Dialogue social ferroviaire, répression policière
par Alain Lipietz

vendredi 14 avril 2006

Cette semaine, vacances de Pâques. Impression d’être le dernier « politique » à Paris. Du coup, il faut assurer. Lundi-mardi, j’essaie de ranger mon bureau ! Je range surtout le bureau de mon ordinateur : combiner Mac OS X.4.6 et Missing Sync, synchroniser mon Palm… Pas simple mais on y arrive.

Je lis, aussi. Outre les livres que j’achète pour mes travaux sur Mallarmé, je reçois depuis longtemps des « hommages d’auteurs ». Chaque fois que j’ai écrit un livre, j’ai moi-même envoyé des « hommages » et « services de presse », à des amis, des journalistes ou des intellectuels qui pourront en parler dans les médias. Mais, étant moi-même un intellectuel qui écrit parfois dans les journaux, je reçois aussi des livres, comme par exemple cette semaine Après nous le déluge, de Jean-Marie Pelt et Jean-Eric Seralini. Mais cette fois, surprise, au Faut-il brûler le modèle social français ?, de Alain Lefèvre et Dominique Méda, est joint un petit mot m’invitant à en parler… sur mon blog ! Nouveau mais pas absurde. Mon site est visité 7000 fois par semaine. Même si beaucoup de connexions portent sur des articles plus ou moins anciens, le blog est la principale lecture, sans compter les copier-coller que j’envoie sur les liste de débat vertes. On peut donc supposer qu’il sera autant lu qu’un article, disons, dans Politis.

Eh bien, le petit livre de Lefèvre et Méda est excellent. Il fait le point sur notre soi-disant modèle (qu’il y a dix ans, Viviane Forrester appelait L’horreur économique et moi, La société en sablier), et que des nonistes ont défendu avec acharnement contre les contaminations européennes). Il le compare à la réalité du modèle de la Suède (où travaille Lefebvre). C’est extrêmement instructif sur la possibilité, mais aussi les conditions, d’un compromis plus favorable aux travailleurs, notamment aux femmes et aux jeunes, tout en restant très compétitif. La clé : le dialogue social. Du coup, je rajoute une référence dans l’article que vient de me commander Témoignage Chrétien sur la crise de régime.

Une seule critique (mais c’est devenu habituel) : le compromis social scandinave (que j’appelais jadis kalmarien) est réduit, dans le livre, à un échange entre flexibilité des postes de travail (30% des Suédois changent de boulot tous les ans) et sécurité des parcours professionnel individuels. On oublie complètement les transformations dans l’organisation du travail (et dans la qualité écologique des produits) qui impliquent une main d’œuvre plus qualifiée. Hélas, en France, le néo-taylorisme est devenu l’horizon indépassable.

Mercredi, déjeuner avec Agnès Sinaï, « espoir verte » qui vient de réaliser une série télé sur le changement climatique et avec qui j’entretiens depuis dix ans un dialogue intermittent mais fidèle, non seulement sur les négociations écologiques internationales, mais aussi sur les problèmes de théorie esthétique (elle m’a fait lire Benjamin, sur la différence entre symbole et allégorie).

Puis, interview avec une équipe de La Cinq sur le lobbying, au siège du Parlement européen à Paris, 288 boulevard St Germain. J’explique que, pour les parlementaires européens, « lobbysme » n’a aucun contenu péjoratif . Quiconque nous croise dans les couloirs (lobby) ou dans nos bureaux, pour discuter avec nous d’une directive en cours d’examen ou d’une initiative à prendre, fait du lobbysme. Que ce soit un syndicat, une entreprise, une ONG, un gouvernement national ou même la Commission. C’est la forme normale de notre contact avec la (les…) société européenne (ou plus lointaine), car nos circonscriptions sont énormes.

Bien sûr, il y a des bons et des mauvais lobbys : un monopole comme Microsoft ou IBM qui vient défendre ses intérêts, y compris en séduisant, soudoyant ou menaçant les élus, ne peut pas être mis sur le même plan qu’une fédération syndicale défendant l’intérêt général d’une partie de la société européenne. Mais c’est toujours le rôle du député que d’essayer de formuler une synthèse conforme à l’intérêt général.

