REACH évidée. TV publicité. Re-Constitution. Energie.
par Alain Lipietz

vendredi 15 décembre 2006

Parlement

Nouvelle semaine décourageante à Strasbourg. D’abord, mauvaise nouvelle pour le groupe Verts-ALE : la droite de la droite se restructure
et forme un groupe plus gros que le nôtre. J’ai expliqué ailleurs que la droite de la droite et l’extrême droite se répartissent en trois groupes, l’UEN (en fait plutôt droite de la droite, avec notamment les ex-fascistes de Fini et U. Bossi de la Ligue lombarde en Italie), Indépendance et Démocratie, où on trouve de Villiers et les Italiens restés fascistes (c’est le groupe que publie parfois Bellaciao), et enfin les totalement infréquentables ou les inclassables (Front National, Vlams Belang, Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni et autres) qui restent non inscrits. UEN, qui colle de plus en plus au Parti populaire européen (PPE) et y assure avec les libéraux-démocrates (ALDE) une majorité confortable, vient donc de récupérer 8 Polonais, pris essentiellement à Indépendance et Démocratie, mais aussi un ex-communiste pris au groupe PSE (Parti socialiste européen). Ils y sont maintenant 20 Polonais sur 44, représentant toute la coalition gouvernementale des jumeaux Kaczynski ( Droit et Justice, Samoobrona, Ligue des Familles Polonaises).

Du coup, avec nos 42 députés Verts-ALE, nous devenons le 5e groupe du Parlement, ce qui diminue un peu notre pouvoir déjà pas bien grand. Avec l’arrivée de la Roumanie et de la Bulgarie, ça risque de s’aggraver car quelques ex-communistes risquent bien d’aller à la GUE (41 députés principalement communistes) qui deviendrait, elle aussi, plus grosse que nous.

Reach

Mais cette semaine, le gros sujet est le vote sur Reach (Enregistrement et évaluation des substances chimiques) en seconde lecture. On se souvient qu’en première lecture, le Parlement européen avait voté un texte pas trop mauvais, imposant l’obligation d’évaluer 30 000 molécules chimiques, et, lorsqu’elles s’avéraient dangereuses, de les remplacer par des molécules de substitution. Pour le principe de l’enregistrement et de l’évaluation, c’était beaucoup moins que ce qui aurait été nécessaire. Depuis la deuxième révolution industrielle, 100 000 molécules au moins se promènent dans la nature sans que jamais on se soit soucié d’identifier leurs effets. Certaines sont probablement responsables du doublement des cancers en vingt ans et de l’effondrement de la fertilité masculine. Quant au principe de substitution obligatoire pour les molécules identifiées comme dangereuses, on n’avait fait que suivre ce que préconisait la voie du protocole de Montréal contre les fréons, CFC (chlorofluorocarbones) et HCFC (hydrochlorofluorocarbures), qui détruisent la couche d’ozone.

Naturellement, le Conseil des gouvernements, sous la pression des lobbies de la chimie, avait considérablement amoindri ce texte en réduisant ses exigences, évidant par exemple le principe de substitution, mais, pour la deuxième lecture, la Commission environnement avait rétabli la plupart des exigences du Parlement. Cela avait permis de repérer une forte minorité de députés du PPE prêts à voter en plénière pour un retour à ce niveau de protection. On serait alors allé vers une « conciliation » entre le Parlement et le Conseil, débouchant sans doute sur une cote moyenne entre la position de la Commission environnement et celle du Conseil.

Eh bien non. Le rapporteur, le socialiste italien Guido Sacconi, tournant le dos à cette possibilité d’une majorité d’idées, s’en fut négocier directement avec la direction du PPE pour un accord de l’ensemble des deux grands groupes. Ce choix fut sans doute inspiré par la toute puissante chimie allemande qui, à travers le gouvernement de grande coalition Merkel, influence les deux grands partis nationaux allemands, et donc les groupes PPE et PSE.

Comme, naturellement, les libéraux-démocrates et l’UEN ne pouvaient que s’allier à cette grande coalition européenne aux ordres de la chimie, nous nous sommes retrouvés seuls, avec les communistes, pour essayer de défendre la santé des Européens. Bataille évidemment largement perdue.

Sur les chaînes de télé françaises, toute l’après midi et jusqu’en début de soirée, il semble évident qu’en plus, la chimie a gagné la bataille de la communication : cette Reach évidée, remplaçant l’obligation de substitution par de vagues engagements, est présentée comme une victoire des consommateurs et de la défense de l’environnement humain ! Ce n’est que tard dans la soirée que, sans doute sous la pression des communiqués rageurs des Verts et des associations écologistes, les média commencent à se rendre compte, dans les interviews, que la santé est la grande perdante de cet affrontement.

Cela dit, si les associations de consommateurs (ou de malades !) savent s’emparer de la Directive Responsabilité des entreprises en matière environnementale, elles pourront faire des procès aux entreprises qui, au moins, auront dû enregistrer les molécules qu’elles utilisent. Hélas, il sera sans doute trop tard. Mais nous pourrons alors dire aux entreprises de la chimie : « Vous avez voulu les profits au détriment de la santé, vous avez ruiné notre santé et vous serez ruinées vous-mêmes. »

TV

Deuxième lourde défaite de la semaine : la révision de la Directive Télévision sans frontière. Là encore, les lobbies industriels ont gagné : la publicité télévisée pourra couper les émissions toutes les… 30 minutes ! Bien entendu, les États et les chaînes pourront faire mieux, mais l’Europe a perdu une nouvelle occasion de se montrer protectrice.

