A nouveau sur Bayrou
par Alain Lipietz

dimanche 11 mars 2007

Nos vacances sont finies et Francine a bien skié, n’en déplaise à la Faculté de médecine. Le débat de Briançon fut très réussi : salle pleine, débat passionnant sur « que veut dire le développement soutenable dans un région touristique qui veut aussi rester agricole ? » (cf. la convention verte sur le littoral !). J’ai du mal à comprendre les mauvais sondages de Voynet qui contrastent avec l’affluence aux meetings (les siens, ceux des Verts), aux soutiens qu’elle reçoit, aux demandes d’articles que je reçois. Une partie de la population, particulièrement consciente, se pose la question « après le phénomène Hulot, on fait quoi ? », mais je suppose que les sondés attendent la « décantation ». Hors la bande des 4 (UMP, UDF, PS, PCF), qui sera vraiment candidat ? et que signifiera alors voter utile, au premier comme au second tour ?

À la sortie du débat de Briançon, les avis sont partagés sur ce dernier point. Un sympathisant Vert : « Moi, je vote Bayrou dès le premier tour, on n’a plus droit aux fantaisies », une autre : « Moi j’ai voté Bayrou la dernière fois, plus question, il est trop creux ». En tout cas, le débat de l’heure, c’est « Bayrou or not Bayrou ? »

Car, cette fois, c’est fait. Un sondage donne Bayrou quasi à égalité avec Ségolène et Sarkozy au premier tour. Et tous les sondages s’accordent à montrer, très logiquement, que Bayrou battrait Sarkozy au second tour, ce qui n’est pas le cas de Ségolène. Ce que j’avais analysé il y a 15 jours comme inéluctable, « sur table » comme au bridge, est donc en passe de se réaliser.

Le PS ne peut plus gagner sur la ligne « Tout sauf Sarkozy ». Chaque fois qu’il évoquera cet argument, il perdra des électeurs au profit de Bayrou. Le PS ne peut plus gagner que d’une seule façon : en proposant un projet que ne peut pas proposer Bayrou, mais auquel il pourrait à la rigueur se rallier. Car Bayrou n’a pas de proposition de majorité gouvernementale alternative, ses députés étant élus par de électeurs de droite, dans des circonscriptions de droite, dans le cadre d’accords à droite. Et ce projet ne peut pas être celui que le PS défend depuis des mois, celui de l’union de la gauche modèle 1973, MRG PS PCF. Ségolène ne peut battre Bayrou puis Sarkozy qu’en proposant maintenant une alliance gouvernementale « plurielle » (c’est-à-dire ni purement socialiste, ni purement écologiste, ni…) sur un projet à la mesure des enjeux, pour la France, pour l’Europe et pour la planète.

La situation politique se clarifie donc tout à fait, paradoxalement. Les affiches de Besancenot « Ni Sarkozy, ni majorité plurielle » signifient simplement « Bayrou ». Il en sera de même pour tous les « gauches de la gauche » qui se présenteraient sans préciser leur stratégie d’alliance gouvernementale (seule Marie-Georges Buffet l’a fait : pour elle, c’est l’union de la gauche à l’ancienne). Pourtant, nous savons que Sarkozy peut encore gagner si les faiblesses de la candidature Bayrou sont mieux mises en lumière. Et nous savons qu’en 1997, la majorité plurielle a gagné, elle a gagné à Paris en 2001, elle a gagné presque toutes les régions en 2004.

En fait ni le PS ni Bayrou (ni Jospin en 2002) n’ont pris la mesure du nouveau visage de la Ve république, depuis le début des années 2000, avec le quinquennat, la condamnation de la cohabitation par Olivier Schrameck (dir cab de Jospin) et l’inversion du calendrier par Jospin. Le Président devient, non plus un inspirateur-arbitre ou un recours (selon que la majorité parlementaire est avec ou contre lui), mais le chef direct de l’exécutif. Donc il doit négocier avec d’éventuels partenaires, dès la campagne présidentielle, et annoncer avec qui il gouvernera, et pour quoi faire.

Bayrou joue l’ambiguïté, pire, il la cultive, « à la sud-américaine », en jouant les centriste anti-système : « On verra bien, l’union nationale, pourquoi pas ? ». Il pourrait dire aussi bien « un gouvernement de techniciens », ou de « patriotes », ou n’importe quoi… mais ça veut dire quoi, aux législatives ? Un partage des sièges avec le PS ou avec l’UMP ? Quant au PS, il fait comme s’il pouvait avoir une majorité à lui tout seul (plus le PCF et le MRG, qui restent des forces locales) alors qu’il ne pèse qu’un quart de l’électorat…

Le PS acceptera-t-il de constituer une vraie majorité plurielle ? Une majorité plurielle, ça veut dire une majorité regroupant plusieurs forces excluant le libéral-autoritarisme de Sarkozy, et incluant une part significative des aspirations des vastes couches sociales, de plusieurs courants idéologiques progressistes.

