crise institutionnelle de l’Europe, mais pas sa crise morale. Il ne dit pas dans quel but on l’a construit. »

Et là-dessus, il avance quelques affirmations intéressantes, et il faudra le prendre au mot : « Je préfère la règle de la majorité à celle de l’unanimité. L’unanimité, c’est la possibilité pour certains d’imposer leur volonté à tous les autres. L’unanimité, c’est l’impossibilité d’agir. J’ai été autorisé par le peuple français à faire ratifier le traité par le Parlement… Maintenant, il faut discuter de politique monétaire et de politique industrielle. Nul ne peut se prévaloir de l’indépendance de son statut pour ne pas rendre de comptes [ici, il vise la Banque centrale européenne]. Je suis pour la préférence communautaire. On doit se défendre contre le dumping des pays tiers et leur politique de change. Quand d’autres pays réservent une part de leur marché aux PME, on a le droit d’en faire autant. Nous devons défendre notre indépendance énergétique et alimentaire. Il faut être exemplaire dans la lutte contre le changement climatique, mais en se protégeant contre les pays qui ne participent pas aux accords mondiaux… Je proposerai une politique de défense des droits de l’Homme, de défense européenne… Etc. »

Et là, le clou : « Je suis contre les rentiers, pour l’entrepreneur et le travailleur » ! Qui, dans l’hémicycle, à part les Français, sait que sa majorité prépare un budget dans lequel l’imposition des dividendes est plafonnée à 15%, soit bien en deçà de ce que peut se voir imposer un entrepreneur ou un travailleur ?

Aviation

Dès le lundi soir a lieu le débat sur la fameuse directive dont il a beaucoup été parlé ici : l’intégration de l’aviation dans le système européen de quotas d’émission de gaz à effet de serre. Mon rapport pour avis en commission Économique et monétaire (a priori la commission la plus défavorable) a été intégré, nettement renforcé, dans le rapport que la commission Environnement avait confié à un chrétien-démocrate rhénan, Peter Liese. Mais les lobbies de l’aviation ont manifestement labouré le terrain, et c’est par une véritable bataille d’enchères (abaissant les quotas à 70% ?, 80 % ?, 90% ?) que le Parlement renforce la directive proposée par la Commission européenne.

Pour ma part, dans mon intervention de lundi, j’avais misé sur un seul argument, celui de la concurrence non faussée entre les différents secteurs, et entre les compagnies aériennes. Ce message a été entendu : dans les votes, nous aurons souvent – et paradoxalement – le renfort des libéraux-démocrates les plus libéraux, ceux qui veulent voir traiter l’aviation comme un secteur comme les autres. Pour le résultat, je vous laisse lire le rapport, ainsi que mon communiqué final.

Quelques heures après la publication de ce communiqué, je décrypte les votes nominaux, et constate qu’il n’est pas tout à fait exact. En réalité, le MoDem s’est divisé, certains, comme Marielle de Sarnez, votant plutôt comme les Verts. Inversement, si les communistes de la GUE votent globalement comme les Verts, je constate à nouveau avec tristesse que les deux Français se singularisent en votant plus « productiviste ». Cette « exception productiviste » du communisme français est vraiment désolante.

Sols

La Commission européenne a également initié le processus législatif d’un projet de directive-cadre (c’est-à-dire d’application extrêmement souple) protégeant l’ensemble des sols (contre la pollution, contre la désertification, pour la protection de la biodiversité…). C’est une initiative assez importante, sachant que les plans d’occupation des sols, par exemple, sont l’une des exceptions (avec le nucléaire) au principe majoritaire qui règne au niveau de l’Union européenne en ce qui concerne l’environnement. Sous la pression des lobbies industriels et agricoles, la droite est donc déchaînée contre le principe même de la directive. En commission des Affaires juridiques, il y a quelques semaines, c’est Jacques Toubon (celui du parti du président qui vient de tenir les propos ci-dessus…) qui a mené la bataille, arguant que la protection des sols ne concernait pas l’Europe. Je lui avais fait observer très fermement que ça regardait tout à fait l’Europe que la France ait laissé saboter les sols de la Guadeloupe et de la Martinique par le traitement des bananeraies au chloredécone.

Le débat est d’ailleurs extrêmement intéressant, la droite (y compris des personnes de très bonne volonté) s’appuyant en effet sur le principe de subsidiarité. On entend des arguments du genre « je comprends qu’on se batte au niveau européen contre des pollutions portées par le vent, mais la pollution des sols reste totalement immobile et donc ne concerne que les États, voir les collectivités locales. » Comme si l’eau de pluie, qui ruisselle et atteint la nappe phréatique ou circule par les fleuves, n’entraînait pas la pollution des sols au delà des limites communales et nationales !

Et d’ailleurs, l’internationalisation de la pollution passe, tout autant que par l’eau ou le vent… par la circulation des marchandises ! Si en effet, dans un pays A de l’Union, une entreprise est responsable de la pollution qu’elle laisse sur le sol, alors que dans un autre pays B, la même entreprise n’aurait aucune obligation de dépolluer le sol, il est bien évident que l’entreprise aurait intérêt à s’installer dans le pays B pour exporter vers le pays A.

Non seulement les Verts et la gauche, mais aussi les libéraux-démocrates (toujours au nom de la concurrence non faussée) votent donc pour la directive, et repoussent l’opposition de la droite conservatrice. L’Europe se trouve ainsi dotée (en première lecture) d’une Loi-cadre obligeant tous les pays à veiller à la protection de leurs sols. Ce n’est pas très contraignant, mais c’est déjà ça !

