Sommet des Oui. Demain , l’appel SNCF
par Alain Lipietz

lundi 29 janvier 2007

Rentré de Nairobi, je lis en rigolant les réactions stupéfaites ou indignées de la presse française devant le sommet des 18 ministres des affaires étrangères des pays ayant déjà voté Oui au TCE, rejoints par la Suède et l’Iralande qyui n’ont pas encore voté. La France découvre avec horreur que la grande majorité des peuples européens en a un peu marre du blocage et, pire, du silence français. L’ombre d’une « coopération renforcée » se dessine entre les pays voulant aller de l’avant vers une Europe plus politique, et démocratique, laissant sur place les pays qui veulent en rester à l’ultra-libérale Europe de Maastricht-Nice. Dans cette Europe à deux vitesses, la France serait ainsi reléguée en compagnie des pays ultra-libéraux : la Hollande, qui a voté Non, et la Grande Bretagne, qui s’apprêtait à le faire, ou xénophobes (toujours la Hollande, et la Pologne), ou obsédés par la religion (la Tchéquie et la Pologne) et qui voteraient non parce que Dieu n’est pas dans la Constitution.

Ceux qui nous ont rebattu les oreilles avec la « volonté populaire » découvrent avec étonnement que la grande majorité des peuples a voté Oui, indirectement par la voie parlementaire, ou directement, par référendum (55% de Oui sur l’ensemble des pays ayant voté par référendum).

Je souhaite de tout mon cœur que la France rejoigne enfin le train. Les pays ouiouistes se sont dits d’accord pour faire des concessions aux pays nonistes. Le problème, c’est qu’entre la Hollande et la France, il y a sans doute autant de nonistes pour amender le TCE vers la droite que vers la gauche ! Et le pire, c’est encore une fois le silence des « nonistes de gauche », ceux qui nous avaient juré que le non enclencherait une dynamique qui permettrait un bien plus grand pas en avant que le TCE…

Ce soir, je pars pour Bordeaux dîner avec mes parents et Maître Gérard Boulanger, avocat des victimes de Papon, à la veille du procès en appel interjeté par la SNCF, dont l’audience à lieu le lendemain devant la Cour d’Appel Administrative de cette ville. Ce sera pour moi un très grand plaisir de rencontrer Me Boulanger, l’initiateur et l’artisan infatigable du Procès Papon, qui a repris le collier pour défendre quelques familles juives qui se sont engouffrées dans la brèche ouverte par le succès de mon père à Toulouse.

J’avais adoré son livre Plaidoyer pour quelques juifs obscurs victimes de Monsieur Papon, où il retraçait ses années de galère… et déjà les mêmes problèmes que nous, et déjà avec Arno Klarsfeld… mais pas encore Annette Wieviorka, qui doit bien, à elle seule, avoir assuré les deux tiers de la campagne médiatique contre mon père (voir mes réponses à cette « historienne » ici et ). Heureusement, nous recevons le soutien indigné de nombreuses familles de victimes (voir la sèche réponse de la Coordination des enfants juifs de France survivants de la Shoah à Annette Wieviorka).

Vous avez pu lire sur le site de notre avocat, mon beau-frère Rémi Rouquette, la réponse au mémoire de la SNCF, datant d’octobre, et vous pouvez y lire maintenant la réponse à la réponse de la SNCF, le « duplique ». (Sur le site de ma sœur Hélène, on vous explique ce que c’est qu’un duplique).

La tension monte dans la famille qui s’apprête à rejoindre Bordeaux. J’avoue que pour moi, ce procès en appel est beaucoup moins important que celui de Toulouse. Seule la SNCF a fait appel, et la condamnation de la SNCF, à mes yeux, est assez secondaire. L’important est qu’à Toulouse, l’État ait été condamné comme responsable, et l’État n’a pas fait appel. Le fait que la SNCF ait été condamnée séparément de l’État est tout à fait secondaire. La gendarmerie (qui a pourchassé les résistants, arrêté les juifs, gardé les enfants de Drancy sous la menace des fusils, ce qui était le pire des souvenirs de mon père), la justice administrative (qui n’a pas pris la défense des juifs arrêtés), l’Université (qui n’a pas hésité à épurer ses professeurs juifs)… font partie de l’État et sont donc condamnés au titre de « l’tat français ». La SNCF est jugée à part parce qu’elle n’était à l’époque qu’une entreprise à majorité publique à 51 %. Si elle avait eu le même statut que La Poste, elle aurait été condamnée à l’intérieur de la personne morale générale « l’État », et ce second procès n’aurait pas lieu.

Cependant, ce procès en appel présente cette utilité d’isoler un corps particulier de collaborateurs (les barons du rail et hauts fonctionnaires qui géraient alors la SNCF), et de disséquer les raisons de leur collaboration à la Shoah, depuis l’abominable « bureaucratie inhumaine » (comme le dit Paul Mingasson, le secrétaire général actuel de la SNCF) qui amène « aujourd’hui comme hier » (comme dit toujours Mingasson) à refuser de l’eau aux malheureux plutôt que de ralentir les trains, jusqu’à la volonté parfaitement consciente de faire souffrir les juifs au maximum avant de les livrer aux Allemands.



Reproduction autorisée avec la mention © lipietz.net http://lipietz.net/?page=blog&id_breve=208 (Retour au format normal)