Ecologie politique à Cuba
par Alain Lipietz

vendredi 29 octobre 2004

Comme tous les ans, la Fondation Heinrich Böll (celle des Verts allemands) organise à Cuba une réunion des spécialistes d’écologie politique d’Amérique Latine. J’y suis régulièrement invité du fait de mes liens à la fois intellectuels et politiques avec l’Amérique Latine. De même, cette année, le très grand écologiste catalan Joan Martinez-Alier, très lié au monde andin et amazonien, est là aussi.

Il ne s’agit pas d’une réunion politique des Verts (même si certaines de ces intellectuels sont Verts, comme Manuel Baquedano, de l’Institut d’Etudes Politiques chilien), mais bien de chercheurs en écologie politique. Cet aspect "académique" garantit notre neutralité, notre innocuité par rapport au régime castriste. On peut dire que l’on a choisi La Havane comme on aurait choisi Quito : un noeud aérien pour l’Amérique Latine, entre le Mexique, le Brésil, et le Chili.

Bien sûr, ce n’est pas vrai. La première fois, il y a quatre ans, c’était aussi un moyen de resserrer les liens, noués par la Fondation Heinrich Böll, avec les ONG qui fleurissaient alors à Cuba. Elles jouaient de l’ambiguïté du "pouvoir populaire", ces comités de base un peu plus indépendants du Parti que le régime encourageait à l’époque. Certains s’appuyaient sur les liens, les expériences et les financements noués à l’occasion des forums altermondialistes autour des grandes conférences de l’ONU des années 90, tout particulièrement la conférence Habitat d’Istanbul. Les expériences d’autoconstruction, de potagers bio, fleurissaient. Nous étions accueillis dans ces marges démocratiques du régime, et leurs militants venaient à notre conférence.

Un an après, c’était déjà presque fini. Le régime s’était durci dès que le mouvement démocratique avait commencé à s’exprimer politiquement. Face à une simple pétition, la répression avait été terrible : les condamnations furent beaucoup plus dures que celles subies par Castro et ses amis de la part du régime Batista, à la suite de sa première attaque à main armée d’une caserne.

L’an dernier, rien. En représailles contre l’Allemagne, qui invite à des réceptions officielles des représentants de l’opposition cubaine, le régime interdit les réunions financées par les pays de l’Union Européenne.

Cette année, légère détente. La réunion se tient, mais elle est strictement académique. Il y a des Cubains (politiquement intéressants, d’ailleurs) mais ils sont là à cause de leur rapport à l’écologie scientifique.

Sinon, dans la rue, c’est toujours pareil. La Havane, c’est beau, c’est pauvre mais pas trop (les plus pauvres des Cubains doit être mieux que la moitié de l’Amérique Latine), c’est animé, joyeux et sympa, culturel et musicien, ça vit au crochet du tourisme qui a remplacé le sucre. La prostitution est un peu moins voyante mais corrompt de son ombre les rapports avec les étrangers. Et ça roule (Chavez a donné quelques barils).

Sinon, la conférence ? Très bien. Un impressionnant exposé de Maria-Fernanda Espinosa (qui travaille à l’Union Internationale pour la Coservation de la Nature, et sait de quoi elle parle) montre comment les grandes ONG conservationnistes (WWF, Conservation International, The Nature Conservation), à partir d’une excellente idée - protéger la biodiversité contre l’agriculture industrielle exportatrice - achètent d’immenses réserves en Amérique Latine qui commencent à poser de sérieux problèmes économiques, sociaux et politiques. Leur budget atteint facilement le centuple de celui des ministères de l’environnement locaux. De moins en moins liées aux ONG locales, elles évincent les petits paysans, les peuples indigènes. Les représentants des différents pays donnent alors des détails : au Costa Rica, 30 % de la zone forestière est aux mains de ces ONG, et le Costa Rica doit maintenant importer 60 % de sa nourriture.

L’expression de "latifundisme conservationniste" vient sous ma plume. L’intention, les rapports sociaux sont différents, le résultat est le même. La propriété privée du sol, au lieu d’une régulation politique, peut certes protéger la nature, mais à quel prix pour la démocratie ! En fait, par une ruse de l’Histoire, le projet des USA de Bush Père à la veille de Rio est en train de s’accomplir : l’environnement ? C’est une histoire de forêt tropicale, yaka empêche les paysans du Sud de s’en servir.

Ruse de l’histoire ? En fait, ces ONG sont de plus en plus financées par les USA de Bush fils.



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