Une remarque. Le lobbying des grandes associations, et notamment celles engagées dans le Grenelle de l’environnement, en faveur de la directive Aviation, a été quasi nul. Les députés n’ont reçu, dans les deux ou trois jours précédant le vote - alors que tous les jeux étaient faits, la commission Environnement s’étant prononcée, et les groupes ayant préparé leurs listes de vote - qu’un ou deux mails de l’Alliance pour la Planète proposant des mesures plus radicales qui n’étaient pas à l’ordre du jour. En ce qui concerne les sols, le lobbiyng a été un peu plus actif, mais est venu surtout des milieux scientifiques insistant sur la protection des sols, soumis à une crise écologique, il est vrai peu à la mode et peu médiatisée.

Dans l’ensemble, on peut dire que la société civile, et en particulier les associations investies dans le Grenelle, ont été quasiment silencieuses au moment où les députés devaient prendre des décisions. Cela donne à réfléchir. Étaient-elles « trop prises » par le Grenelle ? Ou bien n’ont-elles pas compris que la législation française, en matière d’environnement, n’est jamais qu’une transcription du droit européen, et donc que c’est au Parlement européen que ça se passe d’abord, et pas du côté de Borloo ? Ou bien encore, séduites par l’initiative du Grenelle, les associations auraient-elles oublié que finalement leurs aspirations se matérialisent de deux façons : certes par la transformation des consciences, mais aussi par la transformation des politiques publiques, et qu’elle sont donc obligées, à un moment donné, de passer le relais aux élus ?

Si cette dernière hypothèse est exacte, cette semaine aura montré un rééquilibrage entre l’écologie associative et l’écologie proprement politique, qui devra être médité. Justement, je dois participer dimanche au débat de conclusion (avec Alain Juppé !) de la Semaine sociale de France, ce grand raout annuel des cathos progressistes. Et je dois justement traiter du passage de la prise de conscience à la décision politique

Roms

L’affaire des Roms roumains expulsés d’Italie a véritablement secoué les députés. D’autant que le Commissaire Franco Frattini, issu de la droite italienne, a versé de l’huile sur le feu en justifiant, en violation manifeste du droit de libre circulation dans l’Union, le décret italien permettant d’expulser les Roms pratiquement sans contrôle. L’ensemble des grands groupes (dont les Verts) a donc rédigé une résolution commune rappelant le principe de libre circulation, critiquant le décret italien, et refusant la « responsabilité collective » d’une ethnie pour le crime commis par un de ses membres.

Avant le vote, le débat est extrêmement tendu. Les interventions des Roumains, trémolos dans la voix, sont assez émouvantes, mais ne cachent pas toujours leur propre hostilité envers les Roms, avec des expressions du genre « il n’y a aucune raison pour que mon pays soit transformé en réserve pour les Roms d’Europe ». Les communistes italiens, qui participent au gouvernement Prodi, tirent à boulets rouges sur les décrets et sur Frattini, lequel a beau jeu de leur rétorquer que, s’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à quitter le gouvernement italien. Au nom des Verts, la co-présidente du groupe, Monica Frassoni, cartonne assez durement la droite et la presse italienne en rappelant que, le jour même où le meurtre commis par un Rom faisait les gros titres, plusieurs autres crimes commis par des Italiens étaient relégués dans les dernières pages des journaux, et qu’un pays où 7% du PNB est entre les mains de la Maffia n’a pas de leçons à donner aux Roms.

Au début du vote en plénière, coup de théatre : le Français Joseph Daul, président du groupe PPE (et membre de l’UMP), déclare : « Nous n’avons rien contre les Roms et respectons la personne humaine, mais nous ne pouvons pas accepter l’article de cette résolution critiquant le Commissaire Frattini. Le PPE votera donc contre ! »

Quolibets, lazzis, ricanements, « et contre l’ADN ? »… Les uns après les autres, les groupes socialistes, libéraux-démocrates, verts et communistes demandent la parole et déclarent que, si maintenant le Parlement n’a plus le droit de critiquer un Commissaire qui, pour des raisons de politique intérieure de son pays d’origine, soutient un décret totalement contraire à la légalité européenne, où va-t-on ?

On passe au vote. L’amendement critiquant Frattini est adopté, et la résolution – excellente- aussi, par une majorité libéraux-démocrates, verts, socialistes et communistes, dont tous les partis correspondants participent en Italie au gouvernement Prodi qui a pris le fameux décret…

Bref, le Parlement a bon cœur dès qu’une résolution n’a pas de portée législative. On verra ce qu’il en sera dans un mois, quand il faudra examiner une directive scélérate proposée par la Commission à propos du traitement des immigrants des pays tiers. Si la société civile veut faire pression sur les députés, c’est le moment ou jamais !

Dans la foulée, le Parlement vote un salmigondis grotesque pour une Europe compétitive (voir le « debriefing » de notre collaboratrice Inès Trépant), et un nouveau texte préparatoire à la Conférence de Bali sur le climat, faisant à nouveau l’éloge du nucléaire. Les Verts refusent d’y joindre leurs voix.

Et je rentre à nouveau vers Paris en grève. Incroyable comme ce gouvernement s’ingénie à fomenter le chaos en grillant la concertation…

Bon, pour la suite de ce blog, il faudra être patient. Après la conclusion, dimanche 18, de la Semaine Sociale de France, je pars pour l’Équateur. Et, au retour, ce sera le coup de collier pour boucler l’initiative très importante à l’Assemblée Nationale sur « Amnistie, impunité et justice transitionnelle ».



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