Il est évident que ce qui lui manque actuellement, c’est la composante écologiste, seul courant idéologique qui rallie la majorité des Français. À l’heure où vous lirez ces lignes, le Conseil Constitutionnel aura sans doute validé prés de 500 signatures pour Dominique Voynet : si toutes les promesses des maires sont tenues (et il faut continuer jusqu’au dernier moment à les concrétiser !), la question de mendier auprès du PS quelques signatures supplémentaires ne se pose donc plus. En revanche, c’est la question gouvernementale, celle de la majorité parlementaire, qui est posée : Qui Ségolène choisira-t-elle comme premier ministre ? A-t-elle vraiment l’intention de proposer un(e) vice premier ministre écologiste ? Quelle marge de manœuvre lui donnera-t-elle ? Quelle part du programme écologiste acceptera-t-elle ? Le PS s’engage-t-il vraiment, pour compenser l’absence provisoire de proportionnelle, à laisser aux Verts un nombre de circonscriptions leur permettant de composer un groupe politique, pour contrôler l’application de ces engagements communs ? Et surtout, beaucoup plus profondément, le PS comprend-il enfin la gravité de la crise écologique, sa centralité par rapport à toute politique (sociale, environnementale, démographique, de solidarité avec le Tiers monde, etc) ?

Encore une fois, la réponse se trouve entièrement entre les mains du PS. Lui seul peut, dans les jours qui viennent, renverser la table en proposant immédiatement ce type d’accord.

Quant aux électeurs, la situation est psychologiquement changée par la montée de Bayrou… au détriment de Le Pen. La question n’est plus de savoir si Le Pen sera au second tour, mais qui, de Bayrou ou de Ségolène, sera opposé à un Sarkozy de plus en plus lepenisé.

Dans ces conditions, la question du vote utile devient assez complexe, car elle dépend du positionnement des prétendants, qui n’est pas encore stabilisée. Il peut y avoir un écrasement de Dominique Voynet par la bataille « de premier tour » Royal-Bayrou. Mais il peut aussi s’ouvrir une marge pour elle, dans tous les cas de figure.

Si le PS se met en situation de proposer une alternative gouvernementale (seul moyen de récupérer les électeurs qu’il a perdus au profit de Bayrou), cela fera nécessairement remonter la crédibilité, donc le score au premier tour de ses alliés potentiels de second tour, et notamment des Verts. Car une victoire socialiste n’est pensable au second tour que si, au premier tour, ses partenaires n’ont pas un score négligeable. Et inversement, leur possible participation avec un poids significatif dans l’orientation d’une coalition gouvernementale leur donnerait aux yeux des électeurs une légitimité qu’ils n’ont pas pour le moment.

Si au contraire, le PS fait le choix de ne rien opposer de fondamental à Bayrou, si le choix entre Bayrou et Ségolène n’est qu’une évaluation pifométrique quant à la possibilité pour l’une ou l’autre de battre Sarkozy, dès lors, l’électorat progressiste non socialiste se voit déchargé du poids de la responsabilité d’un phénomène « 21 avril 2002 » et peut réagir de manière « kantienne » (« Fais ce que dois, advienne que pourra »). Il votera alors pour son propre candidat (en l’occurrence Dominique Voynet) et se reportera ensuite sur qui, de Ségolène ou de Bayrou, sera opposé à Sarkozy.

Mais le PS n’a plus beaucoup de temps pour « renverser la table ». La nouvelle du jour, le ralliement de Corinne Lepage à Bayrou, est à la fois anecdotique et lourde de menaces pour lui, alors qu’il ôte une épine du pied de Dominique.

Anecdotique parce que Corinne Lepage est strictement une fois sur deux « toute seule en autonome » (quand elle en trouve les moyens) et candidate UDF (quand elle ne les trouve pas). Autonome en 2002 (là, elle avait encore les signatures des maires), UDF aux régionales en 2004, puis autonome aux Européennes d’Ile-de-France (là, la liste Verte que je conduisais l’avait écrasée malgré la concurrence de Besancenot, d’une liste PCF déjà élargie aux « alternatifs nonistes », et de la liste Europe-Palestine), et cette fois, après un petit tour dans les medias, à nouveau UDF. La fonction politique de cette « écologie du centre » est tantôt de minorer le score des écologistes, dont elle stérilise un tiers des votes (car les résultats, comme les commentateurs, ne retiennent que le score des Verts pour mesurer le poids de l’écologie dans le désir des électeurs), tantôt d’ajouter une goutte de vert dans l’image de l’UDF.

Cette fois, c’est ce qui va se passer. Bayrou peut se présenter comme candidat du centre et (d’une petite partie) de l’écologie. Ségolène ne peut pas en dire autant, tant qu’un bon accord de gouvernement avec les Verts n’est pas annoncé…

A part ça, le site « rafraîchi » par Perline avance, et je pourrai reprendre l’archivage. Tenez, par exemple, mon Phèdre : indentification d’un crime est enfin sorti en japonais. Si vous ne lisez pas le japonais et n’avez pas envie de le lire en français, vous avez tort, mais vous pouvez toujours lire (en français) la préface à l’édition japonaise…

Et, après le « coup de théatre de Bordeaux », les échanges de mémoires ont repris entre la SNCF, la famille, et la Cour Administrative. Voyez le nouveau mémoire de notre avocat Rémi Rouquette. La SNCF riposte en exhumant enfin une vague demande du préfet de Nice à la SNCF de 1942, qui « requiert » de la SNCF un train pour transfert vers Drancy. Bref un simple bon de commande, pas une « réquisition » au sens légal (« Je requiers votre concours » ne veut pas dire « Je vous réquisitionne »), et totalement hors sujet (après 1942, il y a eu la Convention de Bamberg, la Convention pour la zone Sud occupée, et la mystérieuse « Convention de l’espèce)…



Reproduction autorisée avec la mention © lipietz.net http://lipietz.net/?page=blog&id_breve=217 (Retour au format normal)