Réflexions d’été. Liban.
par Alain Lipietz

dimanche 20 août 2006

Les vacances s’achèvent : zigzags à travers les Alpes du Sud et la Haute Provence, entrecoupés de visites aux médecins, kinés, etc… Francine va nettement mieux, et j’ai fait des progrès en massage… Malgré cette difficile convalescence, ce furent de magnifiques vacances : randonnées splendides, superbes villages, abbayes, etc…

J’ai redécouvert les gorges du Verdon… débouchant maintenant sur le lac de Sainte-Croix. Quand je les avais parcourues il y a tant d’années, il n’y était pas ! Du coup ces gorges sont devenues un haut lieu touristique qui pèse sur de minuscules communes sans revenus. Elles en ont d’autant moins que la nature y est mieux protégée. Un problème déjà rencontré à Sainte-Anne, en Martinique. Là-bas, le maire Garcin Malsa faisait payer un parking d’accès à l’unique belle plage de l’île, qu’il avait su préserver. Ici, solution originale : la mairie fait la quête !

À l’abbaye de Sénanque, extraordinaire librairie. J’achète le livre de Dietrich Bonhoeffer Résistance et soumission. Bonhoefer était un théologien allemand, radical, dont mes copains protestants de gauche me disaient le plus grand bien dans ma jeunesse. Il s’engagea dans les services secrets allemands pour pouvoir assassiner Hitler, fut découvert et exécuté. Ce livre, ce sont ses lettres de prison.

À la caisse, le libraire de l’abbaye me dit « Excellent choix, Monsieur Lipietz ! ça vous servira beaucoup dans votre métier ». En effet… Dès le Prologue, je tombe sur une page : sans commentaire, pour ne pas me faire encore accuser de traiter les nonistes de nazis ou de stupides.

Car, outre la douloureuse convalescence de Francine, nos vacances sont assombries par une mini-micro-campagne haineuse, consécutive au dernier billet de mon blog : des mails sur la liste du courant où je m’inscrivais jusqu’ici au sein des Verts, Regain : Décidément Verts. Ils sont gentiment intitulés « Lipietz jette le masque. Celui que nous avons connu est politiquement mort. » et autres aménités (« le député de la planète Zorg »). Quelques courageux-ses répondent sur la liste, mais sont aussitôt écrasé-e-s par l’artillerie lourde. Francine, qui partage avec moi les mêmes combats et les mêmes positions depuis 37 ans, réagit par un texte bouleversant. Je réponds longuement à cette micro-campagne, dans un texte intitulé Réponse à quelques mails. Bilan de RDV, où je m’amuse au passage à vérifier que mes blogs ne parlent que fort minoritairement des problèmes constitutionnels européens, ce qui fait pourtant partie des « incontournables » sujets du blog d’un… député européen. Mais chaque fois que j’en parle ils déclenchent l’hystérie de quelques uns ! « Monomaniaque ! Passe à aut’chose ! » etc .

On trouvera un résumé plus sommaire du bilan de RDV dans le texte Clarifier. Enfin et surtout, pour mettre les points sur les i à propos du TCE, j’ai reformulé le problème constitutionnel dans Questions stratégiques pour la sortie de Masstricht-Nice, sous forme de thèses. Comme les articles de ce site ne sont pas dotés de forum, vous pouvez en discuter sur le forum de ce billet-ci.

Je résume ici les réflexions de l’été qui m’ont amené à ces thèses. En réalité, il semble que, sans l’avoir voulu, par mes feuilles de blog de juillet , à propos de l’article de Jennar dans L’Humanité et sur la convergence « rouge et brune » entre le site villièriste Indépendance et Démocratie et le site Bellaciao en faveur du principe d’unanimité, j’aie provoqué une clarification entre plusieurs types de vote Non au TCE. Il ne s’agit plus d’une querelle historique, mais déjà de la préparation de 2009 (avec sans doute des effets sur 2007).

