Citoyens ou population ?
par Alain Lipietz

vendredi 12 octobre 2007

Après le « mardi vert » que je vous ai raconté, le mercredi (et les nuits…) est essentiellement consacré à une rencontre avec un représentant des populations déplacées de Colombie et à la rédaction d’articles sur André Gorz et d’une réponse aux questions de Contaminations-chimiques.info sur le rapport du groupe 3 du Grenelle de l’environnement. Mercredi soir, adoption d’un bon texte du groupe sur les questions de défense. Jeudi, gros débat en plénière sur la futur composition du PE. Et jeudi soir et vendredi, retour au local.

PE

Jeudi, vote compliqué au Parlement européen (précédé d’un débat non moins compliqué dans le groupe Verts/ALE), sur un sujet lui-même compliqué : la pondération des pays au Parlement européen dans le futur. La Conférence intergouvernementale de juin dernier a en effet laissé au Parlement le soin de régler ce problème. Tout le monde est bien d’accord qu’il y aura une période intermédiaire assez bricolée jusqu’en 2014. Les difficultés commencent pour fixer des règles stables en « régime permanent » au-delà de 2014.

Les contraintes sont déjà assez fortes : le Parlement ne doit pas dépasser 750 députés, répartis en fonction « dégressivement proportionnelle » du poids démographique de ses États membres. Dégressivement proportionnelle, ça veut dire qu’il y a une limite basse (6 députés pour le plus petit pays) et une limite haute (96 députés pour le plus grand pays). Cela afin qu’aucun pays ne se sente écrasé par un pays dominant, aujourd’hui l’Allemagne ou demain la Turquie, et que pour, dans chaque pays, il puisse y avoir une diversité politique des députés. Ça implique qu’un député allemand représente 860 000 personnes, et un député maltais 60 000 ! Je trouve cette dégressivité un peu exagérée… 4 pour Malte me paraissait suffisant.

Mais la question qui fait le plus débat, c’est ce que signifie le « poids démographique » d’un pays membre. Le nombre de ses citoyens ? Ou de sa population ? La commission des Affaires constitutionnelles, qui propose un premier texte au vote de la plénière, a tranché : la population. Pour nous les Verts, c’est inacceptable.

D’une part au plan théorique, au plan des principes, le Parlement est le Parlement des citoyens et non pas la représentation d’une quantité physique d’individus (et pourquoi pas du PNB ou de la superficie ?)

Mais quand on rentre dans le détail, cette différence population – citoyenneté traite inéquitablement les pays. La France, par exemple, a une plus importante population que l’Italie parce qu’elle a beaucoup d’immigrés, elle aura donc plus de sièges. L’Italie a plutôt, jusqu’à aujourd’hui, des émigrés. Il est vrai que quand ces émigrés résident dans l’Union, ils ont la citoyenneté européenne, c’est-à-dire qu’ils peuvent voter dans le pays où ils résident, pour les listes du pays de résidence. Quand ces citoyens résident hors de l’Union, ce qui est le cas notamment pour les très nombreux Italiens et Espagnols d’Amérique latine, ces citoyens participent aux votes dans leurs pays d’origine, mais n’augmentent pas le poids de ce pays .

Au dire de Tatjana Zdanoka, mathématicienne lettone de la branche ALE (régionalistes) de notre groupe, la situation est encore plus scandaleuse dans le cas des pays baltes, où les partis nationalistes tendent à refouler les minorités russophones (dont elle est représentante au Parlement européen pour la Lettonie) dans un statut « d’apatrides ». Je lui laisse la responsabilité du terme. Ainsi, la Lettonie gagne deux députés grâce à la présence sur son territoire d’une population à laquelle elle refuse des droits civiques, et ces deux sièges vont aux partis racistes qui privent de droits ces 20% de la population lettone !

Cela me rappelle un peu la détermination, dans les jeunes États-Unis d’Amérique, du poids électoral à la Chambre des représentants et dans le collège des Grands électeurs présidentiels. Alors que seuls les hommes libres votaient, on a considéré que leurs femmes et leurs esclaves comptaient dans la pondération entre les États…

Les Verts penchent donc massivement pour remplacer partout dans le texte proposé par la commission des Affaires constitutionnelles les mots « la population » par « les citoyens ». Evidemment, cela pose un autre problème de fond aux Verts, qui sont pour la citoyenneté de résidence : on devrait avoir le droit de vote dès lors que l’on réside un certain temps dans un pays, en y payant ses impôts etc. Sur cette base, population et citoyenneté ne ferait plus qu’une (à la réserve près des Européens résidents hors de l’Union) !

Mais cette belle position de principe ne reflète pas la réalité. L’appliquer aujourd’hui serait faire un cadeau à ceux qui refusent le droit de vote aux immigrés de France, tout en exploitant leur travail, et en comptant sur eux pour payer les retraites, et en plus s’en serviraient pour accroître le poids de la France au PE, comme les esclaves de Virginie ou les Russes de Lettonie ! Bref, qu’on donne la nationalité ou du moins la citoyenneté aux immigrés, si la France veut vraiment « peser » 63 millions d’habitants .

Bon, de toute façon, tous nos amendements sont rejetés et c’est le texte « population » de la commission des Affaires constitutionnelles qui est adopté, ce qui n’a rien de vraiment définitif…

Local

Jeudi soir, réunion PS-Verts à Villejuif. Vieux serpent de mer : depuis 1995 nous proposons au PS une liste de premier tour PS-Verts-Villejuif Autrement pour enfin échapper à la subordination de la Ville à un PCF hégémonique (qui a par exemple trouvé moyen de se faire pincer aux municipales de 95, les élections ayant été annulées pour fraude). Mais depuis des lustres le PS local « colle au PCF » en position de subordination. Pourtant, en 2001, la liste Verts-VA a obtenu 24 %, la liste PCF-PS-MRC 50%. Ne serait-il pas temps de secouer un peu le cocotier pour parvenir au second tour à une majorité de gauche rééquilibrée, verdie, oxygénée ? On voudrait bien, dit aujourd’hui le PS villejuifois, mais nous devenons tenir compte des accords nationaux et départementaux. « Ah ! chez les Verts on n’a pas ce problème. Comme vous le savez, nous sommes très décentralisés ! », expliqué-je à l’hilarité générale.

Vendredi midi justement, nous accueillons à Arcueil le passage de la Marche anti-OGM, de Chartres à Paris, avec Bové himself. À Arcueil, c’est la crise interne du PCF qui a permis la formation d’une majorité de gauche diversifiée… À Villejuif, ce sera plus compliqué.

Bon, demain je pars à Vienne pour un débat économique devant le Conseil du Parti Vert Européen, et de là je rejoins Prague où se réunit la semaine prochaine le séminaire de rentrée du Groupe verts/ALE. Donc ne comptez pas sur un nouveau billet avant un certain temps…



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