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En réponse à :Haïti. Régionales. Islande. Gnose et Mallarmé.
samedi 16 janvier 2010
L’abominable catastrophe haïtienne rend dérisoires tous les vœux de Bonne année. L’Histoire est tragique, la Nature une marâtre, et ce monde est mauvais.
Haïti fut la première république créée, dans le contexte de la Révolution Française, par des Africains déportés en esclavage aux Amériques : (…)
En réponse à :
L’intérêt de la Gnose pour les écologistes
Cher Maieul,
Je ne faisais que répondre à Audrey ! Bien sûr, je ne suis que marginalement concerné par le débat, étant agnostique et ne tenant pas spécialement à un « Fond divin de l’Etre », comme je le précise. Mais il me paraît abusif de laisser dire que « la « solution chrétienne au problème du mal, c’est le libre-arbitre des Hommes », ce que j’appelle le Dieu Ponce Pilate, position non tenable ni face à Auschwitz, ni face à Haiti. Comme tu le remarques justement, il y en a plein d’autres, y compris au sein du christianisme, et je cite le cas de la gnose car j’en parle dans mon billet.
Je précise au passage (si ce n’étais pas clair dans mon billet) que je parle de la gnose valentinienne, dont personne ne nie, ni Clément d’Alexandrie, ni même Irénée, qu’ils s’agit de chrétiens, du moins au début. Simplement… ils les considèrent comme hérétiques, comme Arius, Nestorius, les adversaires et les partisans du filioque, Luther, Calvin, etc. Et même avant d’être hérétique on est simplement hétérodoxe, voire encore plus simplement original, comme Clément lui-même (semi gnostique en fait ) ou Origène et tous ces gens qu’on considère comme « pères de l’Eglise » alors qu’ils ne sont même pas canonisés, contrairement d’autres récents ou anciens pistonnés.
La gnose séthéenne, pas forcément chrétienne en effet, puisque probablement antérieure à JC, est passionnante pour qui s’intéresse à l’origine mazdéenne du judaïsme post-exilien (Esdras & Co) et donc du judéo-christianisme et de tout ce qui a suivi, christianisme, islam, jusqu’à Victor Hugo et Mallarmé quand ils se font prophètes d’une nouvelle religion, fût-elle athée. Mais j’avoue qu’elle ne me touche pas, même esthétiquement (il y a un tas de jeux contemporains qui y puisent allègrement). Donc quand je dis Gnose je pense par exemple à L’Evangile de la Vérité, au Traité Tripartite, à l’Evangile de Philippe. C’est celui-ci qui me fascine par ses éclairs mallarméens.
Pour la gnose valentienne, la création n’est pas toute-mauvaise, Maïeul , sinon comment pourrais-je dire qu’elle me rappelle Mallarmé ? Ou Eluard : Un autre monde est possible, mais il est dans celui-ci… La création de la matière est le fait du Logos ou de la Pistis Sophia (la Fidèle Sagesse, alors que chez les sethéens le dieu créateur et ses émanations portent des noms patibulaires) qui ne sont pas des « mauvais » en soi, puisqu’ils sont des émanations de l’Etre, Inengendré, Inconnaissable. Devenus « mauvais » par excès de confiance voire d’enthousiasme, Logos ou Sophia croient qu’ils peuvent participer tout seuls à la création divine (qui n’est rien d’autre que le déploiement de l’Etre), alors que ce n’est possible qu’en couple (cf Eluard : Nous n’irons pas au but un par un mais par deux). À ce moment ils se séparent de l’Etre. Mais aussitôt (ce « aussitôt » est dit de façon assez émouvante, presque heideggerienne dans les textes) ils se repentent et se redivisent entre le Démiurge (le dieu créateur mauvais) et une partie de leur âme qui revient, en sauvant une partie de la création, vers le « Fond divin de l’Etre » comme dirait Jonas. Et si cette création est sauvable, c’est qu’elle est aussi image de l’Etre. La Gnose n’est pas un dualisme au sens du zurbanisme (hérésie du mazdéisme).
Pas non plus au sens du manichéisme, lequel, soit dit en passant, me semble avoir formalisé le premier ce que tu appelles « théologie du procès », même si celle-ci est bien entendu en germe dans Saint-Paul comme dans le milieu intertestamentaire de Qumran. Pour Mani il y a deux dieux dès l’origine qui se livrent bataille, et nous sommes appelés à sauver le Dieu de Lumière contre le Dieu de matière, et à la fin des temps il y aura toujours deux dieux, mais bien séparés. Comme quoi on peut croire que la Matière est par principe mauvaise et lutter de toute ses forces pour séparer la Lumière des Ténèbres !! Je ne vois pas en quoi le fait que le monde matériel soit « mauvais en soi » interdise d’agir, ne serait-ce que spirituellement pour le dés-intéressement, et même matériellement (pour la décroissance). Les partisans du plus grand désintéressement du monde matériel ont souvent été d’immenses forces politiques, comme les Boudhistes en Asie, le Mahatma Gandhi, etc.
