Moins pire…
par Alain Lipietz

lundi 18 juin 2007

Ouf, ça a été moins pire que si ça avait été pire ! N’exagérons rien, le gros de la vague bleue était déjà acquis le 10 juin, et le 17 ne pouvait être qu’un correctif, mais quel correctif ! Les Verts gagnent un quatrième député, Juppé tombe. Pas mal.

Dimitru

Jeudi, journée hyper-chargée. Déjeuner à Paris avec quelques camardes Verts du courant « ZEP » qui souhaiteraient que je me réinvestisse davantage dans la reconstruction d’une écologie sociale. Je leur explique la lourdeur de mes charges et la démobilisation relative qu’a entraîné chez moi le virage du 13 mai : je laisse le soin à de plus jeunes que moi de repositionner les Verts à gauche. Ce qui n’empêche pas, loin de là, de chercher à « rallier le centre » et les grandes associations, même non-radicales, qu’il s’agisse des chrétiens ou des environnementalistes. Ils s’affirment d’accord avec cette stratégie.

Les chrétiens justement… Le successeur de Michel Camdessus à la tête des Semaines Sociales de France, Jérôme Vignon, me demande d’intervenir lors de leur prochain grand raout de novembre. Pareillement, je dois à la fin de la semaine rendre un devoir de vacances pour la revue des jésuites, Projet : « Quand le rapport de l’homme à la nature change de nature ».

Mais je ne peux le faire ce soir car l’après-midi est particulièrement chargée. Après étude minutieuse du plan de métro, cela apparaît jouable.

Donc, premier rassemblement à Marie Curie (Ivry) avec les enfants et les parents de l’école de la fille de Dimitru et Tatiana. Ils sont moldaves. La mère est interprète internationale, leur fille est parfaitement intégrée et en tête de sa classe : un cas d’école pour la FCPE et le Réseau Éducation Sans Frontière. Le matin même, les copains du Val de Marne ont réussi à bloquer l’expulsion aérienne de Dimitru. Il est passé en jugement pour résistance à la force publique, mais ayant fait appel, il a un petit délai. La manif s’ébranle, enfants en tête. Je bavarde avec le maire-candidat aux législatives, Pierre Gosnat, (héritier d’une vieille dynastie communiste ! Et très optimiste pour le tour suivant), qui en profite pour me fait visiter sa ville.

Je lui fait observer : « Tout ça, c’est la faute à Staline ! - Comment ça ? - Si Staline avait laissé la Moldavie (la « Bessarabie ») à la Roumanie en 1945, comme il était historiquement légitime, Dimitru serait aujourd’hui Roumain et citoyen de l’Union européenne ! ». Nous continuons à deviser sur les incroyables transformations des confins est-européens.

Avec les mini-manifestants
Derrière, Tatiana et P. Gosnat

Martine

Du métro Mairie d’Ivry au métro Montorgueil, ça va nettement plus vite que prévu. J’ai le temps me promener autour du gymnase où a lieu le meeting de Martine Billard. Ca s’annonce assez bien : des gens, me reconnaissant, me disent qu’ils ne viennent pas au meeting car de toutes façons, ils ont déjà voté pour « la Verte », et recommenceront dimanche. On me paie même un coup à boire !

Martine tenait à ce que je vienne au meeting pour parler de… la Constitution ! Elle avait voté Non, j’avais voté Oui, mais elle voulait que j’explique qu’on voulait tous la même Europe, même si nous avions eu des divergences tactiques sur le référendum.

En voyant arriver les auditeurs, je comprends la complexité du problème : Martine a réussi à construire une très vaste coalition, des bobos et des people jusqu’aux communistes. L’enjeu est évidemment de rallier l’électorat Modem sans perdre celui, beaucoup plus petit, du PC et de l’extrême gauche. Pour ce qui est du Modem, on s’y active depuis des semaines depuis le Parlement européen ! Plus particulièrement, je viens d’envoyer (après consultation de notre candidat Vert sur la même circonscription, et lecture attentive de la liste des candidats « à ne pas soutenir » établie par la direction des Verts), un message de soutien à Jean-Marie Cavada.

Les communistes, cornaqués par leur fringante candidate, occupent bien un quart de la salle, au fond. Beaucoup de visages chenus, qui ont eu des difficultés à grimper jusqu’au deuxième étage… C’est extrêmement émouvant pour moi de voir le vieux parti communiste à bout de souffle (en tout cas dans le centre de Paris), reporter ses espoirs sur une Verte, venue de l’extrême gauche anti-stal, et qui l’est un petit peu restée.