Juste après, d’ailleurs, arrive devant le 288 une délégation du congrès de la Fédération des transports européens, tous les syndicats de cheminots d’Europe. Ils ont demandé à voir des députés européens. Malgré les promesses du PS et de l’UMP, je suis le seul présent, plus un assistant de la GUE ! Ça la fout mal… La journaliste de La Cinq pose directement la question au Secrétaire national de la CGT-cheminots française, Didier Le Reste : « Mais est-ce que vous considérez, vous, que vous faites du lobbying ? » Lui, sans se troubler : « Mais bien sûr ! C’est ce que nous appelons le dialogue social. »

La délégation FTE

La réunion a lieu dans la grande salle du 288. Je m’exprime en français, un jeune homme traduit en allemand, qui semble la langue dominante pour le rail européen… Ce jeune homme viendra à la fin de la réunion me signaler qu’il connaît très bien mes travaux sur la théorie de la régulation ! On discute essentiellement du retour du troisième paquet ferroviaire, passé en première lecture au Parlement européen, et qui prévoit la libéralisation du transport de passagers. Je précise la position des Verts. Les Verts français sont contre la séparation entre réseaux et gestionnaires des trains, ils sont pour la coopération entre les entreprises européennes et contre la mise en concurrence des compagnies de trains. Une partie des Verts européens a cru que la concurrence entre compagnies de trains accroîtrait l’offre, ils sont entrain d’en revenir, et la majorité du groupe vert est maintenant sur la position des Français. J’insiste sur un point : les syndicalistes ne pourront gagner que s’ils se font vraiment les hérauts de la coopération européenne, c’est-à-dire s’ils accueillent avec fraternité la circulation des cheminots des autres pays sur leur beaux rails nationaux…

Manifestement, Didier Le Reste, que j’avais vu à Guéret, se montre, en ambiance syndicale européenne, beaucoup plus pro-européen que dans le débat français. C’est d’ailleurs une constante des cadres de la CGT : partis d’une forte culture communiste-souverainiste, ils retrouvent très vite leur âme internationaliste dès qu’ils se trouvent en situation concrète de travail avec les autres syndicalistes européens. Des hommes comme Joël Decaillon (qui avait demandé aux Verts européens d’appuyer le TCE !) ou comme Bernard Thibaut sont, je l’espère, les prototypes d’une telle évolution.

Le lendemain, je suis invité par un assistant de notre sénateur Jean Desessard à participer à une action des sans papiers conduite par Jean-Claude Amara, de Droits Devant !!. Je les rejoins au Trocadéro, nous nous engouffrons dans le métro et ressortons à la Porte Dorée pour courir occuper le futur musée des Colonies, actuellement Aquarium des poissons tropicaux. La police intervient très vite et coupe notre petit cortège en deux. Une cinquantaine d’entre nous parvient à s’installer dans le bâtiment. Les autres (dont moi) se regroupent devant la grille. Aucune bousculade. Les militants Verts, qui forment la majorité des « soutiens », s’interposent entre les manifestants et la police qui tient l’entrée du bâtiment (gauche pourrie protégeant l’institution, ou militants écologistes sauvegardant les poissons tropicaux ?).

Jérôme Gleizes protège l’Aquarium

Très vite, nous sommes encerclés par une véritable armée de policiers. Un jeune commissaire invite tous les sans papiers à monter dans les cars pour contrôle d’identité. Ceux de l’intérieur les y rejoignent.

Sortie dans le calme
Jérôme et JC Amara discutent tranquillement un plan B parmi les policiers

Au total, neuf sans papiers et Jean-Claude Amara sont gardés au poste pour « violences », alors que la manifestation a été de bout en bout parfaitement pacifique, et même non violente ! Heureusement, France 3 était là et a tout filmé. J’ai pris aussi pas mal de photos. Affaire à suivre du point de vue judiciaire…

Du point de vue politique en revanche, on peut s’interroger sur ce genre d’action. Les sans papiers sont maintenant extrêmement fragilisés (ils scandaient aux policiers qui les encerclaient comme des casseurs : « Nous ne sommes pas dangereux, nous sommes en danger »), et la criminalisation des manifestants est devenu une constante sarkozyste. Organiser une manifestation où j’étais, comme hier, le seul élu (Jean Desessard n’est pas venu, ni d’ailleurs aucun-e candidat-e à la primaire des verts), alors que le mouvement de soutien a pratiquement cessé d’émettre et que tout le monde est parti en vacances, n’est pas forcément très malin… Pourtant c’est vrai que l’examen de la loi CESEDA qui va abolir la RESEDA (jamais correctement appliquée) approche à toute allure.



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