Quoi qu’il en soit ce n’est pas le point de vue de la Gnose ni le mien ni celui de Hans Jonas (théologien s’il en est du sauvetage du dieu souffrant par l’humanité) ni… En fait il ne doit plus y avoir grand monde de dualiste. L’Occident n’est pas dualiste, fondamentalement : il y a toujours contradiction à dominance. La Gnose reprend l’héritage du Parménide de Platon et de la mystique juive de Philon : elle part de l’Un, mais heureusement les néo-pythagoriciens ont eu le temps d’inventer la division !
J’aime bien ces histoires de « Un se divise en deux » appliquées tantôt vers le bas (la chute), tantôt vers le haut (la rédemption ou la résurrection) comme dans le poème Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx. En fait c’est le vieux truc de la dialectique que les ex-maos connaissent par cœur. Mais ce serait très utile pour les militants de l’écologie politique.
Car revenons aux hérésies à l’intérieur d’un même mouvement. Il est évident que cela existe dans l’écologie politique, et l’hérésie est souvent « de bonne volonté » avant qu’une partie ne persiste dans l’erreur et devienne une scission anti-écolo. Je rappelle toujours que l’amiante a été généralisée pour éviter les incendies urbains : la catastrophe écologique la plus courante depuis le néolithique (hors tremblements de terre, éruption volcaniques et tsunamis, évènements naturels qui ont anéanti des civilisations entières, comme les Minoens). Ou encore le Haut-barrage d’Assouan pour irriguer et fournir de l’énergie. Et les agrocarburants pour donner la priorité aux énergies renouvelables dérivées du soleil. Les Verts ont pour emblème un agrocarburant, le tournesol… Le groupe Vert au PE a inspiré le vote de l’objectif de 5% de biocarburant puis combattu l’objectif de 10 % ! Bref l’écologie court toujours le risque des erreurs de la Pistis Sophia. Et c’est bien entendu le cas de 80% de nos alliés du GIEC, qui sont pronucléaires. Et comme tu le remarques, beaucoup de EDF sont des agents de bonne volonté du service public.
Reste ta question sur l’élitisme de la Gnose, que tu devrais prendre « cum grano salis ». La Gnose est une religion à Mystère comme les cultes de Mytra, de Cybèle, d’Isis et… le christianisme, à la différence du judaïsme ou du culte impérial, qui sont à l’époque des cultes « communautaires », nationaux ou universels : on est juif, on va à la Synagogue, on est romain, on sacrifie à César. On n’a aucune idée de la sélectivité réelle de la Gnose, on déduit vaguement leur culte des textes de Nag Hammadi. Il y a une impressionnante cérémonie du baptême suivi d’une onction par le chrène… Mais j’imagine qu’une religion à mystère est plus séduisante pour les pauvres, c’est très frappant au Brésil où les candomblés et les pentecôtistes (et les cathos charismatiques) rivalisent d’esthétisme et de pseudo sélectivité, avec mystagogues et autres chichis, par opposition aux théologiens de la libération qui font lire et discuter des bouquins ! Le discours du « Venez chez nous, dépêchez vous, car il y aura beaucoup d’appelés et peu d’élu, mais for you, personnellement, Le Seigneur a fait la faveur de réserver une place à ses côtés » est une technique de marketing archi classique, en particulier pour les nouvelles religions, abondamment utilisée par les Evangiles canoniques (hyper-sélectifs et même déjà désenchantés devant le constat que les juifs ne ralliaient pas en masse le christianisme). Rhétorique dont on a honte qu’elle marche encore… y compris dans la construction des listes d’Europe Ecologie.
PS Sur la distinction des textes gnostiques qui sont chrétiens de ceux qui ne le sont pas, c’est simple : ou ils citent en bien Jésus, ou ils ne le mentionnent même pas. Pour répondre à ta question, je te dirai que c’est aussi comme ça que je définirais le christianisme : c’est le mouvement historique, bigarré, de celles et ceux dont l’enseignement de Jésus guide d’une certaine façon mais explicitement la vie spirituelle. Même celui qui se contente de dire que Jésus était un homme si « bien » qu’il a été adopté par Dieu (comme Arius ou Bonhoeffer), c’est un chrétien au sens religieux. À part ça je n’ai rien contre qui dira « pour moi est chrétien celui qui aime son prochain comme lui-même voire plus que lui-même », ce qui est effectivement un précepte assez représentatif du Christ, mais à ce compte-là on n’a pas besoin de faire référence au Christ pour être dit chrétien (Levinas…) et c’est très énervant pour les non-chrétiens (cf les incidents récurrents sur la « récupération chrétienne de la Shoah »).