Ça va pas fort.
par Alain Lipietz

vendredi 23 février 2007

Le scanner a rendu son verdict : Francine doit faire une nouvelle chimio. On dit que le cancer est une maladie injuste, qui frappe particulièrement les personnes très généreuses, et qui prennent sur elles. Mais là, vraiment, c’est exagéré. Si Dieu existe, disait Woody Allen, j’espère qu’il a une bonne excuse.

Semaine jaune au Parlement européen. Ça veut dire qu’on est censé travailler dans sa circonscription. En plus, il faut écrire des articles, ranger, archiver, retravailler pour le procès de Bordeaux contre l’appel de la direction Sncf. À ce propos, mon oncle Guy, révolté par la dernière audience, a enfin décidé de témoigner sur son terrible voyage vers Drancy.

9-4

Côté « circonscription » justement, je rencontre le maire d’Arcueil, Daniel Breuiller pour discuter… de la 11e circonscription du 94, de l’agglomération du Val-de-Bièvre et, d’une façon générale, de la situation dans le Val-de-Marne où le PCF, dont il pense l’agonie irréversible, risque de faire perdre à la gauche le département et quelques nouvelles villes aux élections locales de 2008. On prévoit de se revoir… après les élections nationales en cours.

Daniel est un ex-communiste, ex-fitermanien (la CAP…), aujourd’hui bovétiste. C’est un cas particulier : il est content que la clarification soit faite entre Bové et les communistes (Buffet, Besancenot). Parlant municipales, il insiste qu’il faut apprendre à mettre les mains dans le cambouis et traiter vraiment les problèmes des gens. Je suis bien d’accord, mais lui fais observer qu’avoir fait le choix de planter les gens dans l’Europe de Maastricht-Nice, plutôt que de profiter des avancées (limitées mais substantielles) du TCE, n’est pas particulièrement faire preuve d’un souci de mettre les mains dans le cambouis. Il me répond en rigolant : « Bon, chacun met sa radicalité à l’étage qu’il veut ! » Certes, encore faut-il comprendre en quoi il était radical d’avoir laisser un demi milliard d’Européens barboter dans Maastricht-Nice.

PacteDeStabilité

Justement, le CHDE (Cycle des hautes études pour le développement économique, organe de formation du ministère des finances), m’invite à un débat avec l’eurodéputé UDF Jean-Louis Bourlanges, Marc Laffineur, député du Maine-et-Loire UMP, et un profeseur allemand, Markus Kerber, sur la réforme du pacte de stabilité. Le Prussien, comme il se désigne lui-même dans un français parfait, explique que le laxisme du pacte de stabilité réformé nous mènera un jour à la catastrophe. Stupéfaction dans la salle : tous les Français s’imaginaient que nous n’avions pas réformé le pacte de stabilité et qu’il reste un corset.

Je leur raconte mon point de vue sur la réforme du pacte de stabilité (réforme que les Verts ont approuvée, même si ce n’est qu’un pas dans le bon sens). Il y a en gros deux problèmes distincts.

D’une part, le choix entre une gouvernance économique fondée sur les politiques « discrétionnaires » d’une instance politique démocratiquement responsable (par exemple, un gouvernement responsable devant un parlement élu : il fait ses choix et, s’il se plante, il perd sa « réputation » et est viré le coup d’après) ou le gouvernement par les règles. Actuellement, la politique monétaire est menée de façon discrétionnaire par la Banque centrale européenne, qui n’obéit à aucune règle, mais se voit fixer des objectifs. Objectifs qu’elle peut même changer : en quelques années, elle est passée d’un objectif d’inflation « en moyenne entre 0 et 2% » à un objectif « inférieur, mais proche de 2% ». Mais elle n’est pas démocratiquement responsable. En revanche, la politique budgétaire était corsetée par des règles : « pas plus de 3% de déficit et retour à l’équilibre en moyenne ».