Bon, je me tire comme je peux de cette histoire de Constitution, comme je l’avais fait pour Initiative Catalogne Verte, mais je rappelle aussi que, même très minoritaire, une députée Verte comme Martine a été capable de gagner des batailles, au moins pour une nuit, à l’Assemblée nationale. C’est vrai qu’il y a chez Martine un aspect « chèvre de Monsieur Seguin »… C’est pourquoi je l’aime bien.

SIEG

On m’a fait passer en premier chez Martine à cause de mon rendez-vous suivant : un débat à Sciences-Po sur les SIEG à la même heure ! Quand j’arrive à Sciences Po, c’est à peine commencé. Une petite salle est pleine, qui suit avec sérieux - et quelques années de retard - le débat : « Mais enfin, pourquoi cette mise en concurrence des SIEG en Europe ? » Je leur expose une brève synthèse de mes deux articles, celui sur l’aspect concurrence et celui sur l’ aspect compromis social des SIEG.

Dans le courant de la discussion, je m’aperçois que, depuis la France, on confond le débat sur les SIEG (qui sont essentiellement pour l’Europe les services « en réseau », où il est question de faire circuler les électrons français sur les câbles allemands ou les trains allemands sur les rails français), et le débat sur les services publics locaux (eau, ordures ménagères, etc) qui relèvent plutôt de la problématique des appels d’offres et des partenariats public-privé ou public-public.

Vendredi samedi dimanche, je m’attelle à mon devoir philosophique, [la réponse à Projet, bientôt ici en ligne.

Résultats

Et dimanche soir tombent les résultats du second tour. Je suis sur FR3 Ile de France, entre un PS et un communiste, face à Valérie Pécresse (Ministre de la recherche), et un Nouveau centre. On savoure évidemment le « rééquilibrage », l’élection des 4 Verts (bravo Martine, Yves, Noël et François !), la bonne tenue du PC, la remontée des socialistes, et, petite satisfaction, la baisse systématique des chevènementistes. Grosse satisfaction personnelle : la baffe que prend Arno Klarsfeld qui, après avoir tenté de saboter le procès Papon (voir le livre de Maître Gérard Boulanger), est devenu avocat de la SNCF à New York et poursuit de sa hargne mon père et les derniers rescapés de la Shoah.

Les journalistes et mes deux collègues de gauche s’accordent à dire que tout ça, c’est la faute à la TVA sociale. Je mets les choses au point : les Verts sont pour la TVA sociale, entendue comme un transfert de l’assiette des cotisations, notamment patronales, de la masse salariale vers la valeur ajoutée, plus la déductibilité à la frontière. C’est un moyen de « faire cotiser les profits et les machines », c’est aussi un moyen de découpler le niveau de la protection sociale et la compétitivité : le Danemark, qui fonctionne ainsi, s’en porte très bien ! Mais le problème, c’est que Fillon, en couplant cette réforme à de massives réductions des impôts pour les riches, a trop laissé voir une manœuvre sordide : augmenter la TVA sous prétexte social pour compenser ses baisses d’impôts. Et ça, ce n’est pas passé. Le problème, c’est que ça tue dans l’œuf le projet très utile de TVA sociale.

Nous savourons aussi la défaite de Juppé : je souligne que, loin d’être le bon Ministre de l’environnement qu’il prétendait être, il a commencé sa brève carrière en autorisant un maïs OGM que l’Allemagne vient d’interdire en raison de sa dangerosité. Valérie Pécresse bondit : « En tant que Ministre de la recherche, je ne peux pas vous laisser dire ça ! » Ca promet…

Je discute à la sortie avec un des responsables de la chaîne. Il y a peut-être un nouvel effet « mandat unique » qui apparaît : même les Bordelais ne souhaitent plus voir leur maire au gouvernement dans un poste important. Plutôt une bonne nouvelle.

La carte de la France devient très impressionnante. Tout le Sud-Ouest et, semble-t-il, les grandes villes, sauf Marseille, reviennent à gauche. En revanche, l’Est semble perdu pour longtemps. Il est probable qu’il y ait là un effet absorption du Front national par la droite, mais il y a aussi l’effet des profondes divisions géographiques du Modem. Là où l’électorat Modem est de droite, il a permis l’élection des députés de droite dès le premier tour. Et là où cet électorat est prêt à basculer à gauche, il a viré sa cuti à l’occasion de ce second tour…



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