Elargissement

Tout de même, nous avons quelques satisfactions. Les rapports sur l’élargissement, et surtout sur les conditions « internes » de l’élargissement (c’est-à-dire « À quel point l’Union européenne doit-elle approfondir son unité pour pouvoir accueillir, valablement et sans risque de paralysie, de nouveaux membres ? ») offrent de précieuses indications sur l’évolution des idées en matière de révision constitutionnelle. Car, comme on le sait, les élus n’ont pas l’intention de laisser les gouvernements régler seuls cette question en Conférence inter-gouvernementale.

Le rapport Brok parle plutôt de la stratégie pour l’élargissement, et concerne essentiellement les pays de l’ex-Yougoslavie et la Turquie, c’est-à-dire tout ce qui, dans les Balkans, reste en dehors de l’Union européenne. Un paragraphe d’apparence anodine, affirmant que le traité de Nice n’offre pas une base adéquate pour des élargissements futurs, provoque une division chez les communistes : 14, dont Francis Wurtz, votent pour, 11 votent contre, rejoignant les deux groupes d’extrême-droite. Lors du vote final sur le rapport Brok se confirme l’apparition d’une tendance pro-européenne au sein du groupe communiste, autour de Sylvia-Yvonne Kaufman, de l’ancienne présidente du Parti ex-communiste ex-Est allemand, Gabrielle Zimmer et de l’Italien Agnoletto. Les autres communistes votent contre le rapport Brok avec l’extrême-droite, les souverainistes anglais et tchèques du PPE, et le souverainiste Vert suédois Carl Schlyter. L’UEN se divise en deux…

Le groupe communiste pro-européen se manifeste à nouveau lors des votes sur le rapport Stubb à propos de la capacité de l’Union à intégrer de nouveaux membres. Ce qui est très intéressant, c’est que ce rapport détaille les acquis du TCE qui doivent absolument être confirmés dans la future renégociation constitutionnelle. Le paragraphe sur « la nécessité d’un élargissement substantiel des cas de votes à la majorité qualifiée » obtient le soutien des mêmes communistes, la droite souverainistes anglo-tchèques du PPE et la majorité de l’UEN s’y opposant avec le reste des communistes et bien sûr Carl Schlyter. Sur ce point, Francis Wurtz s’abstient.

Un deuxième paragraphe exigeant l’égalité entre le Parlement et le Conseil dans les votes législatifs et sur le budget obtient une large majorité (il se trouve quand même 76 députés pour voter contre leur propre pouvoir : l’extrême-droite et quelques communistes ! Même Schlyter s’abstient, Wurtz vote pour). Même chose pour la création d’un ministre européen des affaires étrangères. L’élection du Président de la Commission par le Parlement européen trouve une majorité à peine plus faible.

Une curiosité, le vote sur un amendement Vert rédigé par l’autrichien Joannes Voggenhuber à propos des limites de l’Union. Il écrit en substance (mais il faut l’entendre le dire en allemand !) : « Le processus d’intégration atteindra ses limites quand les objectifs d’établir une politique basée sur des valeurs communes et sur la cohésion sociale risqueraient d’être remis en question ». Cet amendement n’ayant pas eu le soutien des autres groupes en Commission des affaires constitutionnelles, il n’est pas soutenu par ces groupes en plénière. Il ne recueille que les voix de tous les Verts et de… presque tous les Français ! De Jacques Toubon à Francis Wurtz, ce mélange de Descartes et de Renan a dû sonner agréablement aux oreilles de notre culture nationale.

Signalons par ailleurs la création d’un fonds pour aider les démocrates en lutte par dessus la tête d’un gouvernement dictatorial (beau succcès pour notre amie Hélène Flautre) et d’un fonds pour aider à la reconversion des victimes de la globalisation commerciale (rapport Roselyne Bachelot)…

Climat

Dernière satisfaction de la semaine, le vote sur les objectifs en matière de lutte contre l’effet de serre. Il s’agit de d’influencer à l’avance un paquet de textes que la Commission doit nous présenter en janvier prochain. Ce texte fixe des objectifs en apparence ambitieux, et tout à fait conformes aux objectifs à long terme de la Conférence des Parties de la Convention sur le climat de Buenos Aires : un engagement de réduction des émissions de gaz à effet de serre de - 30% en 2020 par rapport à 1990, et de – 60 à - 80% (c’est à dire en gros une division par 4) d’ici 2050. Un échéancier ambitieux est également fixé pour les renouvelables et pour l’efficacité énergétique, mais évidemment toute la question est de savoir si on compte le nucléaire parmi les énergies renouvelables ! Sur ce point, la droite (PPE) propose un amendement très dangereux : il remplace les mots « énergies renouvelables » par les mots « à très faible production de gaz à effet de serre », ce qui implicitement inclurait le nucléaire (qui n’est pas une énergie renouvelable, mais produit effectivement peu d’effet de serre). Cet amendement est majoritairement repoussé, ainsi qu’un amendement laissant entendre que le nucléaire est fiable. La majorité européenne, même de droite, reste donc anti-nucléaire.

Mais (c’était trop beau) les choses se gâtent quand on en vient à la part de la biomasse dans les énergies substituables, auxquelles le rapport Langen est entièrement consacré. Là, il est clair qu’il s’agit essentiellement d’une victoire du lobby de l’agro-énergie et non des énergies renouvelables ! Tous nos amendements, visant à exclure la production de biomasse qui entrerait en concurrence avec la production alimentaire, en particulier dans le Tiers monde, ou qui se ferait au détriment d’écosystèmes riches en biodiversité, sont repoussés.

Dans le triangle des risques énergétiques, les énergies fossiles et l’énergie nucléaire viennent de perdre des points. La compétition pour l’usage des sols n’en devient que plus dangereuse… Une seule solution : sobriété et économies d’énergie !

Bon, mercredi soir, fête de fin d’année des Verts. On a bien dansé…



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