Et puis il y a le problème du fédéralisme budgétaire européen. À partir du moment où nous ne sommes pas une fédération comme les États-Unis (où Roosevelt avait porté le budget fédéral à un poids suffisamment significatif pour avoir une influence macro-économique), le budget européen ne peut pas servir comme outil de stimulation de l’activité, tout au plus peut-il servir à accélérer des politiques structurelles. En revanche, un système de règles intelligentes, avec une flexibilité démocratiquement contrôlée (par exemple, par le Parlement européen) permettrait de coordonner les politiques budgétaires des États membres, en les incitant à faire du déficit en période de récession et à les résorber en période d’expansion (contrairement à ce qu’a fait Fabius en 2000). Et, en plus, à orienter ce déficit vers les investissements structurels (recherche, éducation, sauvegarde du climat) en ligne avec les orientations de la stratégie de Lisbone-Göteborg.

Comme je l’ai expliqué sur ce site, la réforme du pacte de stabilité en 2005 (qui a pris la forme, non d’une modification de son texte, mais d’une modification de son mode d’application, le « reglement du Conseil ») est un pas dans cette direction.

Jean-Louis Bourlanges n’est pas loin de penser comme moi sur la plupart de ces sujets, ce qui m’amène au problème du positionnement des centristes de l’UDF dans cette présidentielle.

UDF

Je l’ai dit sur ce blog, l’UDF poursuit une politique assez versatile, la déportant tantôt vers l’ultralibéralisme (il y a quelques trimestres elle votait encore les pires horreurs), tantôt vers le centre gauche. J’ai rapporté ici les excellentes interventions récentes de notre collègue Lehideux. Et je ne vais surtout pas me plaindre quand l’UDF se déplace vers la gauche. À mon avis, ce récent recentrage de l’UDF est un « effet européen ». En 2004-2005, les eurodéputés UDF étaient coincés dans un groupe ALDE dominé par les libéraux allemands et britanniques. Aujourd’hui, au sein de l’ALDE s’exprime aussi ce qu’il y a de gauche démocratique, moderniste et pro-européen dans les nouveaux pays de l’Union (notamment en Pologne, en Lituanie), et surtout … la Marguerite, le parti de Romano Prodi, qui, en obligeant toute la gauche italienne à se regrouper autour de lui (y compris Rifondazione Comunista), a battu Berlusconi. Et ce modèle Prodi est évidemment le pari de Bayrou.

De là à penser qu’il serait raisonnable de miser sur l’UDF pour faire battre Sarkozy, il y a un pas que je ne me résoudrai pas à franchir, à moins d’y être obligé. Rappelons qu’en 1995, à la fin de la seconde présidence Mitterrand, après la renonciation de Jacques Delors, certains au PS avaient tenu le même raisonnement en souhaitant opposer Raymond Barre à Jacques Chirac… C’est vrai que, sur le papier, il est plus facile de faire gagner au second tour un centriste qu’une femme de gauche, face à un enragé de droite ! Dans un duel Sarkozy-Bayrou, Bayrou entraînerait beaucoup de ceux qui ont préféré Chirac à Le Pen en 2002. Mais le problème, c’est qu’il ne suffit pas de gagner l’élection présidentielle, il faut gagner pour faire quelque chose, et pour cela il faut remporter les élections législatives sur un programme de transformation. Or les députés de Bayrou sont élus dans des circonscriptions de droite, par des électeurs de droite. On peut concevoir, si nécessaire, de construire une majorité parlementaire avec eux une fois qu’ils sont élus. Avant, et sauf à retirer le candidat socialiste dans les circonscriptions où ni l’UDF ni le PS ne peuvent battre l’UMP, c’est plus difficile !

On retrouve là la catastrophe structurelle provoquée par Jospin avec « l’inversion du calendrier électoral ». Les alliances pour l’élection décisive (celle à l’Assemblée nationale, car la constitution française reste parlementariste) ne peuvent être négociées qu’à tête reposée, avant les élections. En commençant par la présidentielle, on oblige la gauche à se diviser avant de s’unir et même de négocier.

LePS

Et ce qui est le plus inquiétant dans cette campagne, c’est que la gauche, toutes tendances confondues, ne présente pas un visage tel que l’on puisse penser qu’elle représente une alternative de gouvernement soutenue par une majorité parlementaire quelconque.