Je ne parle pas de celles et ceux qui, plus tout à fait sûrs de la justesse de leur choix du 29 mai 2005, avancent, face aux autres et à leur propre conscience, des arguments de plus en plus tirés par les cheveux. Genre : « J’ai cloué 460 millions d’Européens dans Maastricht-Nice pour punir Truc et Machin de leur arrogance ouiouiste ». Ou « parce que ça ouvre une dynamique intéressante pour mes prochaines élections municipales ». Ou « parce que, sous prétexte de voter les articles nouveaux qui étaient une avancée, je n’allais quand même pas, moi, Môssieur, revoter les autres articles, inchangés, que j’aime ou que je n’aime pas ». Ou « parce que je ne supporte pas qu’on ait remplacé l’actuel « L’UE offre un espace où la concurrence est libre et ouverte par libre et non faussée ». Etc, etc. Non, je m’adresse ici à celles et ceux qui, comme moi, veulent en finir avec l’Europe ultralibérale et les traités de Maastricht-Nice (en fait depuis l’Acte Unique) la régissant depuis une vingtaine d’années, et qui ont voté Oui ou qui ont voté Non dans CE but, et qui maintenant tirent le bilan de cette dernière bataille (à mon sens perdue, et désastreusement perdue) pour préparer la prochaine (à mon avis : en 2009). Il est prudent de mesurer d’ores et déjà qui seront nos amis et qui seront nos ennemis.

Le texte de Jennar, qui n’est peut-être pas entièrement assumé par le PCF et sûrement pas par tous les « nonistes de gauche », est en effet très clair : il ne veut plus que l’on touche au traité de Maastricht-Nice, même par une Constituante ou un Parlement élu : « Je n’ai pas du tout le sentiment que, dans trois ans, pourrait émerger du scrutin européen une majorité favorable à une Europe européenne, attachée à réaliser une alternative politique, économique, sociale et écologique au système que nous subissons. Pour toutes ces raisons, il me paraît suicidaire de proposer que le prochain Parlement européen soit constituant. » Bref, pas d’Europe démocratique avant que le peuple européen ne soit communiste. Je m’en doutais un peu et je l’avais écrit. D’où l’explosion de rage de quelques uns (« Verts », pourtant) qui se sont sentis visés.

Ainsi, parmi ceux qui ont voté Non, certains se sont trompés sur la dynamique qu’engendrerait leur Non et le reconnaissent peu à peu. Mais d’autres avouent progressivement qu’en effet, ils préfèrent en rester au traité ultra-libéral de Maastricht-Nice. Pas forcément par libéralisme d’ailleurs, mais quelques-uns par souverainisme national. C’est une tendance qui existe aussi chez les Verts : les Verts anglais (mais pas les Ecossais !), les Suédois et autrefois, parmi les Verts français, chez ceux qui sont devenus la Confédération des écologistes indépendants). Qu’il s’en rendent compte ou non, ce souverainisme nationaliste, en désarmant le politique face au libre jeu du marché, est en fait un libéralisme, en tout cas certainement pas une position de gauche. Théorème : à l’heure de la globalisation du capital, le souverainisme national est le premier ennemi de la souveraineté populaire.

D’autres encore campent sur des positions strictement protestataires : ils s’opposeront à n’importe quoi qu’on leur propose qui ne serait pas l’Idéal, dussent les Européen(ne)s rester coincé-e-s dans Maastricht-Nice pendant 30 ans ! Pas vraiment une position de gauche non plus…

Cette préférence de certains souverainistes, ultra libéraux ou protestataires pour Maastricht-Nice a permis la convergence des votes venus de l’extrême droite et de l’extrême gauche et a reçu le renfort de ceux qui croyaient sincèrement voter contre l’Europe actuelle (celle de Maastricht-Nice)…en votant contre le TCE !

Sur mon blog, j’ai cherché jusqu’ici à faire une distinction entre ceux qui se trompent et ceux qui ont trompé les autres et je le précise dans mes « thèses ». Mais une autre dimension est apparue avec cette histoire de la « convergence rouge brune ». Même si on a des raisons très différentes de voter pour la même chose, est-ce que ce compagnonnage est totalement indifférent ? Personnellement, j’ai voté contre Maastricht… comme Le Pen et Chevènement. Mais je n’aurais jamais eu l’idée de dire « nous » en regroupant dans ce « nous » tous ceux qui ont dit Non à Maastricht. Quand je parle de « convergence rouge et brune », je ne vise que ceux qui utilisent la même argumentation, en venant de la droite ou de la gauche. Ce fut le cas à propos du texte de Baudouin. Mais, comme le remarque un intervenant sur le forum de mon blog, quiconque dit « nous » en parlant des « 55 % de Français qui ont voté Non au TCE » accepte de fait une « convergence rouge-brune ».

