Mercredi à Strasbourg se confirme ce qu’on pressentait : la Directive « Services » (ex-Bolkestein) est définitivement adoptée par capitulation du Parlement abandonnant ses prérogatives législatives au Conseil. Je raconte les ultimes événements dans l’article que j’actualise depuis près de deux ans, Où en est la directive Bolkestein ?
Le compte-rendu des services du Parlement donne un exposé assez objectif de ce qui s’est passé et cite les prises de position des différents groupes.
On se souvient qu’en février, en première lecture, nous avions gagné sur le rejet du « principe du pays d’origine », mais perdu sur l’exclusion des services publics du champ de la directive. Raison pour laquelle nous (les Verts) avions voté contre l’ensemble du texte ainsi amendé. Mais nous n’avions pas complètement perdu sur les services publics : le texte issu du vote du Parlement excluait quand même du champ de la directive les services sociaux « tels que » le logement social et les services aux familles (mais dans des formulations qui réduisent le « social » aux plus démunis).
Tous les efforts ultérieurs pour exclure les services publics du champ de la directive et rétablir l’article 122 éliminé avec le TCE (dont même les communistes avaient compris, mais un peu tard, la pertinence) avaient échoué : ce fut la triste saga du Rapport Rapkay sur le Livre Blanc sur les services publics.
Pendant ce temps-là, la Commission puis le Conseil restreignaient encore la portée des amendements de février, en supprimant par exemple les mots « tels que » précédant la liste des services sociaux exclus du champ de la directive Services. La liste donnée à titre d’exemples (logement, aide aux familles) devenaient du coup une liste limitative ! Et, il y a un mois, la Commission Marché Intérieur du Parlement, en charge du dossier, recommandait au Parlement de s’en tenir au texte tel qu’issu de l’examen en Conseil, sans même revenir en seconde lecture aux formulations de la première lecture.
Depuis, nous n’avons reçu que quelques lettres ou mails des citoyens concernant la seconde lecture. Les militants du Non de gauche, qui avaient tellement agité la menace Bolkestein pendant la campagne du referendum, semblent s’être évaporés, ou enlisés dans leurs batailles internes pour le contrôle d’ATTAC ou la désignation des candidats présidentiels du PS et de la « gauche de la gauche ». Quant aux syndicats, qui s’étaient victorieusement mobilisés dans toute l’Europe contre le principe du pays d’origine sur les règles salariales, ils se sont à peine manifestés lors du rapport Rapkay, et plus du tout sur la directive Services.
Dans ces conditions, c’est mission impossible sur le strict terrain parlementaire. La petite bataille d’amendements livrée par les Verts et les communistes de la GUE est néanmoins significative.
D’abord, un amendement de rejet global de la position du Conseil n’est voté que par les communistes, nous-mêmes, et une partie des députés souverainistes et d’extrême droite. Puis s’ouvre la bataille d’amendements proprement dits, qui se heurte au mur de l’accord PPE-PSE pour s’en tenir à la position du Conseil. Les meilleurs scores sont atteints pour notre amendement rétablissant les mots « tels que », c’est-à-dire ne restreignant pas le champ des services sociaux aux seuls logement social et services aux personnes les plus défavorisées. Cet amendement recueille les mêmes soutiens, plus la plus grande partie des socialistes français, belges et même italiens, ainsi que quelques députés libéral-démocrates appartenant en Italie à la coalition de Prodi. Mais même cet amendement, qui pourtant ne fait que revenir au vote en première lecture du Parlement, ne recueille que 149 voix, les autres socialistes, les députés français UDF, et bien sûr les députés UMP entérinant leur capitulation devant la position du Conseil et renonçant à défendre les services publics.
Nous nous abstenons ou votons contre des amendements communistes ouvertement national-protectionnistes, parfois quasi-médiévaux, tel l’amendement interdisant aux entreprises l’usage de l’internet pour transmettre depuis le siège du pays d’origine les documents réclamés par les autorités du pays d’activité ! Cet amendement ne précisait pas s’il fallait utiliser des parchemins recopiés et illustrés par des moines et envoyés par pigeon voyageur…
Finalement, le Parlement adopte en seconde lecture une poignée d’amendements mineurs. Ces amendements « comitologiques » (sur le suivi administratif) seront repris en seconde lecture par le Conseil (il l’a déjà annoncé). La messe est dite.
Au total, la bataille parlementaire sur la Bolkestein aura permis une victoire totale sur « le » point qui a suscité la mobilisation du mouvement syndical : l’exclusion du principe du pays d’origine. En revanche, la bataille pour l’exclusion des services publics du champ de cette directive, perdue en réalité au moment du vote du TCE avec la disparition de l’article 122, n’aura pu être menée à bien, faute d’unité des forces progressistes sur ce sujet.
Est-ce grave, docteur ? Probablement pas tellement. De toute façon, des directives sur les services publics, qu’il s’agisse des grands services en réseau ou qu’il s’agisse des services sociaux, ont déjà été et continueront d’être votées secteur par secteur. De plus, la directive Services n’est jamais qu’une directive, c’est-à-dire qu’elle doit être transposée en droit national, et là, il faut s’attendre à grande marge d’interprétation. En réalité, le flou juridique de la directive Services offre un pouvoir considérable d’appréciation à la Cour de Justice de Luxembourg.
La bataille sur la Bolkestein est terminée. La lutte pour la défense des services publics et des Biens Communs continue…
Et il n’y a pas que la Bolkestein dans la vie parlementaire. Mercredi, visite de divers lobbies. Accueil d’une classe de lycéens d’Ivry. Je leur fais voir l’hémicycle depuis la tribune.
Nous lorgnons une classe anglaise qui s’assoit à côté de nous. Les musulmanes y arborent des foulards, turbans et voiles des plus variés…
Jeudi, derniers votes de la semaine. Il y a par exemple le rapport sur la stratégie européenne de défense. Les Verts, pacifistes et non-violents, votent contre, mais la bataille d’amendements autour de la subordination des forces européennes à l’OTAN, affirmée par le traité actuel, et qui aurait été supprimée par le TCE qui ne parlait plus que de « compatibilité pour certains pays désirant appartenir à l’OTAN », aboutit à des équilibres subtils qui réaffirment pour la première fois (après le Non) l’autonomie stratégique des forces européennes.
Également, rapport intéressant sur les femmes en politique, la lutte contre le trafic d’êtres humains et, comme je l’avais annoncé hier, un bon rapport sur la situation à Gaza.