Ne nions pas que, dans ce chaos de la gauche, l’attitude de certains « grands élus verts » porte sa part de responsabilité. Quand la moitié des eurodéputés Verts appelle publiquement à voter Hulot après la désignation de Dominique Voynet, quand la moitié des sénateurs verts, après le referendum interne qui avait choisi le Oui, appelle publiquement à voter Non, et aujourd’hui (plus discrètement il est vrai) penche plutôt pour Bové, quelle crédibilité, quel pouvoir de négociation reste-t-il aux Verts vis-à-vis du PS ?

Ne nions pas non plus que les nouvelles fractures (sur le foulard, sur l’Europe) apparues à gauche minent sans doute son attractivité pour un bon bout de temps.

Mais, sur le court terme, la responsabilité du PS dans la situation à gauche est écrasante. Ce qui plombe Ségolène, c’est d’abord et avant tout l’attitude du Parti socialiste, qui refuse énergiquement d’afficher avec qui il veut gouverner. Ou plus exactement, le PS affiche sa volonté de ne gouverner qu’avec le MRG, le MRC et le PCF (bref, l’Union de la Gauche de 1972), bloquant, au niveau des signatures des maires, la possibilité de toute autre candidature capable de regrouper les voix qui lui manquent. Vraiment de quoi enthousiasmer les foules altermondialistes et écologistes !

Ah, certes, Ségolène n’a pas, contrairement à Jospin, de problème de premier tour sur son flanc gauche. Elle a un énorme problème de second tour.

Ce qui avait permis la victoire de 1997, que beaucoup (comme Juppé) avaient crue impossible, c’était l’affichage de « l’union de la gauche et des écologistes ». Une coalition sans doute difficile, mais appuyée sur un programme - peut-être insuffisamment précis – d’engagements, dont une série de mesures phares portées en commun et qui pouvaient satisfaire tous les partenaires : les 35 heures, la fermeture de Superphénix, la parité, le PACS…

Aujourd’hui, rien de tel. Qui peut se dire en rêvant : « Si Ségolène passe, j’aurais ça… » ? Un porte-parole de Ségolène, le noniste Arnaud Montebourg, se permet même de rejeter les voix écologistes en promettant la construction de l’EPR et la relance du nucléaire !

Résultat : le problème le plus grave dans les sondages n’est plus cette fois la faiblesse de Ségolène au premier tour. Elle monte ou descend au gré de ses dernières prestations télévisuelles, des incidents de son comité de campagne, des soi-disant bourdes qu’elle commet. Non, le problème de la gauche, c’est que, toutes tendances confondues, Blanche Neige et les 7 nains écologistes ou « anti-libéraux », dans les sondages, elle représente à peine 40 % !

Ce n’est probablement pas que les gens ne veulent plus aller à gauche. Cela veut dire qu’actuellement, la gauche, dans ses différentes composantes, n’est ni crédible ni désirable aux yeux de l’électorat. Elle n’est pas désirable faute d’un programme alliant le social et l’écologique. Elle n’est pas crédible faute d’une alliance solide et proclamée avant la présidentielle, entre les forces qui pourraient constituer une majorité parlementaire.

Et c’est dans ce blocage voulu par le PS que se glisse Bayrou. Supposons que le blocage PS perdure, que le PS persiste à refuser toute négociation sur un programme de législature et parvienne même, horrible scénario, à bloquer toute candidature en dehors de Royal et Buffet. Il s’imagine quoi ? que l’électorat potentiel de Voynet, Besancenot, Bové, fou de rage contre le PS, se reportera docilement sur Buffet et de là sur Royal ? Et pour quelle raison ? Pour battre Sarkozy ? Mais si ce n’est « que » pour battre Sarkozy, le meilleur candidat c’est Bayrou ! et donc, dès le premier tour voter Bayrou, même si cela donne automatiquement une majorité de droite aux législatives de Juin.

Ce « scénario de l’inacceptable » est pourtant « carte sur table », comme on dit au bridge. Heureusement la politique n’est pas le bridge, en ce sens que les femmes et les hommes qui la font peuvent changer la donne. Il ne leur reste plus beaucoup de temps. Quelques jours pour que le PS débloque les signatures des maires permettant l’expression de partenaires sur sa gauche, quelques semaines pour doter l’éventuelle victoire de Ségolène d’un prolongement parlementaire et gouvernemental sur un projet de transformation écologique et social.



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