A ce propos, un complément d’anecdote. J’ai raconté comment, à Vienne, un autre collaborateur du groupe communiste, à qui je faisais observer que « 55 % des Européens consultés par référendum avaient dit oui au TCE », m’avait répondu : « Oui, mais les Espagnols ne comptent pas ! » J’avais rapporté ces propos car ils étaient dits sur le ton de la plaisanterie (quoique…). Je n’avais pas rapporté les propos suivants, parce que, dits aussi sur le ton de la plaisanterie, ils étaient incomparablement plus graves : « Et tu verras quand les Anglais et les Polonais voteront ! » Bien sûr, il ne s’agit que d’une plaisanterie. Mais il y a bien, quelque part, des gens à la gauche de la gauche qui attendent le renfort des voix anglaises et polonaises, c’est-à-dire les électorats les plus à droite de toute l’Europe, ultra libéraux chez les Anglais, ultra catholiques et souvent antisémites chez les Polonais.

L’évolution de la Pologne, cet été, me préoccupe d’ailleurs beaucoup. Comme il était à prévoir, son Président en vient maintenant à poser la question du rétablissement de la peine de mort, dont le Non français a refusé de constitutionnaliser l’abolition ! Mais bon, les Polonais, comme les Français, peuvent changer d’avis, c’est à ça que sert le militantisme. Comme disait… tiens, justement, quelqu’un qui m’a beaucoup intimidé et dont il faut que je parle un jour.

À part ça, l’été, ce fut bien sûr l’horreur au Liban et à Gaza. Inutile d’épiloguer : même l’opinion publique israélienne commence à se poser des questions. La manière dont les héritiers de Sharon se sont acharnés à détruire sous des dizaines de milliers de tonnes de bombes deux voisins, Gaza et le Liban, parce que des milices que personne ne contrôle avaient pris en otage trois de leurs soldats (acte que l’on peut réprouver, mais qui est strictement un acte militaire), est un scandale qui dépasse de loin tout ce à quoi les gouvernements israéliens nous avaient habitués, depuis l’assassinat du très regretté Rabin, seul responsable israélien à avoir discuté avec l’Autre en tant que tel. C’est un peu comme si le Parti Vert européen, en représailles contre l’enlèvement d’Ingrid Betancourt et Clara Rojas par les Farc, avait payé des mercenaires pour faire sauter les centrales électriques, les dépôts de carburant et les ponts en Colombie et assassiner quelques centaines d’enfants…

Bien sûr, le Hezbollah et le Hamas devront un jour choisir. Se considèrent-ils comme des mouvements politiques à vocation majoritaire, avec ce que cela comporte de responsabilités démocratiques et de responsabilités vis-à-vis des pays voisins (lorsqu’ils occupent des positions de pouvoir), ou se considèrent-ils comme des milices irrégulières ? Mais les opérations militaires d’Israël, opérations essentiellement dirigées contre des populations civiles qui n’en peuvent mais, soulèvent des questions politiques et éthiques d’autant plus graves qu’il s’agit, dans ce cas, d’un Etat souverain et bien souverain, membre de l’ONU, avec de véritables gouvernements, élus, bien établis, et reconnus par la communauté internationale, assumant toutes les responsabilités qui vont avec… Significativement d’ailleurs, la destruction de Gaza et du Liban (il faudrait dire « le ravage », comme on dit du « ravage du Palatinat par Louis XIV” : la destruction systématique d’une région voisine pour écarter les ennuis à la frontière), suit presque immédiatement une alternance démocratique en Palestine et le départ des troupes d’occupation syrienne du Liban. Ce que les gouvernements israéliens n’acceptent pas, c’est la souveraineté démocratique des voisins.

Toutes ces ruminations m’amènent à répondre à quelques sollicitations en réponse à mon blog du 23 juillet dernier où j’évoquais les hommes et les femmes qui m’ont le plus intimidé. Je citais Bettelheim, j’aurais pu citer René Dumont, Ana Maria Galano, Danièle Leborgne auxquel(le)s je n’ai rendu hommage sur ce site qu’après leur mort. Des correspondants me demandent d’en dire plus. Eh bien, en voici un : l’abbé Pierre ! J’en parlerai dans mon prochain billet.

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